Revoir l’histoire du blues et du jazz par les femmes

Ma Rainey mère du blues et du jazz

Les femmes, éternelles oubliées de toutes les histoires, pillées au-delà de toutes les raisons, poussent toutes les ombres pour se situer sur le devant de la scène, juste revanche de siècles d’oppressions et de dénis. Soudain le paysage change, prend d’autres dimensions. Il sort du plan et même du 3D pour figurer de nouvelles couleurs. Une partie du patrimoine culturel se redécouvre pour restructurer nos manières de voir et d’entendre. L’époque en manque pas de piquants et d’énormes remises en cause.
« Ma » Rainey a longtemps été occultée dans toutes les histoires du jazz et du blues. Elle n’était belle que sur scène dans son génie de faire vivre le blues, ces morceaux de vie des populations africaines-américaines. Elle a fait partie, au début du 20e siècle, des « vaudevilles », des spectacles itinérants mêlant cirque, spectacles de danses et… le blues qu’elle a propulsé au rang d’art à part entière avant même le grand succès en 1920 rencontré par « Mamie » Smith ou l’arrivée, dans toute sa splendeur de l’impératrice Bessie Smith, une amie proche qu’elle a influencée. Elle a, la première, donné sa chance à Louis Armstrong qui enregistrera aussi avec Bessie Smith comme un jeune homme timide qu’il était alors, deuxième trompette dans les groupes de King Oliver.
Il fallait un livre, en français, pour redonner à « Ma » Rainey – parce qu’il y a un « Pa » Rainey – toute sa place. « Ma Rainey, le blues est une femme » signé Frédéric Adrian, journaliste à « Soul Bag » – une revue essentielle – veut tenir ce rôle. Il prend la suite du film de 2020 « Ma Rainey’s Black Bottom », et avant de Angela Davis qui lui a redonné vie.
Difficile pourtant de retracer une vie constituée pour l’essentiel de tournées dans le Sud sinon pour faire la démonstration essentielle : sa popularité et ses créations de blues devenus grâce à elle, des airs de répertoire. L’auteur la décrit dans ses habits de scène, essayant de cerner via les articles de journaux de l’époque, sa présence, son génie.
Comme toutes les femmes du blues et du jazz qui lui succéderont, elle sera féministe et bisexuelle une solidarité nécessaire dans ce monde d’hommes étalant leurs prérogatives et leur domination.
Il reste des traces de son passage via les enregistrements qu’elle effectuera souvent avec des musiciens de jazz notamment le grand tromboniste, grande voix du blues lui aussi, Charlie Green. Tous ne sont pas de très grande qualité mais ils permettent de pénétrer dans ce monde où règne « Ma » Rainey ouvrant la porte et les fenêtres à des recherches sur l’histoire de ces musiques. Le fantôme de « Ma » Rainey n’a pas fini d’arpenter nos mémoires.
Nicolas Béniès
« Ma Rainey, le blues est une femme », Frédéric Adrian, Éditions Ampelos.

Mémoire de 1999, du côté du blues

Le blues dans tous ses états…

Quelle place occupe le blues – il faudrait utiliser le pluriel – dans l’histoire de la communauté africaine-américaine ? Quelles fonctions a-t-il joué ? Robert Springer, poursuivant ses analyses sociologiques commencées avec Le blues authentique (1985, Filipacchi) se penche sur Les fonctions sociales du blues, aux éditions Parenthèses dans la collection Eupalinos. Il part des fonctions les plus évidentes, les plus visibles pour arriver aux fonctions essentielles et cachées. Pour conclure sur la fonction unificatrice de la communauté que le bluesman suscite simplement en racontant ses histoires qui donne l’impression d’être individuelles. Par l’intermédiaire des relations hommes/femmes, il diffuse l’image des relations Blancs/Noirs. Sans sous estimer le «machisme » des mondes du blues, une réalité par trop présente. Comme le disait Zora Neale Hurston dont l’autobiographie, Des pas dans la poussière (Éditions de l’Aube) vient de paraître en français, la femme noire est la «mule » de l’homme noir… Continuer la lecture

Mémoires en mouvement par les femmes

Une grande romancière ignorée en France…jusqu’à présent.

Gayl Jones, éditée pour la première fois par Tony Morrison – prix Nobel de littérature 1993 qui nous a quittés récemment – en 1975 pour « Corregidora » aujourd’hui traduit en français. Dés sa parution, nous indique l’éditeur Dalva, ce roman a été considéré comme un classique et enseigné dans les écoles. A le lire, on en comprend les raisons.
L’autrice dessine les contours d’un portrait de femme africaine-américaine, chanteuse soumise au joug des hommes et habitée par des toutes les femmes vivantes en elle. Son arrière-grand-mère, esclave tributaire de son maître qui la viole, le Corregidora du titre, sa grand-mère, prostituée par le même ou ses descendants qui pourrait être aussi son père, sa mère et elle comme la résultante de toutes ses trajectoires et mémoires tout en voulant se construire avec et contre toutes les traces du passé. Un puzzle dont les pièces ont tendance à vivre leur vie sans s’imbriquer totalement les unes aux autres, un puzzle toujours à refaire pour rechercher la pièce manquante.
Ursa, le nom de la chanteuse de blues du Kentucky dont quelques traits sont empruntés à Billie Holiday – citée par la romancière – vivra dans votre esprit pour incarner une femme capable de se dépasser pour assumer sa liberté. Écrire ou parler des femmes ne pourra plus faire l’économie de Gayl Jones. Un grand roman, une grande romancière qui a su puiser dans les itinéraires des grandes chanteuses de jazz et dans la poésie parfois crue des blues qui savent que cette musique du diable – comme on l’appelait aux États-Unis, surtout dans les États du Sud – est façonnée autant pat l’âme que par le corps, Body and Soul, pour citer le titre d’un standard du jazz.
Nicolas Béniès
« Corregidora », Gayl Jones, traduit par Madeleine Nasalik, Dalva éditions.

Voix du 20e siècle


Mickey Baker, l’inconnu célèbre

Mickey Baker ? Le nom ne vous dit peut-être rien ? Et le film « Dirty Dancing » (danse lascive) sorti en 1987 – et un remake en 2004 non plus, pour le thème « Love is strange » chanté par Mickey and Sylvia – Vanderpool pour son nom complet – au milieu des années 50 et qui servait au lancement de la mode disco ? L’auteur d’une méthode de guitare jazz d’une simplicité pour la technique et laisse la porte ouverte au feeling et à l’écoute pour appréhender cette musique ? L’arrangeur de tous les enregistrements réalisés dans les années 60 par tous les « yéyé » ? Pour cette dernière question, vous avez des excuses, son nom ne figure sur aucune pochette et pourtant son travail est immense. C’est lui, comme tous ses collègues, qui arrive à faire sonner la musique, à habiller une mélodie pour qu’elle prenne de la consistance et vienne à nos oreille en parlant à notre cerveau. Une voix de l’au-delà qui se raconte en composant un blues qui tisse les composantes de son existence mais aussi des États-Unis, de la France et de l’industrie phonographique.
« Alone » – seul – est le titre qu’il a choisi. Une vie se déroule et s’enroule à l’Histoire, aux formes de résistance des Africains-Américains – lui est métis – face au racisme, composante de cette société. Il décrit aussi la drogue, l’alcool pour s’accommoder de cette existence. Continuer la lecture

Des cadeaux, encore pour soi, pour d’autres, pour le don et son plaisir

Noël, une histoire de dingues », Mark Forsyth (traduit par Thierry Beauchamp, aux éditions du Sonneur), donne le la des fêtes et des commémorations diverses. La naissance de l’enfant Jésus le 25 décembre est un long processus qui s’appuie plus sur les évangiles officieuses que les officielles. Il faut participer de cette élaboration des « fêtes » pour rire des présentations de ce qui est aujourd’hui considérées comme des dogmes qu’il est impossible de contester. L’auteur, érudit, fait partager sa contestation des réalités, résultat souvent d’un enchevêtrement de strates civilisationnelles occultées pour figer le temps. Une leçon d’histoire des mythes, de leur maturation mais aussi des erreurs d’interprétation qui fait de Coca Cola, par exemple, dans sa campagne de pub de 1929, le créateur du costume du Père Noël.
Des histoires à partager en famille et pour briller dans les diner de fêtes ou non. Pour rire et apprendre.
Une bonne introduction à cette époque de cadeaux à ne pas hésiter à (se) faire. Continuer la lecture

Les mots de la musique, les sons des mots

Le Mot et le Reste, un éditeur étrange

Le Mot et le Reste s’est donné pour objectif de faire aimer, connaître, comprendre les musiques de notre temps. Il s’est fait une spécialité – tout en ayant d’autres cordes à son violoncelle – de mettre en mots les musiques de notre temps, soit par le biais de biographies, comme celle de Sinatra (voir la recension sur ce même site), soit par des présentations de grands courants musicaux contemporains et populaires, comme le blues à travers des albums significatifs. Pour « le reste » des publications, il vous faudra consulter son site…
Fin 2020, il avait proposé de redécouvrir Jimi Hendrix et de nous faire connaître ou reconnaître le « soft rock » et les producteurs des musiques de ces 25 dernières années soit un voyage dans notre paysage sonore, une histoire de nos émotions. Continuer la lecture

Littérature : La vie d’un bluesman peut-elle engendrer une œuvre littéraire ?

C’est le pari de Jonathan Gaudet avec « La ballade de Robert Johnson »…

Robert Johnson, guitariste et vocaliste, est l’une des grandes légendes du blues. Un guitariste hors pair, un chanteur à la voix expressive, mélancolique souvent, joyeuse, heureuse de s’entendre en vie. Il a réalisé 20 enregistrements en 1937, dont le célèbre « Sweet Home Chicago » popularisé une fois encore par les Blue Brothers dans le film éponyme de John Landis, et 21 en 1938 pour asseoir les fondements du blues en unifiant les divers affluents de cette musique. Continuer la lecture

Ray Charles vivant.

Antibes Les 18, 19, 21 et 22 juillet 1961

Le « Genius » – ainsi dénommé aux Etats-Unis – était déjà connu, en cette année 1961, des passionné-es de jazz via l’émission de Franck Ténot et Daniel Filipacchi « Pour ceux qui aiment le jazz » et même de « Salut les Copains » – les deux émissions phares de Europe N°1. Les albums Atlantic de Ray Charles envahissaient les « surprises-parties », des albums enregistrés en 1958-1959. En 1961, comme le rappelle Joël Dufour dans les notes introductives, Ray Charles était parti à la conquête du public blanc via le label ABC et une tonne de violons. Avec un sens du contexte, il livrera au public français de Juan-les-Pins des prestations, des performances marquées du sceau du hard bop – on oublie souvent que l’orchestre de Ray est un orchestre de jazz – et du soul avec des Raelets, dont la soliste Margie Hendrix, au mieux de leur forme. Continuer la lecture

Memphis Slim

Du blues qui tâche.

Memphis Slim ? Le nom de ce bluesman sonne tellement parisien que tout-e amateur-e de piano, de blues, de boogie woogie français semble tout connaître et avoir tout entendu de ses enregistrements et performances. Le concert proposé dans la collection « Live in Paris » vient apporter un démenti et propose une nouvelle pierre – presque une pierre participant de la fondation du mythe Memphis Slim – à la connaissance du périple du chanteur/pianiste. Continuer la lecture

Un tour de piste ?

QUAND LE BLUES REVIENT !

On le croyait oublié, perdu à jamais, emporté dans la grande vague du rock, du hard rock ou du metal. Il fait son grand retour, une fois de plus. Musique éternelle de ces griots modernes que sont les chanteurs et instrumentistes du blues. Les « bleus » – il faut toujours se souvenir que blues est au pluriel, qu’il existe plusieurs bleus, comme les couleurs de l’arc-en-ciel – affirment en force.
En 1959 deux jeunes amateurs français – Jacques Demêtre et Marcel Chauvard, ce dernier décédera en 1968 – décident de partir pour un « Voyage au pays du blues » qui sera publié en épisodes dans la plus ancienne revue de jazz française, alors dirigée par Charles Delaunay, « Jazz Hot ».(1)
Ils sont les premiers à s’intéresser aux lieux dans lesquels prospère cette musique. Paul Oliver, (2) le musicologue anglais de référence, n’a pas encore publié ses ouvrages, et Samuel Charters est en train de mettre le point final à son premier. Jacques Demêtre lui-même n’a encore rien fait paraître. Continuer la lecture