Jazz. Mémoires vivantes

Sur les bords du monde.

Le TransEuropeExpress Ensemble, orchestre franco allemand, enregistré sur un label hongrois, a voulu dépasser ses frontières ou plutôt les éclater. « On the Edges 1 » se trouve sous le sceau du Maghreb, « Maghreb express » traduit le leader de l’orchestre le pianiste, compositeur et arrangeur Hans Lüdemann. Pour réaliser ce projet, il a invité Majid Bekkas enraciné dans la tradition Gnawa et musicien accompli tout comme Yves Robert au trombone, Silke Eberhard, saxophone alto, clarinette, basse clarinette, Alexandra Grimal, saxophone ténor, soprano, Régis Huby, violon, Ronny Graupe, guitare, Sébastien Boisseau, contrebasse et Dejan Terzic, batterie, percussions.
Une musique qui déborde, brassant les mémoires, les cultures pour construire une chaîne de vies, d’échanges pour lutter contre tous les rejets, tous les racismes. La volonté de transgression est manifeste pour faire sauter tous les verrous et se transporter vers un projet universel de dépassement des préjugés, pour faire dialoguer toutes les identités et les dépasser. « On the Edges » Sur les bords mais aussi à l’avant garde pour faire émerger une culture universelle.
Nicolas Béniès
« On the Edges 1 », Hans Lüdemann, TransEuropeExpress Ensemble featuring Majid Bekkas, BMC Records

Des nouvelles du monde

Nouvelles en revue

« Graminées », un nom de famille en botanique pour signifier l’étendue des sujets, géographiques notamment, brassés, se veut le réceptacle d’auteurs et d’autrices du monde à l’exception de la France. Pour ce numéro 3, « Promesse(s) », la Malaisie ouvre le feu d’artifices – « Le Mur » de Ho Sok Fong – et le Canada lui fait vivre ses derniers soubresauts – « La dernière femme sur terre » de Carleigh Baker – en passant par le Kenya, l’Ouganda et la Nouvelle-Calédonie entre autres.
Non seulement une manière de voyager mais aussi de découvrir des paysages extérieurs comme intérieurs poésies fantastiques ou quotidiennes ou les deux mêlées pour offrir de la littérature. L’art de la nouvelle est contraint. Peu de mots pour évoquer contexte, personnages et situations. Problème que le traducteur ou traductrice se doit aussi de résoudre pour le public français. Il fallait donc bien leur faire la part belle. Iels sont interrogé.e.s pour expliquer leur choix et leur manière de faire. Les illustrateurs et illustratrices sont aussi présenté.e.s pour permettre de les retrouver dans d’autres compagnonnages.
Un objet artistique original pour s’apercevoir des richesses de notre humanité.
Nicolas Béniès
« Graminées. Nouvelles étrangères », N°3, « Promesse(s) », décembre 2021

L’extrême droite comme objet d’étude pluridisciplinaire

Un essai nécessaire et stimulant

« Les masques de l’extrême droite » est à la fois une mise en garde contre les illusions des discours, des costumes – dans tous les sens du terme – et des transformations des apparences autant physiques, le choix des couleurs par exemple, que de la rhétorique, le choix des mots pour masquer l’orientation inchangée de l’extrême droite. Le rapport à Poutine – dont ne parle pas Raphaël Llorca, la guerre intervient après la publication du livre – clarifie la stratégie de Marine Le Pen comme d’Eric Zemmour. Continuer la lecture

Jazz, Bousculer la tradition pour la faire vivre : de la Suisse à Chet Baker

La musique de la Suisse dans l »œil du jazz

Florian Favre, pianiste et Suisse de Fribourg, veut, dans cet album au titre plein de passé qui pourrait le faire passer pour un nostalgique, « Idantitâ », rendre actuelle la tradition musicale de son pays tout en proposant, aussi au piano préparé comme à la voix, des portraits. Dans le nom du label – Traumton – figure le rêve d’un avenir fraternel qui retrouverait ses racines pour dialoguer avec l’autre échanger et créer. Continuer la lecture

Polar historique, le temps de l’affaire Dreyfus

1898, la République contestée

Lyon, sa police, ses bizarres héros, ses assassins, ses espions et les désirs d’une démocratie vivante forment la trame de ce roman. Gwenaël Bulteau raconte plusieurs histoires qui trouvent leur origine dans la guerre de 1870, La Commune – celle de Lyon a eu une existence encore plus éphémère que celle de Paris – et dans l’affaire Dreyfus qui secoue la France. Cette année là, Zola publie dans l’Aurore « J’accuse » qui provoque des émeutes. La police, comme l’armée est anti dreyfusarde dans sa grande majorité. « La République des faibles » est un titre volontairement ambigu. Il peut faire référence à la faiblesse de cette République aux mains de la hiérarchie militaire antisémite, des faibles laissés à l’abandon qui ne participent pas à la vie publique et aux faiblesses générales de cette société incapable de se comprendre.
C’est dans cette ambiance que le commissaire Soubielle est chargé de plusieurs enquêtes. Le meurtre d’un policier, la disparition d’enfants et d’autres encore qui viennent se raccrocher dont une femme qui n’a pas conscience de sa maternité. Cerise sur le gâteau déjà bien consistant, il va être père et hésite entre la joie et le rejet.
Bulteau peint des portraits de flics qui permettent de s’immiscer dans ces temps lointains. Il les présente dans toutes leurs facettes pour non seulement dresser le portrait d’une époque mais aussi de contribuer à l’histoire de la police.
Une réussite, historique et policière.
Nicolas Béniès
« La République des faibles », Gwenaël Bulteau, 10/18

Un travail à poursuivre

Le passé comme miroir du présent.

Roland Guillon poursuit une réflexion sur les relations entre les évolutions de la musique – il a débuté par le jazz – et le contexte socio-économique. Dans cette perspective et pour donner des idées aux compositeurs contemporains, il a voulu analyser la musique des années 1920, en dehors du jazz . Temps de révolutions, il passe en revue les grands compositeurs à commencer par Ravel et Gershwin pour tenter un classement suivant leurs orientations. Cet « essai » propose surtout des éléments pour construire une réflexion qui manque sur la période. Un travail nécessaire qui inclut les relations entre les compositeurs passés en revue et le jazz comme les influences réciproques.
Un oubli : Roland Guillon ne traite pas de Germaine Tailleferre qui fait partie du groupe des 6 sans doute parce que ses œuvres restent non jouées, du moins à ma connaissance, Serait-ce parce qu’elle est une femme ? Les autres membres, Georges Auric, Louis Durey, Arthur Honegger, Darius Milhaud, Francis Poulenc ont jonglé avec bonheur avec la postérité. Les 6 sont représentés par le peintre Émile Blanche, en 1923.
N.B.
« Essai sur la musique des années 1920 », Roland Guillon, L’Harmattan, 83 pages.

Quand les frontières se brouillent entre fiction et réalité… Afrique du Sud et États-Unis


La littérature permet d’appréhender les mécanismes sociaux et la manière dont les individus les vivent.

L’Afrique du Sud est une société où la corruption s’affiche à tous les étages. Deon Meyer s’en est fait une spécialité transformant ses polars en autant d’analyses politiques. Mike Nicol a choisi de prendre pour personnage principal, sa ville Le Cap, capitale administrative. Le meurtre du ministre de l’Énergie est la pointe visible de l’iceberg d’un trafic d’uranium enrichi. Vraisemblablement, l’assassinat a été commandité par une partie du gouvernement, sinon le président lui-même qui ne partageait pas les vues de son ministre s’orientant vers d’autres énergies, renouvelables, que le nucléaire. Derrière s’agitent toutes les officines plus ou moins secrètes, la CIA et même Daesh. « Infiltrée » pour décrire une espionne multi carte qui synthétise tous les brouillards enveloppant la réalité. Le polar et ses techniques est un guide efficace.
Jason Mott a choisi une autre voie pour faire entrer dans le monde étrange des États-Unis, particulièrement ce Sud – South Side – qui, actuellement, est en train de faire voter des lois pour empêcher les populations africaines-américaines d’exercer leur droit de vote. « L’enfant qui voulait disparaître » est une introspection, un dialogue entre un écrivain adulte et l’enfant qu’il a été. Ils veulent oublier la couleur de leur peau pour vivre « comme tout le monde ». Leur environnement politique leur refuse. La peur est leur compagne de tous les jours, de leurs nuits. Elle les empêche de vivre. Le titre original, « Hell of a book », l’enfer dans un livre, est peut-être plus clair même si c’est intraduisible. Un cri de révolte poétique pour sortir du piège. Les États-Unis dans toute leur horreur. L’avenir se trouverait-il dans les mobilisations autour de « Black Lives Matter » ?
Nicolas Béniès
« Infiltrée », Mike Nicol, traduit par Jean Esch, Série noire/Gallimard
« L’enfant qui voulait disparaître », Jason Mott, traduit par Jérôme Schmidt, Éditions autrement.

Jazz. Coffret Helen Merrill

Pour la gloire de Helen Merrill
Née Jelena Ana Miltecic en 1930 à New York (et toujours vivante), Helen a été l’une des grandes vocalistes du jazz dans le milieu des années 1950. Elle a été redécouverte grâce à Jean-Jacques Pussiau pour son label OWL dans les années 1980. Ce coffret de 4 CD, intitulé « Anything Goes » (tout est permis), permet de l’entendre à ses débuts et ses débuts sont remarquables notamment par la collaboration avec Quincy Jones et la présence de Clifford Brown, trompettiste prodigieux, mort un juin 1956.
Les autres albums réunis dans ce premier coffret montrent qu’elle hésite sur la voie à suivre. Vraisemblablement son agent ne lui propose pas que des projets « jazz » mais aussi de la « variété ». Il faut bien essayer de vivre. Elle fait montre de sa volonté à dépasser le matériau proposé,pour l’enrober de sa voix étrange teinté d’un halo brumeux.
Elle endossera le rôle de la blonde pour l’abandonner dans son dernier album publié reprenant son nom de naissance. A (re)découvrir.
N.B.
« Anything Goes », « The Complete 1952-60 », Helen Merrill, livret de Olivier Julien, Frémeaux et associés

Jazz : Kendra Morris, chanteuse et Daniel Erdmann/Christophe Maguet. Nine lives pronto

Faut-il avoir 9 vies ?

Kendra Morris est une chanteuse qui a déjà un passé. « Nine Lives » – 9 vies – marque un nouveau départ. Seule, elle se livre à un exercice, permis sans doute par la pandémie, à la fois intimiste et commun à beaucoup de celles qui ont pris du champ lors des confinements. Sa voix profondément ancrée dans le gospel et la musique soul parle de nous. Les titres mêmes pourraient construire un poème. Une voix qui pénètre dans nos passages secrets pour parler de résistance, de dignité, de force collective. Seule pour faire penser à New York, la ville de Kendra, désertée par les touristes et le travail à domicile. La ville qui ne dort jamais se trouvait dépourvue des bruits traditionnels. Continuer la lecture

Un grand auteur russe : Julian Semenov

Roman d’espionnage historique

Julian Semenov (1931-1993) est un écrivain célèbre en URSS. Sans doute moins dans la Fédération de Russie en raison des réécritures de l’histoire poutiniennes. Il fait œuvre à la fois de romancier et d’historien. « La taupe rouge » a été le premier édité. « Des diamants pour le prolétariat », qui se déroule en 1921 – l’URSS est toute neuve -, semble être le premier opus d’une série qui couvrira toute l’histoire de cette formation politique et sociale via l’espionnage. En avril 1921, la Tchéka charge un jeune agent, Maxime Issaïev – héros récurrent – de récupérer des diamants des possédants pour financer la jeune République des Soviets. Il infiltre le milieu des trafiquants, croise des tueurs, des voleurs tout autant que les révolutionnaires. Continuer la lecture