Désagrégation de l’URSS

Un pays éclaté, corrompu.

La réédition en poche de cette saga de soldats perdus appelés « Afghans » pour leur participation à la guerre menée par l’URSS en Afghanistan, soldats perdus d’une défaite dont personne ne veut se souvenir comme à chaque fois et quelque soit le pays, est totalement dans notre actualité la plus brutale. « Le dernier afghan », d’Alexeï Ivanov, est un roman un peu onirique, vécue dans les brumes des drogues illicites et de la vodka d’une cohorte de jeunes gens rejetés de la société qui essaient de trouver les voies et les moyens de survivre et d’exister sous la conduite d’un chef charismatique et leurs déchirements. C’est aussi l’histoire d’une société en train de perdre tous ses repères, toutes ses références pour entrer dans un nouveau monde en même temps qu’une corruption qui gangrène tous les rapports sociaux et amicaux. Continuer la lecture

Un polar humaniste

Un polar étrange venu d’ici

Benoît Séverac prend Versailles comme terrain d’expérimentation par l’opposition entre le château, luxueux représentant une bourgeoisie aristocratique sure d’elle-même et de son bon droit face aux quartiers dits sensibles. Son personnage, le commandant Cérisol, est loin de James Bond – mais proche de Carella pour les lecteurs d’Ed McBain – marié à une jeune femme aveugle, adepte du handisport, en proie à une multitude de questions sur son travail de flic, sur ses relations avec sa jeune collègue au nom polonais imprononçable, sur son couple pour nous le rendre proche et vivant. Les enquêtes elles-mêmes sont liées à des questions d’actualité en particulier sur la signification du développement personnel comme un facteur d’égoïsme total.
Tous les personnages existent, leurs motivations acceptables et leurs intrigues à la fois passionnantes et ridicules. Continuer la lecture

Polar suédois, Questions d’actualité


La nuit tombe vite à Stockholm en novembre

Pascal Engman, auteur suédois à la figure juvénile si j’en crois la photo, sait, comme personne, se saisir des sujets d’actualité pour les raconter sous la forme d’une fiction crédible qui attire en même temps l’attention sur des questions à résoudre. Son roman précédent au titre explicite « Féminicide » avait été un succès. Dans « Les veuves », les personnages principaux se retrouvent à commencer par Vanessa Frank et Nicolas Paredes, couple qui n’arrive pas à se former tout en se retrouvant. Les veuves, ce sont les femmes des « croisés » de Daech décidées à venger leur mari, leur frère, les enfants tués dans ces guerres étranges, sorte de renouveau des dogmes religieux dans nos sociétés dénuées de toute spiritualité, soumis à la règle de la rentabilité maximum. Le fanatisme de l’argent-roi a répondu le fanatisme religieux qui ne s’appuie réellement sur aucun texte sinon sur la haine de l’autre pour oublier la haine de soi et sa propre responsabilité. Continuer la lecture

La guerre de 100 ans en direct, via Conan Doyle

Paris, 1427

La guerre de 100ans aux prismes des aventures de Holmes
Jean d’Aillon trouve dans la guerre dite de 100 ans qui opposa le royaume de France en formation au royaume d’Angleterre via les Armagnacs et les Bourguignons, le contexte historique pour projeter Conan Doyle dans un passé inconnu de lui. Au moment où nous surprend l’auteur, nous nous trouvons projeté à Paris sous la régence du duc de Bedfort sous domination anglaise donc. Paris est enveloppé par un terrible hiver puis un printemps de pluies diluviennes qui laissa les Parisiens non seulement transi de froid mais aussi souffrant de disette et de hausse des prix.
La guerre reculait un peu devant la violence des éléments « naturels ». Les descriptions du Paris de cette année valent la peine d’être lues, une autre manière de faire de l’Histoire au plus prés des populations. L’enquête que mène Holmes – Edward ici » en compagnie bien sur de Watson – Gower – est multiple : un éventreur, une prophétesse qui se cache, ‘ »La prophétesse voilée » est le titre de cet opus, recherchée par deux individus commandités par des maîtres différents et pour des raisons sans commune raison, des complots à n’en plus finir, la prison insalubre du Châtelet… pour des tiroirs qui s’ouvrent les uns sur les autres, pour arriver à une fin qui arrange tout le monde.
Le plaisir est quasiment toujours au rendez-vous de l’Histoire – la Pucelle d’Orléans, Jeanne, n’est pas loin – et des histoires. Les références à l’œuvre de Conan Doyle sont présentes mais noyées dans le flot de cette guerre interminable.
Nicolas Béniès
« La prophétesse voilée. Les chroniques d’Edward Holmes et Gower Watson », Jean d’Aillon, 10/18

Surveillance réciproque, drôle de société !

Un western nordique et moderne

La trame est vieille comme le premier western : le Mal d’un côté, ici Kim Sleizner, chef de la police criminelle de Copenhague, corrompu, violeur – le shériff -, de l’autre le Bien, l’ex inspectrice de la police danoise, Dunja Hougaard qui veut faire tomber le système tout entier qui mêle milliardaire, politiciens, juges et policiers. Un affrontement de Titans où, je vous rassure, là aucun suspense, le Bien gagnera mais le plus difficilement possible. Seul l’amour résiste, bien sur.
« Coup de grâce », de Stefan Ahnhem raconte cette histoire. Il l’emmêle avec la mort d’un ado dont le père, lui-même inspecteur mais de la police suédoise, trouve suspecte. Les fils de ces intriguent se nouent autour de la figure du Mal.
L’auteur sème les composants de la modernisation de son western. Les technologies numériques, mouchards, surveillances réciproques, tortures, un peu d’intelligence artificielle, une secte de gens bien placés da ns la société qui se livrent à des jeux sexuels interdits et pas seulement par la morale. Un aléa, la mort du chef des services secrets, déclenchera toute la mécanique. La conscience professionnelle d’un inspecteur qui doit pourtant sa carrière à Sleizner permettra à l’enquête de suivre son cours en un parcours bien sur escarpé.
Les descriptions des villes, des quartiers, des familles viennent donner un semblant de crédibilité pour obliger à rester dans ce monde étrange et qui devrait nous être étranger. Ce n’est pas le cas et le talent de l’auteur y est pour beaucoup. Non seulement on y croit mais on marche, on veut savoir à quel moment et dans quelles conditions le coup de grâce sera donné. Et personne ne sera déçu.
Nicolas Béniès
« Le coup de grâce », Stefan Ahnhem traduit du suédois par Caroline Berg, Albin Michel

Elémentaire mon cher Watson : Agatha Christie ressuscitée

Policier classique

Katy Watson, pour son premier roman policier – à qui il manque tous les attributs du polar -, a choisi de rendre un hommage appuyé à Agatha Christie. C’est vrai que tout y est : une vieille demeure anglaise aux charmes désuets, une vieille famille secouée, comme il se doit, de secrets, des amants vieillis sous le harnais de l’adultère. Le brin de modernité vient d’une équipe de cinéma venue pour la promotion de son prochain film qui se passera dans le château dit « Aldermere House », héritage de l’autrice Lettice Davenport, dont un des romans est à l’origine du scénario du film. « Meurtres à Aldermere House » semble être le début d’une série. Continuer la lecture

Polar : la sage-femme enquête


Metz, 1812

Victoire Montfort, sage-femme, continue son travail pour révéler les difficultés des femmes en butte à la fois aux archaïsmes et aux pouvoirs des vieilles qui se veulent savantes sous prétexte de leur âge tout en se lançant dans des enquêtes en compagnie ou contre son mari le le commissaire . Une enquête aux résonances actuelles. Comment répandre des « fake news avant les réseaux sociaux » ? En diffusant un mensonge porté par plusieurs personnes obligeant le commissaire à considérer comme suspect un innocent du crime commis sur un auxiliaire du juge pour faire éclater un trafic de contrebande dans le contexte du blocus du commerce avec la Grande-Bretagne décidé par Napoléon. Continuer la lecture

Du réel habillé en fiction ou l’inverse…

Un faux-vrai roman, un vrai-faux documentaire

« Les paralysés », de Richard Krawiec, se situe dans les années 1980, années de récession profonde aux États-Unis. Les fermetures d’usine se succèdent, le chômage enfle, les subsides se raréfient – Reagan remet en cause tous les chèques de subsistance pour les plus démunis – et les quartiers populaires se dégradent. La drogue, l’alcool veulent faire oublier la réalité. Pire encore quand on est amputé des deux jambes, comme c’est le cas de Donjie, le héros de cette histoire.
Une description clinique des laissés pour compte avec leurs contradictions. Faut-il pour survivre s’attaquer aux plus faible ? Continuer la lecture

Polar. Mémoires coupables

L’hérédité enchaînée
« La théorie des ondes » souffre d’une construction curieuse, des allers-retours dans le temps pas toujours maîtrisés pour obliger le lecteur à perser le poids de l’hérédité sans pourtant, heureusement, convaincre. Une affaire de représentation et de culpabilité conjuguées au présent. Le point de départ, le viol et le meurtre de femmes répondant aux même caractéristiques. Catherine Gauthier est une enquêtrice, ex flic de la Ferroviaire, au service d’un avocat, Pierson. Elle veut se punir d’avoir tué un adolescent.
Le cadre, la ville de Chalon-sur-Saône où tout le monde a l’air de se connaître, joue aussi un rôle dans la construction de l’enquête qui aura de multiples ramifications. La fermeture de l’usine Kodak, laissant des centaines de salarié.e.s sans avenir et des cadres dépossédés de leur qualification se réunissant pour se souvenir, se saouler et s’engueuler. Le désespoir noyé dans l’alcool est un facteur de suicide. Continuer la lecture

Polars historiques, 1360, 326 les années 1960 ou plus tard…


Le Royaume de France en 1360

Les livres d’Histoire ont longtemps parlé de la « guerre de 100 ans », manière d’écrire a posteriori pour des guerres continuelles de formation des royaumes, de dessin des frontières et de la création d’États centralisés que seront les monarchies absolues. En 1360, la désorganisation est totale. Les luttes internes, les intrigues, les alliances se nouent et se dénouent à la vitesse des tempêtes. L’absence d’armées officielles ouvre grand les portes aux mercenaires qui, faute d’engagements, se livrent à des destructions organisées ou sauvages au détriment de l’ensemble des populations. Continuer la lecture