Libre dit-il

Roberto Bolaño (1953-2003), poète.

Suffisant pour décrire l’ampleur de l’écrivain qui sait se servir de tous les codes pour les pervertir et les transformer en autant de canons tonnants contre tous les préjugés. Morceaux de biographies, souvent d’autobiographie collés à la fantaisie des rêves pour débouler sur le roman noir mâtiné de références diverses littéraires pour déboucher sur l’indicible et l’inintelligible tout en donnant l’impression de communiquer des clés de compréhension que les vents emporteront.
Le mouvement qu’il créera en 1975, à Mexico, se définira comme « infraréaliste », référence pensée aux surréalistes comme à Julio Cortazar qui a profondément influencé toute le littérature latino-américaine. Les figures tutélaires s’agitent dans un curieux bocal, Borges, James Joyce – « Ulysse » et « Finegan Wake » continuent de susciter des commentaires et d’habiller les imaginations – mais aussi les villes, Santiago du Chili, la naissance, Mexico, Barcelone comme l’histoire des révolutions, la Commune de Paris tout autant que Allende. Continuer la lecture

Conteur du présent

Actualité du conte

Le conteur est un commentateur de l’actualité se cachant derrière le fantastique ou la parabole. Les contes sont souvent revus, corrigés par le contexte. Ils sont vivants et dépendent d’un travail collectif d’interactions entre le conteur et le public. Stuart Heritage, journaliste au Guardian, a repris la tradition à son compte. Il mêle, comme le titre l’indique « Boris Johnson et les trois ours », les histoires immortelles racontées à nos enfants et les personnages de l’actualité pour faire surgir rires et réflexions sur notre époque plutôt étrange. Une réussite.
Nicolas Béniès
« Boris Johnson et les trois ours et autres contes sarcastiques pour rire un peu de notre temps », Stuart Heritage, traduit par Cécile Roche, Editions Autrement.

Mémoires d’Amérique, John Edgar Wideman

Entre noir et désespoir

John Edgar Wideman est un des grands écrivains des Villes américaines qu’il sait investir via ses ghettos noirs. Philadelphie marquée par la présence de Benjamin Franklin, Pittsburgh par son aciérie envahissant toute la ville dans le passé -, ont ouvert leurs cœurs à la plume de John Edgar. Il a su rendre hommage à Frantz Fanon et à tous les Africains débarqués sur ce sol américain par les Négriers pour devenir leur terre… restée inhospitalière malgré l’ancienneté de leur enracinement.
Pour ce recueil de nouvelles, « Mémoires d’Amérique », il se déplace à New York, particulièrement sur le pont de Williamsburg qui relie Manhattan – une île bordée par l’Hudson River d’un côté et l’East River de l’autre – à Brooklyn. Le pont est connu de tous les amateurs de jazz par le biais de Sonny Rollins, un saxophoniste ténor qui a transcendé le 20e siècle. Il avait fait du pont au début des années 1960, son lieu de répétition. Au milieu du bruit des voitures, des sifflets des cyclistes et des conversations des piétons se rendant à Brooklyn ou en venant. Sans parler des suicidaires qui veulent enjamber la rambarde ou des joggers courant d’un sens puis dans l’autre dans une tornade de folie improductive comme pour lutter contre la profitabilité, marque de fabrique de la ville qui ne dort jamais comme dit la chanson « New York, New York » du film de Scorcese au titre éponyme. Continuer la lecture

Des cadeaux à (se) faire.

Le Père Noël n’est pas toujours nécessaire pour faire des cadeaux. Toutes les périodes de l’année sont propices. Par les temps qui courent – et vite – il est nécessaire de se référer plutôt à la Mère Noël, c’est plus sur. Les cadeaux les plus importants ne sont pas forcément les plus chers ni les plus en vue. Il faut toujours se méfier d’un produit, d’un bien qui plait immédiatement. Il vaut mieux viser le moins évident, le plus hermétique pour un cadeau qui durera.
Mais ne gâchons pas le plaisir. Celui d’offrir bien sur. Un bon moyen de lutter contre la dépression qui vous prend devant la profusion de marchandises. Un cadeau, ce peut être un livre de poèmes. Il faut savoir y penser. Continuer la lecture

Chic ! C’est la rentrée… littéraire ! Partir à la découverte.

Histoire, Mémoire et Romans

La rentrée serait sous le signe de l’austérité. Moins de livres que l’an dernier, disent les spécialistes qui font état de plus de 530 romans et ne comptent pas les essais et autres publications. Même ainsi, le choix est inhumain. Il ne peut s’agir que d’un échantillon très limité provenant plus de l’instinct que de la rationalité. Pourtant, le travail de mémoire est le point de chute de la plupart des romans. Comme si la recherche du passé se posait comme vital face à un monde vacillant qui fait de l’accélération son seul credo. Continuer la lecture

Le coin du polar

Spécial James Lee Burke.

Dave Robicheaux, flic de Louisiane, est le personnage clé de l’œuvre de James Lee Burke, son double plus sans doute que ses autres personnages. Robicheaux c’est la Nouvelle-Orléans, sa corruption, ses ouragans – Katrina a laissé des traces durables – aussi sa musique bien sur, le jazz, le blues particulier de la Ville et sa générosité dans la violence et la sauvagerie. Burke a construit un personnage représentatif de la Ville, Clete Purcell. Trop pur, trop violent, alcoolique, remplit du sentiment naïf, évident de la fraternité. Un personnage entier qui ne fait la part de rien, loin de tout compromis. On aimerait le rencontrer. Il est possible de réaliser ce rêve entre les pages de ces romans de James Lee Burke. Continuer la lecture

Découvrir William R. Burnett


Un auteur laissé pour compte mais qui compte.

William R. Burnett, né à Springfield (Ohio), en 1899, a eu le choc de sa vie en arrivant à Chicago. La deuxième grande ville des Etats-Unis, la porte du Midwest, industrielle et corrompue, capitale de l’architecture mais aussi de la pègre dans les années 1920 – il arrive en 1927 -, années de la prohibition et de Al Capone. Le 18e amendement de la Constitution américaine interdisait de servir des boissons alcoolisées. Le mauvais alcool, Moonshine tel était son nom, proliférait, les fortunes aussi. Burnett, fort des travaux de l’école de sociologie de Chicago, mis en scène la Ville qui façonne les habitant-e-s et les formes d’intégration de ces populations rejetées, juive et italienne en particulier. Il écrira : « Je me sentais écrasé par sa taille, son grouillement, sa saleté, sa turbulence, sa vitalité frénétique. » Et c’est encore la sensation qu’elle donne sans oublier – et notre auteur ne l’oublie pas – le jazz. Continuer la lecture

A l’Institut du Monde Arabe (IMA), les « Arabofolies »

Les musiques comme facteur de « Transmissions »

Du 7 au 16 juin, l’IMA vit une métamorphose. L’Institut sort de sa léthargie à intervalles réguliers pour faire bouger les piliers de ses fondations. Ils prennent l’air, aborde de nouveaux rivages, accueillent de nouveaux visages venus découvrir des horizons trop souvent présentés comme violents alors qu’ils sont sauvages. Loin de toute représentations racistes, les cultures arabes font la preuve de leur vitalité mais de leur inscription dans une histoire qui est aussi celle de l’Europe. Pour le rappeler, c’est Averroès qui fait découvrir Aristote aux européens. La terre européenne – l’origine des noms en témoigne – a été profondément balayée par les armées et philosophes arabes.
L’IMA fête ses 30 ans – déjà ! – et, pour cet acte 2, laisse la place aux folies de la musique arabe qui se veulent à la fois culture savante et populaire. L’influence de ces musiques est sensible sur toutes les autres cultures. Le jazz l’intègre pour retrouver une partie de son histoire, de sa force dans sa capacité à faire bouger les corps et les esprits mais aussi la variété qui puise dans ce vivier toujours renouvelé. Continuer la lecture

Roman ? Récit ? peut-être Conte moderne ?

Un pas de côté.
Comment définir « Un élément perturbateur », titre du conte signé par Olivier Chantraine ? Un marginal qui ne sait où vivre, mal à l’aise dans le travail d’analyste qu’il effectue pourtant au mieux et ce mieux gêne les dirigeants de l’entreprise dans laquelle il officie sans entrain et par la grâce de son frère, ci-devant ministre des finances ? Ou un malade victime de problèmes psychologiques entraînés par le suicide de son père ? Des questions qui trouveront des débuts de réponse en suivant le curieux et drolatique itinéraire de Serge Horowitz, l’empêcheur de tourner en rond alors que lui a toujours l’impression de tourner sur lui-même.
La première partie est une description presque clinique du travail de bureau, l’open space non compris, avec ses tensions et surtout ses temps morts. Une toile d’araignée de mensonges pour « arriver », se faire « bien voir » – dans tous les sens du terme – qui pollue la vie en société et déteint sur la vie privée sans oublier les inégalités entre femmes et hommes.
Le désintérêt pour ces déguisements conduit Serge Horowitz à une forme de lucidité ironique et humoristique. Ce carnaval fait rire et de bon cœur tout en ouvrant une réflexion sur notre monde tel qu’il ne va pas.
La deuxième partie est plus sur la corruption du monde des affaires, qui porte bien son nom, associé au monde politique pour que le spectacle continue perturbé par les « lanceurs d’alerte, pas toujours reconnus. C’est plus convenu mais tout autant réjouissant.
Il lui faudra se décider à prendre sa vie en mains pour laisser entrer l’oxygène dans sa vie et cette ascension/transfiguration passe par le rejet de ce frère torturé par le désir d’être président de la République. Cet arriviste qui ne recule devant rien pour assouvir sa soif de pouvoir, semble le portrait craché, jeunesse incluse, de notre actuel président. Les références implicites, ombres de celles mises en lumière, donnent un tour étrange de ce conte de nos temps dits modernes.
Nicolas Béniès.
« Un élément perturbateur », Olivier Chantraine, Folio/Gallimard

Le coup de foudre, un coup tordu ?
« Une complication, une calamité, un amour » est un titre qui en dit trop sur le contenu de ce court texte – roman ou nouvelle ne convient pas, il faut retomber sur le conte ? – de 79 pages. Véronique Bizot arrive à transfigurer les mots, les phrases pour les faire sonner comme des poèmes mis au service de l’amour marié, forcément, à la mort. Comment aimer ? Ni avec toi, ni sans toi avait déjà répondu François Truffaut. La quadrature du cercle que cette « union du désespoir et de l’impossible », comme l’avait défini un poète anglais du 17e. Une fois encore se retrouvent ici toutes les facettes du coup de foudre.
Une nouvelle qui, l’air de rien, vous poursuivra. Le sentiment d’avoir partagé un souffle de vie. Avec une dernière question l’amour n’est ce qu’une entourloupe ?
Nicolas Béniès
« Une complication, une calamité, un amour », Véronique Bizot, Actes Sud.

Chic, c’est la rentrée ! (1)

La rentrée littéraire, comme à l’habitude, se remplit de romans , d’essais, de BD et de polars pourtant, paraît-il, un peu moins nombreux que l’an dernier. Plus de 530 romans tout de même. Et on dit le livre en recul… Contrairement aux prophètes, qui ne savent prévoir que le passé disait Elias Canetti, le papier tient encore le haut du pavé.
Personne ne peut être exhaustif. Les critères de choix ne sont pas toujours évidents. Il faudrait tout lire… Comme ce n’est humainement pas possible, nous nous contenterons d’un roman, d’une BD et d’un polar. Continuer la lecture