Au théâtre un samedi soir (le 7 novembre à 20 heures en l’occurrence),
Jack DeJohnette aime à construire des trios. Celui de Keith Jarrett est évidemment le plus connu mais Keith a décidé de vivre sa vie en solo et le batteur se trouve orphelin.
Une année, à Coutances, il était venu avec John Scofield, guitariste – il vient de sortir un album Impulse avec le saxophoniste ténor Joe Lovano, « Past & Present », hommage mémoire à son fils mort du cancer à 26 ans tout en retenue et en référence au passé de John et de Joe, quelque chose comme une définition du présent avec ce qu’il faut d’orteils dans l’avenir –
et l’organiste Larry Goldings influencé par Larry Young aussi pianiste remarquable. Un trio de virtuoses. l’attente était grande. Nous fûmes déçus. Un rendez-vous manqué. Je les avais interviewé tous les trois. Larry descendait de l’avion qui le ramenant de Los Angeles à Paris. Un décalage horaire impossible à combler en si peu de temps. D’autant qu’il avait été surpris du temps qu’il fallait pour arriver jusqu’à Coutances. Surprise partagée par John. Ceci explique cela, un concert où les trois n’arrivaient pas à se fondre en un…
Ce samedi soir le trio change. Le batteur est en compagnie de Ravi Coltrane, saxophoniste ténor et soprano – il ne joue pas comme son père qu’il a très peu connu, il a été élevé par Elvin Jones et son épouse japonaise – et Matthew Garrison, bassiste (électrique) et fils de Jimmy, contrebassiste du quartet historique de Coltrane (John) aux côtés de Elvin d’abord puis de Rashied Ali.
Les « fils de » bénéficient à la fois de la notoriété de leurs géniteurs et ont du mal à se faire un prénom. Consciemment ou inconsciemment – c’est pire – la comparaison est « tuante ». Les « fils de » ne jouent pas comme leur père ou mère. Le contexte n’est pas le même.
Il faut donc les découvrir pour ce qu’ils sont et non pas pour ce qu’ils devraient être en fonction de leurs ascendants. Le génie n’est pas génétique. Il dépend de beaucoup d’autres facteurs.
La difficulté de ce type de trio repose sur les épaules du saxophoniste. Il faut qu’il fasse la preuve qu’il est capable de se passer d’un piano pour créer.
Les trios historiques sont ceux surtout de Sonny Rollins, un grand spécialiste et ceux de Joe Henderson. Il faut avoir entendu « The Art Of The saxophone » (Blue Note) pour comprendre les capacités d’invention nécessaires pour éviter la monotonie et l’ennui.
Ravi Coltrane devra relever le gant.
Nicolas Béniès.
Après le concert.
Décevant, très décevant. Jack DeJohnette refait, une fois de plus, la démonstration qu’il est un grand batteur. So What comme aurait dit son ancien employeur, Miles Davis. L’âme avait déserté la scène et les deux fils de… étaient incapables de trouver une place dans de déluge de technique. Jack a oublié la leçon que lui avait donné Miles Davis à Pleyel en 1969. Après un solo de batterie grandiloquent et inutile, le chef – j’y étais – lui avait envoyé une serviette à la figure le priant d’échanger sa place avec Chick Corea. Jack qui a commencé comme pianiste ne s’est pas trouvé déstabilisé ni Chick Corea bien que, vraisemblablement, cet échange d’instruments n’était pas prévu. Jack a évité les coups de poing…
La leçon est fugitive. Dommage. Ou, autre hypothèse, boosté par la succès du film « Whiplash », il n’a pas résisté à la démonstration de batterie pour indiquer qui est le meilleur.
Toutes hypothèses confondues, ce fut un dur moment à passer et à attendre le facteur déclencheur d’une entente entre les trois musiciens. DownBeat, la revue de jazz américaine, de ce mois de janvier 2016, fait un compte rendu élogieux du concert de Jack et de ses deux malheureux complices dans un club. Possible. Face au public d’un club américain, les musiciens de jazz sont plus respectueux. Il est possible aussi que l’auteur de l’article n’ait pas voulu se mettre à dons le maître…
Nicolas Béniès.
PS Vous pouvez désormais me retrouver sur Radio Bazarnaom, sur le net et sur la radio (voir le site de la radio).