La poésie vitale pour la science

Dieu (la technique) contre la vie (l’écologie)

Aurélien Barreau, astrophysicien, pourfend « L’hypothèse K. », titre de son essai, « le crabe » – karkinos en grec -, le cancer de la technique qui diffuse, par la science, des cellules malignes qui gangrènent toute la société en ignorant les conséquences sur tout le vivant de la crise écologique. K aussi comme Kafka, riant du système bureaucratique qui conduit à se considérer comme Dieu alors qu’il s’agit de vivre. L’auteur oublie un « k » sous jacent, le capitalisme dans sa notation en économie. Il prône le recours à la poésie pour interroger la science, pour éviter de s’enfoncer dans les solutions techniques en recourant à l’imagination pour trouver d’autres réponses, d’autres voies. Drôle, stimulant, nécessaire face à tous les « Chat GPT », incapables de poétique, qui nous entraîne dans la répétition du passé.
« L’hypothèse k. La science face à la catastrophe écologique », Aurélien Barreau, Grasset.

Louise Glück, Etel Adnan : visions de notre temps

La poésie, une arme de combat

La tradition bousculée pour ouvrir la porte à la modernité et à l’imagination.

La poésie vient contester toutes nos certitudes pour interroger le monde, pour faire surgir, souvent avec les mots de tous les jours, des images de nos fantômes issus des mémoires réelles ou imaginées. La modernité, comme pour la musique, se fracasse sur la tradition pour lui donner de nouvelles significations. C’est le cas de Louise Glück qui se sert des figures de l’Antiquité et un peu de la tradition juive pour parler de notre présent, de ce temps suspendu devant un monde – celui du 11 septembre 2001 et après – privé de valeurs communes. La Prix Nobel de littérature 2020 – la 16e femme à l’avoir obtenu – nous a quitté le 13 octobre 2023 sans être traduite en français. Marie Olivier, présente et traduit trois recueils, parmi les plus récents : L’iris sauvage, Meadowlands et Averno, en une édition bilingue pour faire apprécier le rythme des mots dans la langue originale. Continuer la lecture

Le polar dans ses modes

Polar politique
« Les morts de Beauraing » est en prise avec les réalités déformées qui nous servent d’environnement. Un attentat a eu lieu dans cette agglomération bruxelloise. Il a visé la communauté catholique et le banc des accusé.e.s est rempli de jeunes belges attirés par le djihad. Un choc. Yves Demeulemeester et Leopold Verbist, associés dans une petite agence de presse, décident d’enquêter. Et la vision simpliste d’un ministre de l’intérieur perd de sa netteté. Se mêlent à eux, une militaire d’active, Ingrid Mertens, qui veut venger la mort de son fils adoptif pour faire imploser toutes les données et faire jaillir d’autres pistes, d’autres intérêts de groupes qui n’ont aucun respect pour la vie humaine et veulent servir Dieu, le grand diviseur de notre temps. Les responsables ne sont pas là où tout le monde regarde. Continuer la lecture

La poésie saisie par l’indicible

Poésie noire et lumineuse
Nelly Sachs, en compagnie de sa mère, sortira in extremis de l’Allemagne nazie le 16 mai 1940, alors qu’elle a reçu l’ordre de rejoindre un camp d’extermination, pour se réfugier à Stockholm. Se pose alors pour elle la question qui agite les rescapé.e.s, comment écrire ? Que devient la poésie face à cet effondrement de toutes les valeurs humaines ? La poésie est-elle possible pour dire l’indicible ? Elle répondra de deux façons. D’abord en se plongeant dans la tradition juive, particulièrement le Talmud, un recueil d’interrogations, qui fournit des bribes de réponses – le rire en est une – qui suscitent de nouvelles questions et le rythme – à l’instar du jazz qui transforme un thème par l’accélération ou le ralentissement du tempo – pour provoquer un tremblement de la pensée en le transformant en une force de vivre inaltérable.
« Exode et métamorphose », titre de ce recueil, outre une présentation nécessaire de Jean-Yves Masson de l’autrice contient « Dans les demeures de la mort », écrits de 1943 à 1947, « Eclipse d’étoile » de 1947-48 et « Personne n’en sait davantage » de 1952-57 qui donne la vision du monde de Nelly Sachs, d’un monde habité par des fantômes côtoyant les vivants, une cohabitation dansante souvent, soulevant les questions de la mémoire et du travail nécessaire pour la sauvegarder. « Exode et métamorphose », daté de 1958-59, brasse tous les thèmes y compris philosophiques – elle évoque Spinoza -, en synthétisant la situation des rescapé.e.s ni dans le monde ni en dehors, toujours l’exode, toujours la nécessité d’une métamorphose, toujours sur la brèche entre la vie et la mort, toujours le même et toujours différent.
Les notes permettent de comprendre quelques références bibliques ou théâtrales – elle écrit aussi pour le théâtre –, entre autres, pour éclairer le texte qui bénéficie d’une traduction, de Mireille Gansel qui respecte le rythme de cette poésie déséquilibrée par le génocide.
Nicolas Béniès
« Exode et métamorphose », Nelly Sachs traduit par Mireille Gansel, Poésie/Gallimard

Mémoire de 1999, du côté du blues

Le blues dans tous ses états…

Quelle place occupe le blues – il faudrait utiliser le pluriel – dans l’histoire de la communauté africaine-américaine ? Quelles fonctions a-t-il joué ? Robert Springer, poursuivant ses analyses sociologiques commencées avec Le blues authentique (1985, Filipacchi) se penche sur Les fonctions sociales du blues, aux éditions Parenthèses dans la collection Eupalinos. Il part des fonctions les plus évidentes, les plus visibles pour arriver aux fonctions essentielles et cachées. Pour conclure sur la fonction unificatrice de la communauté que le bluesman suscite simplement en racontant ses histoires qui donne l’impression d’être individuelles. Par l’intermédiaire des relations hommes/femmes, il diffuse l’image des relations Blancs/Noirs. Sans sous estimer le «machisme » des mondes du blues, une réalité par trop présente. Comme le disait Zora Neale Hurston dont l’autobiographie, Des pas dans la poussière (Éditions de l’Aube) vient de paraître en français, la femme noire est la «mule » de l’homme noir… Continuer la lecture

Centenaire en 2000

Pour Jacques Prévert

Ce 4 février 2000, il aurait eu 100 ans. Le bel âge aurait-il dit. Car tous les âges de la vie sont beaux. Il n’y a guère que les flics et les militaires pour ne pas s’en apercevoir. Parce qu’ils ne voient pas la lumière. Empêtrées dans ce qu’ils croient être la réalité, ils s’engluent dans la répression. Comme si toute révolte était soluble dans la répression. Il avait hérité cette phobie de son grand-père, vieil homme irascible sur de son bon droit et de sa connerie qui avait martyrisé son père. Des années plus tard, le père continuera à en faire des cauchemars. Comme quoi Freud n’est pas loin… Continuer la lecture

Un Debord éternellement vivant

Une ode à la jeunesse capable de vivre d’autres vies.

« Debord, printemps » n’a pas vraiment de statut. Pas un essai, pas un poème, pas une biographie, pas non plus vraiment portrait d’une jeunesse et d’une époque, pas vraiment saga, pas vraiment politique mais un peu de tout, pour un mélange explosif, virulent, sauvage. Le thème apparent, La figure de Guy Debord, jeune homme réfugié dans son îlot de Saint-Germain-des-Prés, entre différentes cavernes où se retrouvent un groupe de dissidents qui refusent la société de ces années cinquante appelées plus tard « les 30 glorieuses » (dixit Fourastié). « Ne travaillez pas » est le slogan affiché de ces lettristes d’abord puis situationnistes ». L’internationale que constitue Debord est striée d’exclusions, souvent à motif aviné ? Cette jeunesse rêve, construit un monde étrange autour d’elle-même animé par la volonté farouche de ne pas être digéré par ce monde inconnu pour elle. Continuer la lecture

Vider vos poches. Poésie

Poètes, unissez-vous
Italienne : Cesare Pavese a publié ce recueil, « Travailler use » en 1936, qu’il a revu en 1943. Édition bilingue, elle permet d’entrer dans l’univers de ce poète marginal, original influencé par Walt Whitman qu’il a traduit. Il cherche l’utopie dans la réalité et la réalité dans l’utopie, dans l’imagination. Le lyrisme naît de la description clinique d’une ville, Turin, et d’une campagne stylisées.
« Travailler use », Choix et préface de Carlo Ossola, traduit, annoté et présenté par Léo Texier, Rivages/poche

Féministe : Lydie Dattas. « Le livre des anges suivi de La Nuit spirituelle et de Carnet d’une allumeuse », le dernier tableau se voulant la réponse féminine d’« une saison en enfer » de Rimbaud. Elle revendique de parler des femmes tout en rejetant le féminisme moderne, nouvel avatar de la domination des hommes. Sa langue musicale se sert des modalités du refrain pour changer de ton.
« Le livre des anges », préface de Christian Bobin, Poésie/Gallimard

Émancipateur : Armand Gatti. Il a fait le choix de la démesuré et a voulu inventer un langage émancipateur en suscitant la révolte. Il est connu pour son théâtre mais se définissait comme poète. Un choix de ses poèmes pour le découvrir comme il voulait l’être. Un baril de poudre contre l’ordre établi.
« Comme battements d’ailes, Poésie 1961-1999 », Choix et préface de Michel Séonnet, Poésie/Gallimard

Inédit : Erri De Luca en édition bilingue. Pour cette édition française, l’auteur a adjoint à « Aller simple » et à « L’hôte impénitent » dans leur intégralité, des poèmes inédits qui fait de cette publication un « collector ». Évocation des migrants arrivés sur la terre italienne victimes de l’indifférence mortelle après tous les dangers subis. Écriture précise qui laisse de la place au mystère, aux conclusions opposées mais aussi aux petits bonheurs.
« Aller simple », traduit par Danièle Valin, Poésie/Gallimard

Des nouvelles du monde

Nouvelles en revue

« Graminées », un nom de famille en botanique pour signifier l’étendue des sujets, géographiques notamment, brassés, se veut le réceptacle d’auteurs et d’autrices du monde à l’exception de la France. Pour ce numéro 3, « Promesse(s) », la Malaisie ouvre le feu d’artifices – « Le Mur » de Ho Sok Fong – et le Canada lui fait vivre ses derniers soubresauts – « La dernière femme sur terre » de Carleigh Baker – en passant par le Kenya, l’Ouganda et la Nouvelle-Calédonie entre autres.
Non seulement une manière de voyager mais aussi de découvrir des paysages extérieurs comme intérieurs poésies fantastiques ou quotidiennes ou les deux mêlées pour offrir de la littérature. L’art de la nouvelle est contraint. Peu de mots pour évoquer contexte, personnages et situations. Problème que le traducteur ou traductrice se doit aussi de résoudre pour le public français. Il fallait donc bien leur faire la part belle. Iels sont interrogé.e.s pour expliquer leur choix et leur manière de faire. Les illustrateurs et illustratrices sont aussi présenté.e.s pour permettre de les retrouver dans d’autres compagnonnages.
Un objet artistique original pour s’apercevoir des richesses de notre humanité.
Nicolas Béniès
« Graminées. Nouvelles étrangères », N°3, « Promesse(s) », décembre 2021

Polar ? Grande littérature ? Pour Naples !

Ceci est une chanson d’amour.

Maurizio De Giovanni habite son commissaire, Ricciardi aux yeux verts étranges et au comportement qui l’est plus encore, et sa ville, Naples avec ses baisers de feu bien connus. Le fil conducteur est une initiation à la manière de jouer, de la mandoline bien entendu, pour accompagner une chanson d’amour et de désespoir rempli d’espérances, pour faire partager ces sentiments contradictoires face à l’être aimé.e. « Tu vas me faire souffrir mais comment t’échapper ? » Continuer la lecture