Stan Getz, de retour du royaume des ombres.
Faiseur de miracles
Stan Getz (1927 – 1991) est tombé amoureux du saxophone ténor à l’âge de 13 ans semble-t-il après s’être essayé à d’autres instruments avec qui il a eu des relations éphémères. En même temps, ces fréquentations lui ont permis d’habiller la sonorité du saxophone, un instrument qui se prête à toutes les lèvres, à tous les souffles pour construire une relation interactive avec l’utilisateur.
Stan Getz quintessence du saxophone ténor ? L’une d’elles sans nul doute. Un son qui lui fait mériter son surnom, « The Sound », surnom mérité au-delà de toute considération.
Le volume 1, de cette collection « Quintessence » dirigée par Alain Gerber, retraçait le trajet de Stanley ou Stanislas – deuxième prénom qu’il s’était octroyé vers la fin de sa vie dans une interview à Jazz Magazine, peut-être à juste titre mais tout le monde l’avait appelé Stan… – Getz de ses premiers enregistrements en 1945 avec le futur gratin de la West Coast à commencer par Shorty Rogers et Shelly Manne, musiciens nés du côté de New York à cet enregistrement « live » au Storyville de Boston le 28 octobre 1951. Ce club avait été fondé par George Wein futur organisateur du festival de Newport à l’image des festivals dont le point de départ se trouve en France. « Storyville allait accueillir la plupart des grands musiciens du temps dont Charlie Parker. Wein a eu l’idée de permettre de les enregistrer. Ce fut le rôle des labels indépendants dont « Roost » pour les faces gravées par Stan. Elles restent inouïes encore aujourd’hui. Peut-être, c’est l’hypothèse d’Alain Tercinet, parce que le génie de Getz reste balbutiant, et cette hésitation rend l’invention du saxophoniste, en compagnie du guitariste superbe et l’un des premiers beboppers sur cet instrument, Jimmy Raney et du batteur « Tiny » Kahn qui nous quittera à 28 ans. Al Haig au piano et Teddy Kotick à la basse viennent apporter leur science pour faire de ce moment, un moment d’éternité. Aujourd’hui encore, y risquer une oreille c’est tomber sous le charme.
Le volume 2 de cette anthologie s’ouvre donc sur un Getz qui semble sur de son art, délivré de toute limite, capable d’improviser dans tous les contextes pour faire la preuve qu’il est un des grands maîtres du jazz. Il doit certes beaucoup à Lester Young sans jamais le copier. Il l’a digéré comme il a digéré l’apport de Parker pour devenir… Stan Getz, original parmi tous les originaux que comporte le jazz.
Dans le livret de ce volume, Alain Gerber fait part de sa surprise devant le comportement du saxophoniste. Colérique, méchant, agressif tout en pouvant pleurer à propos de vétilles et élégant dans la musique, dans le jazz. Un romantique à ne pas douter. Un être étrangement en dehors du monde qu’il ne parvenait pas à comprendre. Il était « out of this world » tout autant que son idole Lester Young qu’il aimait sans s’empêcher de le traiter comme moins que rien lorsqu’il le rencontrait.
Il me souvient aussi d’un concert à la Grande Motte, en 1979 ou 1980. A ce festival se produisait aussi Bill Evans et son trio – Elliot Zygmund à la batterie et Marx Johnson à la contrebasse si ma mémoire est bonne -, un trio qu’une tempête de sable dissimulait à notre vue. Comme si Bill et son piano étaient en train de s’envoler pour rejoindre d’autres contrées, d’autres cieux. L’annonce de sa mort en septembre 1980 avait l’air de prendre cette vision au sérieux, un peu trop au pied de la lettre.
Getz donc. Ce soir là il fut pris d’une colère subite contre l’ingénieur du son – qui faisait sans doute son possible. Difficile travail pour diffuser le son dans un endroit en plein air soumis aux vents divers qui frappent la côte… Il enleva le micro et joua… pour les premiers rangs seulement… Une autre fois, bien avant, à la Maison de la Radio, il avait voulu imposer une chanteuse de Bossa Nova belle comme un cœur mais pas vraiment une chanteuse. Devant les huées du public – à cette époque reculé des années 60, le public n’y allait de main morte à juste ou à mauvaise raison, il participait allégrement – il s’arrêta de jouer et insulta le public. Je ne sais plus s’il continua à jouer ou pas, mais l’élégance avait laissé la place à la furie.
Il était déjà malade et souffrait la mort. Junkie il était, comme Bill Evans, sans que cette addiction qui ressemble aux travaux forcés ait jamais impliqué de mal jouer. Jusqu’à la fin, en duo avec Kenny Barron qui s’en souvient encore, il a créé des univers particuliers. Il y est à l’aise et nous aussi.
Pour ce deuxième volume donc Stan est dans les studios de Norman Granz le 12 décembre 1952. Jimmy Raney est parti. Il ne supportait plus Stan et ses drogues dures qui le rendaient souvent dingue, au sens le plus fort. Pour Roost – le même label indépendant – il allait enregistrer un « tube », un « hit » de l’autre côté de l’Atlantique, sous le nom du guitariste virtuose – l’un des plus grands si l’on en croit Barney Kessel – Johnny Smith, « Moonlight in Vermont » gravé le 11 mars 1952. Parfois cette séance a été réédité sous le nom de Stan Getz mais c’est une erreur. Le nom de Johnny Smith, un nom passe partout du type « Jean Durand », n’a pas laissé beaucoup de traces. Il a eu, pourtant, une longue carrière, né en 1922, il est mort en 2013. Comme cet album n’est pas de Stan Getz, il ne se trouve pas dans cette anthologie. Pour entendre ce thème il faudra se procurer l’album intitulé… « Moonlight in Vermont »… Ou chercher des enregistrements de Johnny Smith.
OU, seulement pour les lecteurs du site l’entendre mais en MP3 ce qui ne remplace l’écoute en LP ou en CD…
Ce succès attire l’attention sur Stan Getz qui explique l’intérêt de Norman Granz. Il engage Stan, dans le même temps, dans le JATP, ce Jazz At The Philharmonic conçu dès juillet 1944. Granz a le goût des confrontations. Avec Getz, il en organise un certain nombre. Avec « Dizzy » Gillespie, Lionel Hampton, Gerry Mulligan – à moitié réussie -, Chet Baker – ratée sauf pour un thème repris ici « Half- Breed Apache » où la colère permet au saxophoniste et au trompettiste de s’exprimer avec une sauvagerie qui va bien avec le titre et les westerns de l’époque – et Jay Jay Johnson, celle là miraculeuse, comme sauvée des eaux.
Il reste un album qui résiste à toutes les épreuves, du temps en particulier, « The Steamer », une sorte de définition de Stanley Stanislas Getz.
Pour découvrir l’art de ce musicien hors norme ces deux volumes sont indispensables. Les deux livrets permettent à la fois de suivre la carrière de Getz – Alain Tercinet s’y emploie – et de le situer parmi ses pairs, de le raconter et de faire ressortir tout le génie du saxophoniste, rôle dévolu à Alain Gerber.
Nicolas Béniès.
« Stan Getz, volume 2, 1952 – 1958, Los Angeles, New York, Stockholm », Frémeaux et associés/collection Quintessence.