Le coin du polar

Un cri de révolte.
« Vanda », un prénom bizarre issu d’une chanteuse des années 1960, Wanda Jackson bien oubliée de nos jours, est une jeune femme, mère célibataire volontairement, femme de ménage dans un hôpital psychiatrique. Précaire, elle est variable d’ajustement de la rentabilité de l’établissement et sujette aux convocations de la DRH. Marion Brunet fait le constat de la brutalité des relations sociales et de travail comme de la situation de ces établissements laissés trop souvent à l’abandon par les gouvernements. La grève est la seule réponse possible. La manifestation est sauvagement réprimée.. Portrait, surtout d’une féministe en butte à tous les préjugés, y compris celui de la paternité via son ancien amant qu’elle a quitté. Son fils, qu’elle a appelé Noé, serait-il la solution à la crise climatique qui exerce ses effets dans cette localité prés de Marseille ?

Malaise islandais
Arnaldur Indridason est le grand auteur de polar mondialement reconnu. Il a créé un nouvel enquêteur, Konrad, un policier à la retraite. Trois meurtres sont à son menu. Deux jeunes femmes, l’une en 1947, l’autre plus récemment et celui de son père. Conduire ces trois enquêtes est un travail à plein temps. S’entremêlent vivants et fantômes dans cette histoire où la police n’a pas cherché plus loin que le bout de son nez. Ne dit-on pas qu’un vivant est entouré d’au moins 6 fantômes qu’il trimbale en lui soufflant dans le cou et les oreilles des pensées étranges ? « Les fantômes de Reykjavik » est une ballade dans le temps en un espace réduit pour rendre compte du malaise dans la civilisation.

New York, 1912
« Une mort sans importance » est la deuxième enquête de Jane Prescott, dame de compagnie de la famille Benchley mise en scène par Mariah Fredericks dans l’ambiance de New York de 1912, traumatisé » par le naufrage du Titanic. Le contexte : la lutte des classes entre « aristocratie » – ici les Tyler – et classe ouvrière, la main mise de la mafia sur la ville et ses activités souterraines et New York à l’aube de la domination des Etats-Unis sur le monde. Un portrait historiquement juste. Le meurtre d’une nurse italo-américaine, de cette immigration marquante de ces débuts du 20e, servira de révélateur des secrets de la classe dominante par l’intermédiaire de la grande détective qu’est Jane.

Anti colonialiste
1885 dans le Queensland, Australie. Sécheresse – une plaie structurelle – qui conduit à la faillite cette famille de colons installé dans cette région. L’assassinat du père et de la mère conduira à une chasse à l’homme forcément aborigène sous le commandement de l’inspecteur Edmund Noone chargé d’imposer la terreur aux indigènes pour faire respecter l’ordre colonial. Paul Howard est dans la lignée de Arthur Upfield, créateur du polar ethnologique et anticolonialiste patenté. « Le diable dans la peau » permet à Paul Howard de crier sa haine de la colonisation tout en réalisant un véritable travail d’historien. Pour comprendre l’Australie d’aujourd’hui.
Nicolas Béniès
« « Vanda », Marion Brunet, Albin Michel ; « Les fantômes de Reykjavik », Arnaldur Indridason, traduit par Eric Boury, Métailié/Noir ; « Une mort sans importance », Mariah Fredericks, traduit par Corine Derblum, 10/18, Grands Détectives ; « Le diable dans la peau », Paul Howard, traduit par Héloïse Esquié, Folio/Policier.

« Libres d’obéir », Un essai historique sur les racines du management


Le nazisme comme modèle de relations sociales.

« Libres d’obéir » est un oxymore qui ouvre directement sur une réflexion sur les manières de gouverner, dans les entreprises comme dans l’administration. Johann Chapoutot, historien, spécialiste du nazisme, passe du passé au présent, mêle les périodes pour éclairer les formes des rapports sociaux. Le sous titre précise le sujet : « Le management, du nazisme à aujourd’hui » pour faire l’histoire de cette notion à travers le parcours biographique et philosophique d’un général SS, Reinhard Höhn, reconverti en formateur de managers après la deuxième guerre mondiale. Les collaborateurs d’Adenauer viennent souvent du nazisme pour lutter contre l’ennemi soviétique et promouvoir la « cogestion » et la « codécision » pour abolir la lutte des classes. Continuer la lecture

A propos de virus…

Derrière le virus…

Le coronavirus est un révélateur – au sens photographique – implacable.
D’abord du néolibéralisme dans ses caractéristiques fondamentales : privatisation comme modalité de fonctionnement de la société avec comme conséquences la déstructuration des services publics et un développement anarchique faisant éclater les secteurs stratégiques tout autant que les fonctions régaliennes à l’exception des forces de répression. C’est le double aspect du néolibéralisme : la volonté de détruire la forme sociale de l’État – i.e. « le welfare state », État-providence – et s’orienter vers la forme répressive de l’État, une tendance qui trouve des résistances sociales importantes.
Ce constat est manifeste. La crise sanitaire est une crise du service public de santé. Tous les gens qui applaudissent à 20 heures devraient d’abord tirer ce constat des effets du néolibéralisme et se battre pour l’augmentation des crédits, revendications portées par les personnels de santé depuis plus d’un an par des grèves à répétition. Continuer la lecture

Le futur d’Israël ?

Le risque géopolitique de l’éclatement du Moyen Orient.

Alexandra Schwartzbrod s’est lancée dans un cycle consacré à Israël dans un avenir indéterminé. « Les lumières de Tel-Aviv »en est la dernière manifestation. Le mur, ouvrage de division voulu par « Bibi », veut séparer les Palestiniens des Israéliens, pour isoler, découper les villages palestiniens et empêcher la naissance d’un territoire qui pourrait servir de bas à la définition d’un État séparé de celui d’Israël. Elle met en évidence la réalité. La négation des droits des Palestiniens, les sous citoyens que sont les Arabes israéliens et le domination de plus en plus, visible de la corruption et de la religion via les petits partis qui pèsent dans les coalitions parlementaires. Le poids croissant de la mafia russe est une autre composante de l’Israël d’aujourd’hui. Continuer la lecture

Cinéma, pour Fellini

Le rêve créateur.
Pour fêter dignement les 100 ans de Federico Fellini (1920-1993), la publication du « Livre de mes rêves » est un cadeau merveilleux qui ouvre des portes à la compréhension de l’œuvre du cinéaste. Toute sa vie, il a noté ses rêves pour vivre plusieurs vies et alimenter ses films. La création provient des sortilèges de la nuit, du sommeil réparateur parce qu’il permet de faire fonctionner l’usine à fantasmes pour faire surgir d’autres possibles, d’autres réalités. Il se raconte que Fellini, à la fin de sa vie, ne pouvait plus dormir suffisamment avec comme conséquence des intrigues moins fournies en images. Savoir dormir est un grand privilège que démontre ce livre. Le souvenir des rêves, même retranscrits, est une reconstruction comme l’avait démontré Georges Pérec. Rêver pour filmer ses rêves est un des summum de l’altruisme, du partage. . Ce grand et Beau Livre retranscrit le manuscrit original, illustré des dessins de Fellini. Le tout introduit par des spécialistes et témoignages, traduit en français à la fin. Indispensable !
N.B.
« Le livre de mes rêves », Federico Fellini, sous la direction de Sergio Toffetti, 584 pages, 450 illustrations, Flammarion, 75 euros.

Faire aimer le cinéma
Un titre oxymorique, « Petite histoire du cinéma » pour permettre de s’introduire dans ce monde étrange et fantastique. L’intérêt est d ans la multiplication des entrées : les films bien sur – une cinquantaine sont passés en revue -, mais surtout les genres – on y apprend l’existence de films « Race Series » en directions de la population africaine-américaine, dés 1920 – et les techniques pour comprendre la manière de « faire ». Petit livre qui ouvre des perspectives et donne envie d’en savoir plus.
N.B.
« Petite histoire du cinéma », Ian Haydn Smith, Flammarion.

Jazz vocal

Deux chanteuses :
Anne Ducros et Sarah Lancman

Anne Ducros fait la preuve dans « Something » de la plénitude de ses moyens. Elle n’en fait ni trop ni pas assez en compagnie de Adrien Moignard, guitariste à la touche manouche et de Diego Imbert, contrebassiste au rythme élastique et sûr. Le titre éponyme des Beatles, de l’album « Abbey Road » (1969) est retravaillé pour accéder à un nouveau statut, celui de « standard ». Tout est ici transfiguré par les arrangements et la voix.
Sarah Lancman poursuit sa route en revenant à ses racines. « Parisienne » est –elle et reste. En compagnie de Giovanni Mirabassi, piano, Laurent Vernerey, contrebasse et Stéphane Huchard, batterie notamment, elle propose ses compositions pour un parcours amoureux. Une voix toujours aussi sensuel qui ne renie pas ses influences et se permet des échappées vers d’autres cieux.
« Something », Anne Ducros, Sunset Records/L’autre distribution ; « Parisienne », Sarah Lancman, Jazz Eleven.

JAZZ, sur la piste de l’Oiseau

Pour les 100 ans d’un oiseau de feu, de sang pour illuminer le monde
Charlie Parker ? Il en est qui ne connaissent pas. Ne savent pas que cet oiseau bizarre, « Bird », est capable de tutoyer les cimes, les cieux et même le soleil. Il sait s’envoler vers des contrées inexplorées, vers une jungle qu’il est seul à reconnaître comme si ces paysages s’offraient à lui pour lui éviter toute répétition. « Je l’ai déjà joué demain » lui faisait Julio Cortazar dans « L’homme à l’affût » pour illustrer la volonté de Charlie Parker de ne jamais se copier, même dans le futur. Cortazar avait bien cerné le génie et l’impossibilité de se faire comprendre par d’autres sinon de se laisser transporter dans ces contrées étranges que personne n’avait visitées avant lui. Et ne les visiteras après lui. Elles restent inaccessibles. Le Bird aurait 100 ans cette année. Un âge canonique qui ne l’empêche pas d’être un fantôme actif et vivant.
Découvrir Parker, au-delà du film de Eastwood, est un grand moment. S’il fallait une figure au génie, il faudrait le choisir. Coule du saxophone alto des vies, des rêves, un temps spécifique accéléré, diffracté dans un espace toujours redéfini. Un univers en constante permutation, ouverture. Parker est le créateur du nouveau langage du jazz, après la deuxième guerre mondiale, le be-bop. Continuer la lecture

A lire

« Modernité » dit-il
Baudelaire a inventé le concept de modernité et le 19e siècle l’a conjugué. Les recherches se sont multipliées sur ce siècle fondateur d’un capitalisme libéral et néolibéral. Emmanuel Fureix et François Jarrige dans « La modernité désenchantée » proposent de « relire l’histoire du 19e siècle français. Une synthèse des travaux disponibles. L’éclatement des sciences sociales en plusieurs branches, la modernisation, les avant-gardes culturelles, les identités et tout autant la révolution et l’émancipation datent de siècle. Le concept de lutte de classes avec Saint-Simon et Marx se construit comme celui d’État et de société civile. La modernité détruit, un facteur de mal-être, et construit dans un processus renouvelé. Une réflexion nécessaire pour construire le 21e siècle.

« La modernité désenchantée », E. Fureix et F. Jarrige, La Découverte

Fantastique !
Keigo Higashino est un auteur – japonais – de polars dont les intrigues font la part belle aux tares de la société et aux préjugés qui empêchent l’individu de se réaliser. « Les miracles du bazar Namya » est une incursion dans le fantastique inscrit dans la réalité la plus quotidienne et même sordide pour un hymne à la fraternité. Le bazar a des vertus secrètes qui se découvrent et permet de dévoiler la capacité de chacun-e de se soucier de l’autre. Il fallait inscrire cette histoire dans le sur-réalisme pour la rendre crédible. Notre monde « réel » aurait-il abandonné toute velléité de fraternité ?

« Les miracles du bazar Namya », K. Higashino, traduit par Sophie Refle, Actes Sud