Littérature : La vie d’un bluesman peut-elle engendrer une œuvre littéraire ?

C’est le pari de Jonathan Gaudet avec « La ballade de Robert Johnson »…

Robert Johnson, guitariste et vocaliste, est l’une des grandes légendes du blues. Un guitariste hors pair, un chanteur à la voix expressive, mélancolique souvent, joyeuse, heureuse de s’entendre en vie. Il a réalisé 20 enregistrements en 1937, dont le célèbre « Sweet Home Chicago » popularisé une fois encore par les Blue Brothers dans le film éponyme de John Landis, et 21 en 1938 pour asseoir les fondements du blues en unifiant les divers affluents de cette musique. Continuer la lecture

Littérature : Poe/Maupassant/James

Filiation

Quel lien entre Edgar Poe, Guy De Maupassant et Henry James ? Des influences diffuses. Poe, par ses récits fantastiques – par le biais de la traduction de Baudelaire qui a trouvé un alter ego – a ouvert la voie à la fois à Maupassant et à James pour se lancer dans des aventures étranges et pas toujours en phase avec leur manière habituelle d’écrire.
« Invisibles visiteurs » réunit les trois auteurs, avec des mises en perspective dues à Noëlle Benhamou, Jean Pavans pour comprendre les filiations. Un plaisir de lecture agrémenté par des illustrations de Pancho (pour Poe et James) et celles, tirées de la publication originelle, de William Julian-Damazy, pour Maupassant. La nouvelle de Poe, « L’homme sans souffle » est un premier essai de se servir du fantastique pour souligner les imbécillités des « bonnes mœurs » de Boston, là où est né l’auteur. Les concepteurs ont eu la bonne idée de faire précéder ce texte par un extrait de la présentation de Baudelaire d’Edgar Allan Poe, un des grands textes du poète. Il donne l’impression manifeste de se projeter dans la vie de Poe. Une empathie perceptible. (Traduction Émile Hennequin) Continuer la lecture

Notre Patrimoine : les cultures créoles

Les années 1930, en France et leur pulsation

Se souvient-on que la culture française s’est alimentée de bien des façons des cultures créoles ? La langue comme le soulignait Aimé Césaire mais, pour le Paris des années 1920-30, la musique avec, notamment, le clarinettiste martiniquais Alexandre Stellio (1885-1939), créateur de la Biguine. S’appeler pour l’état civil Alexandre Fructueux ne pouvait qu’être le prémisse d’une vie orientée vers le don de soi en construisant une musique du bonheur et de la transe.
Le coffret de 4 CD publié par Frémeaux et associés permet de retrouver les filiations des musiques actuelles. L’influence des cultures antillaises a longtemps été sous-estimée dans les affluents du jazz, notamment en France. Pourtant, longtemps « La Cigale » a été le temple de ces musiques. Elle a permis de faire naître un genre particulier qui inondera les années 50 et les débuts de la décennie d’après, les orchestres typiques comme les chanteurs qui utilisent cette veine, comme Dario Moreno par exemple. Aux États-Unis, après la deuxième guerre mondiale, le be-bop fusionnera avec les rythmes afro-cubains.
Stellio est une des grandes voix de la musique antillaise. Quelque chose de son art se retrouve chez Alain Jean-Marie, pianiste étonnant qui ne renie aucune de ses origines, la biguine comme le be-bop.
Stellio a un autre effet. Il fait, encore aujourd’hui, bouger les corps. Danser au son de cette musique éternelle est un des moyens d’écouter le murmure du temps. Il faut se plonger, corps et âme dans ces enregistrements.
Pour faire œuvre de patrimoine, il fallait aussi remettre Stellio dans son époque et rendre compte de sa présence, de son importance. Des témoignages sont donc inclus pour faire revivre le clarinettiste.

NB
« Stellio, l’étoile de la musique créole, 1932-1938 », coffret de 4 CD, Frémeaux et associés.  

Polar ? Grande littérature ? Pour Naples !

Ceci est une chanson d’amour.

Maurizio De Giovanni habite son commissaire, Ricciardi aux yeux verts étranges et au comportement qui l’est plus encore, et sa ville, Naples avec ses baisers de feu bien connus. Le fil conducteur est une initiation à la manière de jouer, de la mandoline bien entendu, pour accompagner une chanson d’amour et de désespoir rempli d’espérances, pour faire partager ces sentiments contradictoires face à l’être aimé.e. « Tu vas me faire souffrir mais comment t’échapper ? » Continuer la lecture

L’Institut du Monde Arabe (IMA) propose le tome 5 des Arabofolies

Soulèvements


Les printemps arabes, s’en souvient-on ?, avaient provoqué d’énormes espoirs de par le monde. Enfin les dictateurs étaient tirés de leur lit, obligés de partir ou de rendre des comptes. Enfin, les libertés démocratiques à commencer par les droits des femmes faisaient des pas importants, l’émancipation semblait la donnée principale de tous ces soulèvements.
Les soulèvements depuis n’ont pas cessé. Les femmes se sont mobilisées dans tous les pays du monde pour faire respecter leurs droits et les élargir manière de lutter contre toutes les répressions. El Assad a montré jusqu’à quelles extrémités un dictateur était prêt à aller pour se maintenir au pouvoir. Depuis 2010, les populations syriennes ont subi les assassinats de masse. Continuer la lecture

Vide Poche (2) Relire les classiques

« Les Quarante-cinq » (Folio)
Alexandre Dumas a conçu un de ces romans qui en disent plus sur l’atmosphère du règne d’Henri III que bien des livres d’histoire. Le bouffon sert de narrateur dont l’empathie avec le jeune roi est visible. Il le charrie mais l’aime bien son roi. Une sorte de double. Alexandre Dumas signe là un de ses grands romans qui boucle la trilogie débutée avec « La reine Margot ». Les 45, les mignons du roi, apparaissent comme des soudards dépourvus du moindre sens politique. Les intrigues succèdent aux intrigues. Les enfants d’Henri II sont morts les uns après les autres pour ouvrir la porte au règne d’Henri IV. Un roman foisonnant, touffus qui permet d’appréhender l’univers de ce règne comme la force de l’écriture de ce romancier hors pair. Continuer la lecture

Vide Poche Spécial. Valentine Goby pour Charlotte Delbo

Comment écrire l’indicible ?

Valentine Goby, en voulant écrire sur Auschwitz un roman « Kinderzimmer » (Actes Sud), avait découvert l’œuvre étrange, magnétique, poétique de Charlotte Delbo Déportée dans ce camp de la mort, elle avait voulu témoigner pour conserver la mémoire de ses compagnes de détention et de l’environnement étrange dans lequel il fallait se mouvoir. La question qu’elle pose est redoutable : comment rendre compte, comment donner à lire ? Il lui a fallu trouver un langage pour répondre à ces questions. Charlotte Delbo se servira de tous les moyens de la littérature pour triturer les mots, les phrases pour forcer le lecteur à pénétrer dans cet univers à la géographie inconnue. Delbo avait voulu dompter les mots, les casser pour leur faire dire l’indicible.
Elle attendra 20 ans avant de voir publier l’ouvrage qu’elle avait écrit au retour des camps lors de sa renaissance après sa libération de Birkenau. Charlotte Delbo est capable de vous donner un aperçu de la non vie dans ces camps avec le simple mot « soif » qui prend un air singulier. Avoir soi c’est ne plus pouvoir parler. Les mots sont asséchés et la communication avec les autres perdues. Les compagnes de détention font preuve de solidarité pour lui permettre de revenir à la vie.
Un témoignage qui se retrouve dans tous les récits oraux ou écrits des déportés. Les femmes ne sont pas souvent évoquées. Il faut lire aussi Delbo pour cette raison.
Valentine Goby permet de s’introduire dans cette œuvre en faisant de cette solidarité qui permet de lutter contre la soif de l’oubli.

« Je me promets d’éclatantes revanches » avait-elle écrit à Louis Jouvet dont elle fut la secrétaire dés le retour des camps. Charlotte Delbo avait promis d’écrire la réalité de la vie de ces femmes déportées avec elle. Elle l’avait promis, les 230 déportées – 49 sont revenues – lui avaient demandé. Jacques Chancel, rappelle Valentine Goby, dans son émission Radioscopie du 2 avril 1974 – qu’il faut écouter sur le site de France inter pour avoir dans la tête son accent parisien et sa force, son rire -, affirmait doctement : « On n’en sort plus de tout cela », comprendre comment vivre après les camps, elle avait répondu « je crois au contraire que j’en suis sortie » pour montrer que la vie est un don qu’il ne faut pas refuser. Elle prétend que écrire permet de projeter le passé pour s’en débarrasser mais pas pour oublier.
Goby propose une « Lecture intime de Charlotte Delbo » et elle réussit à la fois de parler d’elle en parlant de Charlotte Delbo. Elle, c’est essentiel, donne envie de lire et de relire sa littérature, ses livres, ses pièces de théâtre dont « Aucun de nous ne reviendra », une phrase qui va s’imposer à toustes présents dans les camps.
Pas une bio au sens propre mais un hommage vivant. Ainsi Valentine Goby et Charlotte Delbo démontrent que, pour parler d’Auschwitz, l’entrée principale ce fait par les mots, par la littérature.
Charlotte Delbo semble un peu laissée de coté

Nicolas Béniès.
« Je me promets d’éclatantes revanches », Valentine Goby, Babel.

Vide-Poches

En ces temps incertains, la lecture est non seulement un moyen d’évasion mais tout autant un instrument de connaissance de soi et du monde extérieur. Les éditions en poche font souvent l’objet d’un ostracisme incompréhensible. Comme si ce format était lié à « populaire » et donc méprisable. C’est une erreur profonde. Les trésors sont innombrables. Vérification à travers plusieurs entrées.

Littérature
Contes pour jeunes filles intrépides (Babel)
Lorsque le héros du conte est une héroïne, la lecture se corse et ouvre des perspectives. Praline Gay-Para a ouvert les tiroirs de ces histoires, issues des contes et légendes du monde entier, qui indiquent que les luttes féministes sont inscrites dans la mémoire de tous les pays du monde. Il faut juste se donner la peine de les exhumer. Comme souvent, les femmes disparaissent du patrimoine culturel, comme si elles n’avaient jamais existées. Ces contes montrent que les jeunes filles sont des vaillantes combattantes.
« Contes pour jeunes filles intrépides », Praline Gay-Parra Continuer la lecture

L’enfance d’un génie : Louis Armstrong

Une bio auto-bio ?
Que sait-on de l’enfance et la jeunesse d’un génie du 20e siècle, Louis Armstrong en l’occurrence ? Peu de choses en vérité. Les sources manquent sauf celles de Louis lui-même qui se raconte souvent sans tenir compte d’un minimum de chronologie. La plupart du temps ces témoignages, ces morceaux de vie réels ou imaginaires, n’ont pas été traduit en français. Ils s’inscrivent dans la légende. Alain Gerber avait lui aussi essayé de faire parler Louis sans y arriver. Armstrong résiste, il se débat pour conserver sa capacité de fantôme agissant. Ses œuvres ont alimenté toute la musique populaire et pas seulement américaine L’enfance, en ce début du 20e siècle – Louis est né en 1901, le 4 août pour être précis -, n’existe pas. Presqu’immédiatement il faut faire face à tous les aléas de la vie et même travailler pour survivre. Il faudrait faire confiance aux témoins qui ont tendance à se raconter au lieu de raconter et, faute de mieux, à Armstrong lui-même qui ne peut être objectif en raison des souvenirs qui occultent la mémoire et de la mise en scène nécessaire à la narration.
Les auteurs, autrices comme ici Claire Julliard, doivent à la fois combler les trous et effectuer des transitions en faisant appel à leur imagination tout en restant enfermé-e-s dans le contexte de l’époque. Continuer la lecture

A lire

« Modernité » dit-il
Baudelaire a inventé le concept de modernité et le 19e siècle l’a conjugué. Les recherches se sont multipliées sur ce siècle fondateur d’un capitalisme libéral et néolibéral. Emmanuel Fureix et François Jarrige dans « La modernité désenchantée » proposent de « relire l’histoire du 19e siècle français. Une synthèse des travaux disponibles. L’éclatement des sciences sociales en plusieurs branches, la modernisation, les avant-gardes culturelles, les identités et tout autant la révolution et l’émancipation datent de siècle. Le concept de lutte de classes avec Saint-Simon et Marx se construit comme celui d’État et de société civile. La modernité détruit, un facteur de mal-être, et construit dans un processus renouvelé. Une réflexion nécessaire pour construire le 21e siècle.

« La modernité désenchantée », E. Fureix et F. Jarrige, La Découverte

Fantastique !
Keigo Higashino est un auteur – japonais – de polars dont les intrigues font la part belle aux tares de la société et aux préjugés qui empêchent l’individu de se réaliser. « Les miracles du bazar Namya » est une incursion dans le fantastique inscrit dans la réalité la plus quotidienne et même sordide pour un hymne à la fraternité. Le bazar a des vertus secrètes qui se découvrent et permet de dévoiler la capacité de chacun-e de se soucier de l’autre. Il fallait inscrire cette histoire dans le sur-réalisme pour la rendre crédible. Notre monde « réel » aurait-il abandonné toute velléité de fraternité ?

« Les miracles du bazar Namya », K. Higashino, traduit par Sophie Refle, Actes Sud