Jazz, Julian Lage

Retour vers le futur.

Le climat actuel, centenaire du premier disque de jazz oblige peut-on croire, est fait d’un retour vers les origines, le moment où rien n’est codifié, où tous les alliages, les collages sont possibles et ressentis comme nécessaires. Une sauvagerie que Darius Milhaud voulait retrouver. La sauvagerie de la création est une des manières de lutter contre la violence du monde. Manière de faire se rencontrer les révolutions du jazz, celle des premiers temps, de ces années 20 rugissantes, avec celle de ces années 60 appelée « Free Jazz », une sorte de libération profonde à la fois des codes, de tous les codes y compris ceux de la musique et du corps.
Julian Lage, guitariste découvert pour nous aux côtés de Gary Burton, ouvre ses compositions en emmêlant, avec une joie communicative façon de renouer avec la danse, les danses, à tous les vents des grands espaces de ces Etats-Unis d’Amérique qui semblent avoir perdu le goût de la liberté. La « country » prend toute sa place sans oublier les jazz, tous les jazz. Une sorte de souffle bleu qui emporte tout sur son passage. Au-dessus de tout, la guitare capable de tous les sauts, de toutes les acrobaties pour faire sentir la musique autrement. Le trio, habituel de Lage, Scott Colley à la contrebasse et Kenny Wollesen à la batterie (et un peu au vibraphone) habitent les compositions de Lage.
Le titre même de l’album, « Modern Lore », est à lui seul un programme. En forme d’oxymore : moderne s’applique aux connaissances traditionnelles et c’est bien cette réflexion qui est au centre de cette musique.
Nicolas Béniès.
« Modern Lore », Julian Lage, Mack Avenue distribution PIAS

L’assassinat de Martin Luther King

L’autre cinquantenaire

Le 4 avril 1968, le pasteur noir opposé à la guerre du Vietnam, Marin Luther King tombait sous la balle d’un tireur d’élite. Une seule balle avait suffit. Cinquante plus tard, la lumière n’a toujours pas été faite sur les responsables de cet assassinat. James Earl Ray reconnu coupable du coup de feu n’a jamais eu de procès véritable. Il a toujours nié être l’auteur du coup de fusil même si, vraisemblablement, il a participé à la préparation de ce meurtre. Continuer la lecture

Compléments au « souffle de la révolte »

Bonjour,

Le livre, « Le souffle de la révolte » (C&F éditions, comme les autres « Souffle »), ne paraîtra pas, selon toute vraisemblance avant le mois de juin. Il ira de pair, si le vent est favorable, avec la réédition augmentée – et diminuée du CD, il faut dire que les rééditions de « Kind of Blue » sont légions – de « Le souffle bleu ». Il couvre à la fois la préhistoire du jazz, lorsque cette musique ne s’appelait pas encore « jazz » mais ragtime ou autres noms, comme les années 1920 et 1930. Pour appréhender la mémoire du jazz capable de naviguer entre passé et futur pour dégager un présent entouré de mystères.

Avant même la publication, il faut ajouter quelques informations complémentaires.
Il faut se souvenir que les « Harlem Hellfighters » – surnom donné par les troupes françaises à ces combattants Noirs venant de toutes les villes des Etats-Unis – débarquent à Saint-Nazaire et Brest les 31 décembre 1917 et 1er janvier 1918. Ils commencent par faire des travaux d’entretien autour de Nantes pour ensuite s’incorporer aux troupes alliés. Individuellement et collectivement, le régiment d’infanterie sera reconnu, cité – inscrit dans les tablettes de l’armée française en l’occurrence – et décoré. Mais jamais reconnu par l’armée américaine.
Roger Martin dans l’enquête qu’il consacre à l’assassinat de Martin Luther King perpétré le 4 avril 1968 à Memphis, « Le rêve brisé » (De Borée éditeur), apporte quelques éclairages sur les contrôles du haut commandement militaire des soldats Noirs. Chapitre 18, « Big Brother Is Watching you » – référence à George Orwell et à son « 1984 » -, il écrit « (…) le colonel Ralph Van Deman a été à l’origine d’une politique de méfiance systématique qui conduisit à un fichage massif de Noirs par des organismes officiels du gouvernement américain. » Continuer la lecture

Ne pas perdre la mémoire…

Mémoires imaginaires ?

« Celui qui disait non » est présenté comme un premier roman. Premier sans doute mais roman ? L’histoire de cet homme, August, qui décide un jour de 1936 de ne plus faire le salut nazi. Il aime Irma que les nazis considèrent comme juive. Cette détermination de « juive » permet un passage dans les textes administratifs du régime nazi. Un examen surréaliste qui compile tous les critères pour permettre de conclure qu’une personne est juive. Le rire est proche du drame.
L’amour, c’est la conviction de l’auteure, conduit à la révolte et, dans le contexte, au camp de concentration. Adeline Baldacchino ne raconte pas, elle vit cette rencontre imaginaire, alimentée par les témoignages des descendantes, les filles du couple comme une polarisation face à la mémoire et à son travail nécessaire. L’une ignore et l’autre se plonge dans son passé. L’objectif de l’auteure dépasse cette histoire pour devenir plus personnelle. Elle voudrait, par cette histoire à la fois d’amour et de filiation mieux cerner… son père qui devient soudain le personnage principal.
Un récit qui touche au plus profond de nous-mêmes. Comment communiquer avec ses ascendants et ses descendants ? Adolescent, la mémoire, le murmure du temps nous laissent indifférents, après, il est souvent trop tard. C’est une des raisons pour laquelle ce récit ne peut laisser indifférent. Personne ne peut sortir intact de la rencontre avec ce couple, avec leurs enfants… et avec l’auteure qui s’est faite enquêtrice d’une mémoire collective.
NB
« Celui qui disait non », Adeline Baldacchino, Fayard

Un coup de semonce.

Le 5 février 2018, les places financières chutaient…

Les marchés financiers souffrent d’une maladie à la mode, Alzheimer. Ils ne se souviennent pas du passé, font fi de tous les scénarios des deux crises financières précédentes – août 2007 et 2011, la crise dite de l’euro. Incapables de déceler les signes avant-coureurs, ils s’enfoncent dans leurs croyances en un marché autorégulateur. Le réveil sera amer malheureusement pas seulement pour ces traders.

Le 5 février, les marchés ont été secoués par une chute brutale de tous les indicateurs boursiers. Depuis, la volatilité – autrement dit l’impossibilité de prévoir les mouvements financiers au jour le jour – est revenue en force. Continuer la lecture

La renaissance de Harlem

Redécouvrir Langston Hughes

Christine Dualé propose, dans « Langston Hughes et la renaissance de Harlem », une véritable fresque du Harlem des années 1920, véritable centre culturel qui irradie le monde et influence écrivains, essayistes, photographes, musicien-ne-s. Harlem, sous la pression des Antillais fête même le 14 juillet. Elle n’oublie pas les grandes littératrices comme Zora Neale Hurston. Elle parle des voix de Harlem comme « une nouvelle tradition littéraire noire » mêlant jazz, blues – Langston Hughes n’aura de cesse de rendre toute sa place à la poésie des blues -, révolte et revendication de dignité. La « Negro Renaissance », la négritude comme on dira quelque fois en France pour valoriser cet apport, est partie intégrante de ces « années folles », « Roaring Twenties », « Âge du jazz » suivant les auteurs pour dire la libération des corps, l’appel désespéré à une autre société, l’espoir fou que le monde bascule sur ses bases pour faire place à un monde solidaire sans guerre. Le féminisme est partie prenante de toutes ces libérations.
Christine Dualé rappelle ce contexte et le le lien entre Harlem, Paris, les Antilles. Aimé Césaire ou Senghor feront partie de ce mouvement de fierté noire.
Elle propose ensuite une plongée dans la vie et les œuvres de Langston Hughes pour le rendre vivant. « Émergence d’une voix noire américaine » est le sous titre pour qualifier la place de ce poète globe trotter et militant des droits civiques. Influencé par le gospel, le blues et le jazz, ses poèmes sonnent la révolte. Il veut faire reconnaître les anti-arts que sont jazz et blues comme partie prenante du patrimoine de l’Humanité. L’influence de ces musiques est indéniable sur la littérature, la peinture et la poésie. Ce livre incite à (re)découvrir tous et toutes ces écrivain-ne-s liés à la Renaissance de Harlem qui rythme les années 1920, les années Jazz.
NB
« Langston Hughes et la renaissance de Harlem », C. Dualé, L’Harmattan.

Le coin du polar

La Pennsylvanie oubliée.

« Dans la vallée décharnée » permet de visiter la localité de Wild Thyme, au Nord de la Pennsylvanie par l’intermédiaire de Henry Farrell, le seul flic, après l’assassinat de son adjoint, dans ce territoire délaissé. Tout commence par la découverte du corps d’un jeune homme mort dans la neige. Jeux de pouvoirs, de fantômes, d’apparitions, de nuages de mensonges et de rancœurs, entourés d’un froid qui met à nu les êtres humains comme les paysages. Les préjugés, dans ce cadre là, sont meurtriers. L’auteur sait manier la dénonciation des peurs, des angoisses de ces populations séparées du monde, qui votent vraisemblablement Donald Trump, et la compréhension, la sympathie même. Un ton juste. La musique – Tom Bouman, l’auteur, est aussi musicien – occupe une très grande place comme la danse.

Où va Israël ?

« Le troisième temple », celui qui sera construit lors de la venue du Messie sur les bases des deux, un roman qui pourrait se classer entre polar, fantastique, science fiction et plein d’autres choses encore. Yishaï Sarid a construit son livre sur le modèle de l’Ancien Testament pour délivrer une prophétie. Si le gouvernement israélien continue à soutenir les sectes qui veulent revenir à la lettre des textes sacrés, Israël disparaîtra. Le texte est serré, souvent hermétique, comme la Bible elle-même. Il nous projette dans un avenir qui a tout du retour en arrière. Le fils infirme du roi converse avec les anges sans pouvoir déterminer si c’est le démon ou Dieu, et, comme tout un chacune, se trompe, prend l’un pour l’autre et passe à côté de la vérité, de la réalité. Il est pris en otage par les vainqueurs de cette guerre interne, destructrice de toute humanité pour un retour dogmatique à la lettre des textes sacrés que l’ange démonte pour l’enfant qui hésite, quasi convaincu par la démonstration mais ne veut pas croire en la raison. Pour témoigner et pour essayer d’y voir clair, le fils infirme écrit son journal. Il y décrit les conditions de sa captivité dans un contexte d’effondrement de toute une civilisation. La lecture de ce faux-vrai polar n’est pas un exercice facile, il est même exténuant. Une impression d’être au bord de l’abîme de l’écriture elle-même.

Où va la France ?

« Les biffins » sont les personnes qui ont le droit de s’installer aux confins des Puces de Clignancourt pour vendre leurs « richesses ». Une petite équipe de travailleurs sociaux essaient de réglementer et d’aider. Marc Villard s’est attaché à son héroïne, Cécile, médecin du SAMU et malade, qu’il jette dans ce nouveau monde pour décrire une France non reconnue, celle des sans abris, des migrants, des sans papiers, des clodos. Dans « Bird », Cécile cherchait son père, saxophoniste, ici elle veut savoir qui a tué un de ses habitués de maraude, un homme de la rue. Ces histoires sont les nôtres, celle d’une France qui a perdu son humanité.
Nicolas Béniès.
« Dans la vallée décharnée », Tom Bouman, traduit par Alain Defossé, Actes Noirs/Actes Sud ; « Le troisième temple », Yishaï Sarid, traduit par Rosie Pinhas-Delpuech, Actes Sud ; « Les biffins », Marc Villard, Joëlle Losfeld Éditions.

Un essai de compréhension du passé et de sa place dans la réflexion

Que faire du passé ?

Le passé est souvent décomposé et recomposé pour justifier les politiques mises en œuvre, sans parler des commémorations – on est en train de le tester pour mai 68 -, autant de grandes cérémonies d’enterrement ou de falsifications. L’histoire, le contexte est absents de ces fêtes qui deviennent autant de mythes. L’interrogation de ce groupe d’auteurs dans « Pourquoi se référer au passé ? » porte sur la manière de se servir du passé, d’un passé ouvert, en lien avec le futur pour appréhender le présent, loin de toute notion d’identité, négation de l’Histoire. Il emprunte des concepts à deux philosophes en particulier, celui d’« origine » ou de « germe » à Cornelius Castoriadis et celui de « référence » à Walter Benjamin. Il essaie ainsi de repenser le passé pour laisser ouvert le champ des possibles et lutter contre tout déterminisme. Intelligent et stimulant pour ouvrir les portes de la discussion.
NB
« Pourquoi se référer au passé ? », sous la direction de Claudia Moatti et Michèle Riot-Sarcey, Les éditions de l’Atelier.

UP Jazz dernière pour l’année 2017-2018, le 21 mars, jour d’arrivée théorique du printemps.

Bonjour,

Finalement je nous ai fait rester sur la côte Ouest. Je n’arrivais pas à me résoudre au départ. Trop de musiciennes et de musiciens un peu trop ignoré-e-s, pas assez entendu-e-s. La conséquence sera, pour l’an prochain, de prendre l’avion pour débarquer à New York. Enfin, entends-je de tout côté.
Pour ce 21 mars, veille de ce 22 mars à la fois historique pour ce 50e anniversaire de mai 68 dont on nous saoule un peu trop et veille d’une grande manifestation, la première contre les déstructurations mises en œuvre par le gouvernement Macron.
En ce printemps étrange qui régresse vers un hiver qui se croyait dépassé, le blues fera un timide retour avec Chris Cain, un de ces musiciens qui ne font pas de bruit – c’est relatif – et largement ignoré du public français.
Nous ferons aussi une part à Sonny Rollins venu, en cette année 1956, enregistrer pour Contemporary – de Lester Koenig – un album, « Way Out West » avec le contrebassiste Ray Brown et le batteur Shelly Manne. Un trio assez révolutionnaire pour cette époque.
En 1956, « Gus » – Ronald Bernard pour l’état civil -, jeune musicien de 23 ans né à Rochester (dans l’état de New York), réalise son premier enregistrement sous nom pour le label Fantasy (de la Côte Ouest). Multiinstrumentiste, il joue aussi bien de la batterie, du piano mais choisi un curieux instrument usité dans les fanfares, le baritone horn (euphonium). On le retrouvera en quartet, avec Cal Tjader, vibraphoniste, percussionniste et ici batteur avec Eddie Duran à la guitare, Vince Guaraldi au piano, Richie Kamuca au saxophone ténor ou Joe Romano qui a enregistré avec Art Pepper.

A tte.

Nicolas. (à suivre)

UP Jazz du 7 mars 2018, La Côte Ouest au féminin

Bonjour,

J’ai dû annuler la session de ce jour, 7 mars. Le Café Mancel est en réfection. J’avais demandé la salle du bas pour recevoir les auditeurs, auditrices. Mais le personnel – heureusement pour lui – est en vacances dans ces vacances scolaires. Ce n’était pas une chose à faire. Une prévision qui ne tient pas compte des vacances, on se demande… Désolé pour cette erreur dont je suis le seul responsable.

Pour cette session annulée, nous allons écouter quelques musiciennes de jazz
A commencer pâr Lorraine Geller qui eut une vie trop brève (1928-1958). Née Winifred Walsh, elle épousera le saxophoniste alto Herb Geller et s’installe à Los Angeles (L.A.)
Début 1958, elle se produira au festival de Monterey
En 1954, elle enregistre une de ses compositions « Clash by night » en compagnie de Leroy Vinnegar (b) et « Bruzz » Freeman (dr)

Toshiko Akiyoshi, pianiste elle aussi et futur chef d’orchestre, participe pleinement de la Côte Ouest, du Pacifique même si elle commence à enregistrer à Boston. Elle y épousera son prof, Charlie Mariano, saxophoniste alto, classé lui aussi dans les « west coasters ».
En 1956, elle enregistre une de ses compositions « Pee, Bee and Lee », en compagnie de Oscar Pettiford (b) Roy Haynes (dr)

Joyce Collins (1930-2010), autre pianiste, s’est installée à L.A. où elle devient la première femme à diriger le local47 du syndicat des musiciens.
En 1960, avec Ray Brown (b) et Frank Butler – un des grands batteurs de la Côte Ouest. Un standard, « Just In Time »

Dexter Gordon, né là à Watts – ghetto de Los Angeles – enregistre en 1947 avec la tromboniste Melba Liston. Charles Fox (p) Red Callender (b) Chuck Thompson (dr). Une commpo de Dex, « Mischevious Lady »

La trompettiste et vocaliste Clora Bryant, en 1957, Roger Fleming (p), Ben Tucker (b) « Buzz » Freeman (dr), « This can’t be love »

« Vi » Redd, saxophoniste alto et vocaliste, est avec Russ Freeman (p)Herb Ellis (g)Bob Whilock (b) Richie Goldberg (dr), 1962 pour « If I Should Lose You »

Quelques chanteuses
D »abord pour les musiques de film. Peggy Lee chante « Johnny Guitar », pour le film au titre éponyme, mars 1954

Marilyn Monroe, dans le film « Les hommes préfèrent les blondes », elle chante « Diamonds Are A Girls Best Friend ». Elle partageait l’affiche avec Jane Russell. Enregistrement de 1953

Lena Horne fut aussi une des vocalistes de la Côte Ouest. Son interprétation de « The Lady is A tramp », avril 1948, orchestre dirigé par son mari Lennie Hayton.

Nicolas (à suivre)