JAZZ, De Bechet à Jaspar

Mémoires.

La mémoire du jazz se conjugue souvent au pluriel. Quelque fois même elles se télescopent pour faire surgir un futur qui le fait paraître totalement différentes. C’est une des raisons pour lesquelles les rééditions sont nécessaires. Pas n’importe lesquelles. Celles qui font l’objet d’un travail de mémoire, de poètes pour expliquer, mettre en scène le passé et en faire un lieu de possibles.
Jouer avec la mémoire, les mémoires, c’est le propre du jazz qui n’oublie rien. L’oubli est un gouffre. Là git sans doute la difficulté du jazz, l’inclure dans le murmure du temps.
La collection Quintessence dirigée par Alain Gerber nous propose deux plongées dans cette mémoire, Sidney Bechet d’abord, Bobby Jaspar ensuite, pour faire des rapprochements étranges et porteurs d’avenirs. Continuer la lecture

Jazz. Retrouver Ben Webster


Un souffle brutalement amoureux

Qui écoute encore Benjamin Francis Webster ? Le saxophoniste ténor a d’abord appris le violon pour jouer du piano dés l’âge de 11 ans. Il nous reste un enregistrement qui ne nous dit rien de Ben Webster. Il passera au saxophone sous l’égide Budd Johnson après avoir entendu Frankie Trumbauer qui influença tous les saxophonistes à l’exception, peut-être, de Coleman Hawkins. Sa reconnaissance date de son entrée à la fin des années trente dans l’orchestre de Duke Ellington, en même temps que le libérateur de la contrebasse Jimmy Blanton et du compositeur Billy Strayhorn. Duke était ainsi paré pour réaliser ses compositions marquées du sceau du génie.
Ben Webster fait partie de la cohorte qui inventa le saxophone ténor dans le jour. Un trio, Coleman Hawkins le précurseur, Lester Young deuxième inventeur et Ben. Comme les trois mousquetaires, il faut rajouter d’Artagnan en l’occurrence Frankie Trumbauer déjà cité, compagnon de Bix Beiderbecke. Bix et Tram n’ont pas été reconnus comme des références à part entière par les critiques alors que les musicien-ne-s ne tarissaient pas d’éloges sur eux. Continuer la lecture

JAZZ: Elvin Jones !

Batteur de génie 

Elvin – son seul prénom suffit, le deuxième était Ray, 1927-2004 – est connu comme le batteur du quartet historique de John Coltrane qui a révolutionné dans les années 1960 les mondes du jazz. Aujourd’hui – en 2017 – peu de saxophonistes échappent à l’emprise coltranienne. Il faut se souvenir que certains se sont perdus dans Coltrane. Art Pepper le raconte mais aussi « Tina » – surnom qui venait, semble-t-il de sa petite taille, Harold pour l’état civil – Brooks à la fin de sa vie n’enregistrait plus jouant comme Coltrane. Le « comme » est à prendre au sens fort. Art Pepper demandait à ses interlocuteurs lors de son dernier retour, à la fin des années 1970, s’ils reconnaissaient le son de son saxophone alto comme étant le sien, celui qu’il avait avant le pénitencier et la chute dans Coltrane.
Souvent, est oublié le batteur. Alain Tercinet pose la question à la fin du livret dans le volume « The Quintessence » consacré à Elvin Jones : « Sans Elvin Jones, Coltrane aurait-il été Coltrane ? », question rhétorique : on ne peut pas revenir en arrière. Mais les indices ne manquent pas. Lorsque Elvin n’est pas là, comme, par exemple les faces enregistrées par Trane avec Roy Haynes – qui ne démérite pas -, la magie n’est pas là, celle de la transgression, celle de la liberté, celle qui conduit tout droit dans les nuages, dans les rêves, dans l’impossible.
L’alchimie de la rencontre est l’un des secrets les mieux gardés du jazz. Les couples sont nécessaires au dépassement de l’un et de l’autre. Des exemples ? Stéphane Grappelli et « Django » Reinhardt, Billie Holiday et Lester Young, Charlie Parker et « Dizzy » Gillespie et bien d’autres encore. « Diz » le dira dans une interview à Jazz Hot. J’avais mon style, Bird avait le sien notre rencontre a été l’étincelle du génie. Ce ne sont pas les termes exacts mais l’idée est celle là. On pourrait appliquer cette équation à tous les couples… du jazz ! Continuer la lecture

Jazz, Stan Getz, musicien élégant

Stan Getz, de retour du royaume des ombres.
Faiseur de miracles

Stan Getz vol 2, quintessence/frémeauxStan Getz (1927 – 1991) est tombé amoureux du saxophone ténor à l’âge de 13 ans semble-t-il après s’être essayé à d’autres instruments avec qui il a eu des relations éphémères. En même temps, ces fréquentations lui ont permis d’habiller la sonorité du saxophone, un instrument qui se prête à toutes les lèvres, à tous les souffles pour construire une relation interactive avec l’utilisateur.
Stan Getz quintessence du saxophone ténor ? L’une d’elles sans nul doute. Un son qui lui fait mériter son surnom, « The Sound », surnom mérité au-delà de toute considération.
Le volume 1, de cette collection « Quintessence » dirigée par Alain Gerber, retraçait le trajet de Stanley ou Stanislas – deuxième prénom qu’il s’était octroyé vers la fin de sa vie dans une interview à Jazz Magazine, peut-être à juste titre mais tout le monde l’avait appelé Stan… – Getz de ses premiers enregistrements en 1945 avec le futur gratin de la West Coast à commencer par Shorty Rogers et Shelly Manne, musiciens nés du côté de New York à cet enregistrement « live » au Storyville de Boston le 28 octobre 1951. Ce club avait été fondé par George Wein futur organisateur du festival de Newport à l’image des festivals dont le point de départ se trouve en France. « Storyville allait accueillir la plupart des grands musiciens du temps dont Charlie Parker. Wein a eu l’idée de permettre de les enregistrer. Ce fut le rôle des labels indépendants dont « Roost » pour les faces gravées par Stan. Elles restent inouïes encore aujourd’hui. Peut-être, c’est l’hypothèse d’Alain Tercinet, parce que le génie de Getz reste balbutiant, et cette hésitation rend l’invention du saxophoniste, en compagnie du guitariste superbe et l’un des premiers beboppers sur cet instrument, Jimmy Raney et du batteur « Tiny » Kahn qui nous quittera à 28 ans. Al Haig au piano et Teddy Kotick à la basse viennent apporter leur science pour faire de ce moment, un moment d’éternité. Aujourd’hui encore, y risquer une oreille c’est tomber sous le charme. Continuer la lecture

Miles, notre contemporain… pour l’éternité !

Miles Davis, tome 2

La collection « Quintessence » dirigée par Alain Gerber propose un Miles 2edeuxième volume pour retracer le parcours de Miles Davis. Né à Saint-Louis dans le Missouri, Miles commence par jouer aux côtés de Charlie Parker et, dans une foulée étrange, de créer un nouveau son, une nouvelle manière de faire vivre la révolution du bebop, parkérienne. Il crée un nonet, en 1948, avec Gil Evans, Gerry Mulligan, John Carisi, John Lewis comme arrangeurs. Plus tard, bien plus tard, Capitol publiera ces faces en LP sous le titre « Birth of The Cool » mais sur le moment cette révolution dans la révolution passera complètement inaperçue.
En 1949, Miles sera salué comme la nouvelle star de la trompette en France lors du troisième festival international du jazz à Paris co-organisé par Charles Delaunay et Boris Vian. L’amitié entre Miles (23 ans) et Boris (28 ans) sera immédiate.
De retour aux États-Unis, c’est la désillusion qui l’attend. OU plutôt personne ne l’attend. Il erre dans cet espace qui ne le reconnaît pas. Comme beaucoup, il sombrera dans la drogue allant de « gig » en « gig », sans orchestre régulier pour payer sa dose. Quelques éclairs malgré tout… Continuer la lecture

John Coltrane, pour toujours

John Coltrane, génie de la musique.

john coltraneColtrane, un nom d’origine écossaise, résultat de ce brassage obligé entre maîtres et esclaves dans ces Etats-Unis pas encore unifiés, fut le dernier génie d’une musique sans nom, le jazz, qui en compta beaucoup. Le jazz, musique du 20e siècle, a accéléré brutalement toutes les mutations, toutes les transformations à force de révolutions avec comme objectif inavouable de distendre le temps, de le rendre élastique par la grâce du swing. Quelle forme artistique a connu autant de basculements ? Aucune vraisemblablement. L’accélération de l’Histoire n’est pas un vain mot. Ce « court 20e siècle » – pour reprendre notre historien préféré Eric Hobsbawm – a connu, parfois simultanément, des poussées d’espoirs de changement radical et la barbarie. Le jazz a synthétisé ses contradictions dans un changement permanent, au moins jusqu’aux années 1980s, enveloppé dans un rythme étourdissant.
Coltrane, à sa mort le 17 juillet 1967 – le 7 ne l’aimait pas pourrait-on croire -, était devenu, pour son malheur posthume et le nôtre, une icône. La religion, les dogmes, les images pieuses ne sont pas bonnes conseillères en matière de créations et d’imagination.
Il fallait bien lui redonner vie, le rendre à son itinéraire qui fut loin d’être simple et sûrement pas un long fleuve tranquille.
Il était né dans le ghetto de Philadelphie, 40 ans plus tôt, là où rien ne semble possible, où l’avenir est dans le flou, perdu dans des nuages industriels. La crise de 1929 n’allait rien arranger. Continuer la lecture

Un batteur d’entre les batteurs : Roy Haynes

A Roy Haynes avec toute mon admiration.

Roy Owen Haynes est batteur. Une définition de la batterie à lui seul. Du jazz dans ce qu’il possède d’outrances, de capacité à rester le même tout en se transformant. Roy Haynes s’est toujours senti dedans – avec ses groupes, ses employeurs à commencer par Lester Young, Charlie Parker, Sarah Vaughan une sorte de gotha du jazz de l’après seconde guerre mondiale sans oublier Thelonious Monk, Eric Dolphy et John Coltrane – et en dehors, une manière de se voir jouer pour servir la musique. Il aurait pu prendre comme slogan ce que Cortazar fait dire à Johnny Carter, une incarnation de Charlie Parker, « Je l’ai déjà joué demain », ce cauchemar du Bird qui faisait de chaque jour, de chaque rencontre une aventure. De ce point de vue la ressemblance est patente. Ce n’est pas que le Bird comme Roy Haynes n’aient pas de tics – qui n’en a pas ? – mais, à chaque fois, il faut inventer, se faire reconnaître sans se répéter. A chaque fois il s’agit de faire découvrir « l’inquiétante familiarité » – pour citer Freud qui en faisait une des caractéristiques de l’œuvre d’art – du thème. Sonny Rollins, à son tour adoptera cette attitude reprenant quelques vieilles chansons ou des nouvelles pour les faire siennes et interpeller l’auditeur(e) mal à l’aise qui ne sait plus ce qu’il connaît. Continuer la lecture

Pour Max Roach

A Max Roach (10 janvier 1924 – 16 août 2007), architecte hasardeux.

La collection Quintessence, dirigée par Alain Gerber, consacre un coffret de deux CD à Max Roach, batteur inestimable, prince du bebop, oreilles grandes ouvertes à la tradition et à l’innovation, à la construction comme à l’improvisation. Max fut une des incarnations du jazz, avec tous ses oxymores. Continuer la lecture

Jazz, des coffrets nécessaires.

Deux géants un peu trop ignorés.

Les hasards de l’édition, ou volonté délibérée ?, deux géants du jazz bénéficient d’une édition dans la collection « The quintessence » que dirige Alain Gerber aux éditions Frémeaux et associés. Dans l’imagerie des passionné(e)s de jazz, ils apparaissent comme situés sur des planètes différentes, « Cannonball » Adderley, saxophoniste alto, et Bill Evans, pianiste. L’un et l’autre ont su s’imposer sur la scène du jazz et, à leur manière, ils ont contribué à la révolutionner dans cette fin des années 50. Ils ont été à la fois éclipsés par l’ombre porté du génie hors norme de ce temps, John Coltrane qui les a influencés, tout comme il a subi leur influence. Tous les trois ont fait partie de ce sextet qui marque l’année 1959 via la réalisation de cet album, chef d’œuvre d’entre les chef d’œuvre, « Kind of Blue » – voir « Le souffle bleu » pour plus de détails -, sous la direction de Miles Davis et direction convient bien, même si Bill Evans a beaucoup travaillé les compositions qui, pour certaines d’entre elles, portent son empreinte, en particulier ce « Blue in Green » que Alain Gerber a repris dans ce double album consacré à Bill. Continuer la lecture