A Roy Haynes avec toute mon admiration.
Roy Owen Haynes est batteur. Une définition de la batterie à lui seul. Du jazz dans ce qu’il possède d’outrances, de capacité à rester le même tout en se transformant. Roy Haynes s’est toujours senti dedans – avec ses groupes, ses employeurs à commencer par Lester Young, Charlie Parker, Sarah Vaughan une sorte de gotha du jazz de l’après seconde guerre mondiale sans oublier Thelonious Monk, Eric Dolphy et John Coltrane – et en dehors, une manière de se voir jouer pour servir la musique. Il aurait pu prendre comme slogan ce que Cortazar fait dire à Johnny Carter, une incarnation de Charlie Parker, « Je l’ai déjà joué demain », ce cauchemar du Bird qui faisait de chaque jour, de chaque rencontre une aventure. De ce point de vue la ressemblance est patente. Ce n’est pas que le Bird comme Roy Haynes n’aient pas de tics – qui n’en a pas ? – mais, à chaque fois, il faut inventer, se faire reconnaître sans se répéter. A chaque fois il s’agit de faire découvrir « l’inquiétante familiarité » – pour citer Freud qui en faisait une des caractéristiques de l’œuvre d’art – du thème. Sonny Rollins, à son tour adoptera cette attitude reprenant quelques vieilles chansons ou des nouvelles pour les faire siennes et interpeller l’auditeur(e) mal à l’aise qui ne sait plus ce qu’il connaît.
Le compagnonnage Parker/Haynes se poursuivra jusque la mort de Parker sans que la discographie le reconnaisse, Norman Granz – le producteur et dirigeant du label clef puis Verve – préférant les rencontres bizarres pour son plus grand bonheur qui n’est pas toujours celui des auditeurs ni des musiciens.
Roy Haynes se laisse percer à jour par son intelligence sur la caisse claire de la batterie dont il est un spécialiste incontesté. Il faut l’entendre – dans l’album « Selflessness » signé par John Coltrane – sur « My favorite things » pour s’apercevoir de son originalité par rapport à Elvin Jones, génie toute catégorie sur cet instrument et sa capacité à entrer dans des mondes différents tout en restant lui-même. Il rayonne, il éblouit tellement qu’il aveugle l’auditeur incapable soudain d’entendre le batteur malgré sa présence affirmée.
Alain Gerber, dans sa collection « The Quintessence » – chez Frémeaux et associés – lui fait la place qu’il mérite, « euphorique » comme il l’écrit à la fin de son introduction justement laudative. Malgré son grand âge – pour l’état civil, il est né le 13 mars 1925 à Roxbury, près de Boston, une des grandes villes du jazz – sa présence à la batterie donne cette sensation d’euphorie. Un étonnement continuel.
Comme d’habitude le livret partagé entre Alain Gerber et Alain Tercinet donne tous les renseignements nécessaires tout en ne parvenant à cerner l’essentiel, la musique. Il faut écouter ce double CD qui nous mène de 1949 – Roy Haynes, lorsqu’il est engagé par Lester en 1947 a déjà un passé, comme la plupart des musicien(ne)s de ces temps difficiles il a commencé sa carrière très tôt -, un enregistrement public avec le Pres, the « President », le surnom de Lester Young à 1960, date à laquelle il enregistre avec son ami Eric Dolphy. Entretemps, il aura rencontré tous ceux qui comptent. Une sorte de voyage dans les paysages du jazz. Ces 13 années ont vu des révolutions remarquables. Roy Haynes intangible sait nous surprendre, nous mettre mal à l’aise pour écouter le « murmure du temps », ces souvenirs qui s’essaient à devenir mémoire pour construire des références, des univers.
Nicolas Béniès.
« Roy Haynes. New York – Paris, 1949 – 1960 », The Quintessence, coffret de deux CD, Frémeaux et associés distribué par Socadisc.