« Sunny » Murray, batteur.

Mort d’un révolutionnaire

Qui aurait pu penser à le voir – une tête à la « Sonny » Liston – dans les années 1960, aux côtés de Albert Ayler, qu’il vivrait jusqu’à cet âge de 81 ans ? Certain-e-s donnent l’impression d’être éternel-le-s, lui non. Le battement sauvage de la batterie donnait l’impression de courir entre les premiers temps du jazz où cette révolte s’exprimait et la modernité d’un temps qui appelait la révolution, le changement brutal. Le tout s’exprimait dans cet instrument créé par le jazz et pour le jazz, un instrument révélateur de toutes les transformations de cette musique à travers le siècle. Des premiers temps où le jazz ne s’appelait pas encore jazz mais ragtime, jusqu’à la révolution totale, puissante du Free-Jazz, la batterie s’est métamorphosée. Continuer la lecture

Jazz, mémoire de batteure, Julie Saury

Lutter contre les préjugés.

Il doit rester un grand fonde de sexisme lorsqu’il est question de musique et, particulièrement, dans le jazz. Les instruments auraient un sexe. La batterie notamment serait, malgré son genre, masculin. Le piano, à l’encontre de la grammaire, serait plus féminin et il est loisible de multiplier les exemples.
Ainsi Julie Saury, batteure – évitons batteuse, ça fait par trop moissonneuse – et batteur talentueuse. Elle vient de sortir un album qui navigue entre passé et présent. « For Maxim » est un hommage à son père, le clarinettiste de jazz traditionnel, qui nous a quittés. Il lui avait appris « A jazz love story », une histoire d’amour avec le jazz, histoire qui, dans la famille, commence avec le grand-père, adepte du be-bop et de Charlie Parker.
Les compagnons qu’elle s’est choisi, Philippe Milanta au piano, Bruno Rousselet à la contrebasse, Aurélie Tropez à la clarinette – masculin ou féminin ? -, Frédéric Couderc aux saxes et Shannon Barnett au trombone et au chant partagent son esthétisme qui fait du jazz une entité à visiter. Rien de révolutionnaire ici mais un engagement de toutes et de tous pour faire partager cet amour. Superbe. Last but not least, elle réalise la parité.
NB
« For Maxim, a jazz love story », Julie Saury, CD et Vinyl, Black and Blue. Concert de sortie le 24 février 2017 au Sunside (Paris)

JAZZ: Elvin Jones !

Batteur de génie 

Elvin – son seul prénom suffit, le deuxième était Ray, 1927-2004 – est connu comme le batteur du quartet historique de John Coltrane qui a révolutionné dans les années 1960 les mondes du jazz. Aujourd’hui – en 2017 – peu de saxophonistes échappent à l’emprise coltranienne. Il faut se souvenir que certains se sont perdus dans Coltrane. Art Pepper le raconte mais aussi « Tina » – surnom qui venait, semble-t-il de sa petite taille, Harold pour l’état civil – Brooks à la fin de sa vie n’enregistrait plus jouant comme Coltrane. Le « comme » est à prendre au sens fort. Art Pepper demandait à ses interlocuteurs lors de son dernier retour, à la fin des années 1970, s’ils reconnaissaient le son de son saxophone alto comme étant le sien, celui qu’il avait avant le pénitencier et la chute dans Coltrane.
Souvent, est oublié le batteur. Alain Tercinet pose la question à la fin du livret dans le volume « The Quintessence » consacré à Elvin Jones : « Sans Elvin Jones, Coltrane aurait-il été Coltrane ? », question rhétorique : on ne peut pas revenir en arrière. Mais les indices ne manquent pas. Lorsque Elvin n’est pas là, comme, par exemple les faces enregistrées par Trane avec Roy Haynes – qui ne démérite pas -, la magie n’est pas là, celle de la transgression, celle de la liberté, celle qui conduit tout droit dans les nuages, dans les rêves, dans l’impossible.
L’alchimie de la rencontre est l’un des secrets les mieux gardés du jazz. Les couples sont nécessaires au dépassement de l’un et de l’autre. Des exemples ? Stéphane Grappelli et « Django » Reinhardt, Billie Holiday et Lester Young, Charlie Parker et « Dizzy » Gillespie et bien d’autres encore. « Diz » le dira dans une interview à Jazz Hot. J’avais mon style, Bird avait le sien notre rencontre a été l’étincelle du génie. Ce ne sont pas les termes exacts mais l’idée est celle là. On pourrait appliquer cette équation à tous les couples… du jazz ! Continuer la lecture

JAZZ, un curieux album

Le jazz peut-il se raconter ? Se dire ?

Alexandre Pierrepont suit les pas de Michel Leiris, comme un passage de témoin. Anthropologue et ethnologue, il se projette dans le « champ jazzistique » – pour reprendre le titre de son premier ouvrage, aux éditions Parenthèse – pour construire son imaginaire à force de mots. On dira poète pour aller vite. Les mots sont souvent traîtres, ils disent et se reprennent en confinant la chose ou l’être à sa dénomination. Il arrive que, comme chez Alice, la résistance s’organise en sortant des mots avec d’autres mots ou la musique.
La musique est ici construite, improvisée par le batteur Denis Colin. L’autre protagoniste de cette aventure. Il fait aussi sortir la batterie – instrument emblématique du jazz rappelons-le – de son strict rôle qui lui est assigné pour aller voir ailleurs si elle ne peut pas bâtir d’autres mondes, d’autres ambiances. Continuer la lecture

JAZZ, Batteur et compositeur, Thomas Grimmonprez

Voyages sans visa.

Thomas Grimmonprez est batteur d’abord et longtemps il l’est resté. Depuis quelques temps, il s’est fait compositeur vagabond traversant les genres, les mesures, les cadences pour, sans doute, se trouver ou retrouver des sensations, des plaisirs, des douleurs qui l’ont transformé.
« Kaléidoscope » porte bien son titre, les climats changent d’une composition à l’autre. A l’auditeur de reconstruire le puzzle pour trouver une trajectoire qui sera différente de l’une à l’autre. Chacun-e apportant sa propre expérience, ses propres sensations et émotions à celles qui sont ici proposées. Continuer la lecture

Jazz. Un absent des dictionnaires très présent

Un batteur américain à Londres.

outlier jeff williamsJeff Williams, batteur découvert, quant à moi aux côtés de Dave Liebman, de Stan Getz et de Joe Lovano, est né dans l’Ohio. Il tombe dans l’amour, comme disent les Québécois, épouse la romancière britannique Lionel Shriver qui a remporté une multitude de prix littéraires. Jeff, de ce fait, enseigne la batterie à la Royal Academy Of Music de Londres tout en continuant de vivre, en partie, à New York. « De ce fait, écrit-il dans les notes de pochette d’où sont tirées toutes ces informations, je suis devenu Transatlantique », une sorte de pont au-dessus de l’Atlantique à lui seul. Une situation idéale pour enregistrer pour le label britannique Whirl Wind avec ses musiciens américains. Peu d’informations disponibles sur ce musicien à la discographie pourtant importante. Raison de plus pour le découvrir…
Qu’il faut découvrir : Josh Arcoleo au saxophone ténor qui a visiblement beaucoup écouté Joe Lovano, Phil Robson à la guitare plutôt dans la lignée de Pat Martino, Kit Downes, pianiste qui a entendu Keith Jarrett mais essaie de s’en sortir et Sam Lasserson contrebasse et basse électrique. Le tout forme un groupe sur les compositeurs du batteur. Elles n’échappent pas toujours à la déformation professionnelle d’un enseignant d’être un peu trop démonstratives. Elles baignent dans le modal post bop et n’arrivent pas toujours à décoller. Lorsque c’est le cas, sur « Hermeto » par exemple hommage à Hermeto Pascoal, on sent que ces musiciens ont de la ressource et gardent la mémoire de tous les jazz. Il faudrait qu’ils acceptent de déraper un peu plus…
Le titre de cet album, « Outlier », est la concrétisation de sa situation étrange entre deux mondes, deux pays dont la langue est le plus grand diviseur – comme disait George-Bernard Shaw. Un terme qui signifie dans le langage des statisticiens, une observation aberrante mais aussi un cas unique. Deux sens qui collent parfaitement à Jeff Williams.
A découvrir.
Nicolas Béniès
« Outlier », Jeff Williams, Whirl Wind Records. www.whirlwindrecordings.com

Un batteur d’entre les batteurs : Roy Haynes

A Roy Haynes avec toute mon admiration.

Roy Owen Haynes est batteur. Une définition de la batterie à lui seul. Du jazz dans ce qu’il possède d’outrances, de capacité à rester le même tout en se transformant. Roy Haynes s’est toujours senti dedans – avec ses groupes, ses employeurs à commencer par Lester Young, Charlie Parker, Sarah Vaughan une sorte de gotha du jazz de l’après seconde guerre mondiale sans oublier Thelonious Monk, Eric Dolphy et John Coltrane – et en dehors, une manière de se voir jouer pour servir la musique. Il aurait pu prendre comme slogan ce que Cortazar fait dire à Johnny Carter, une incarnation de Charlie Parker, « Je l’ai déjà joué demain », ce cauchemar du Bird qui faisait de chaque jour, de chaque rencontre une aventure. De ce point de vue la ressemblance est patente. Ce n’est pas que le Bird comme Roy Haynes n’aient pas de tics – qui n’en a pas ? – mais, à chaque fois, il faut inventer, se faire reconnaître sans se répéter. A chaque fois il s’agit de faire découvrir « l’inquiétante familiarité » – pour citer Freud qui en faisait une des caractéristiques de l’œuvre d’art – du thème. Sonny Rollins, à son tour adoptera cette attitude reprenant quelques vieilles chansons ou des nouvelles pour les faire siennes et interpeller l’auditeur(e) mal à l’aise qui ne sait plus ce qu’il connaît. Continuer la lecture