« Que serait le monde sans la haine ? »
Trump aurait-il lu ce roman ? « Un intrus » pourrait passer pour un scénario qu’il a suivi quasiment à la lettre. Charles Beaumont, en 1959 année de parution, fait la preuve de sa connaissance de la société américaine qu’il sait observer. Un chirurgien social qui découpe, au scalpel, une petite ville du sud des États-Unis, qu’il appelle Caxton. Le Trump de l’époque, Adam Cramer, ne croit à rien mais veut devenir l’homme fort des États-Unis. Il fait aussi, par ses outrances, par son verbe, penser à Zemmour, comme si tous les démagogues, au-delà du temps, se donnaient la main pour construire une autre réalité la leur et l’imposer à des populations qui croient en eux. Rien ne les arrête, capables de chantage pour arriver à leur fin.
Une ville, microcosme du pays tout entier, gangrenée par le racisme latent, que l’activiste veut rendre tangible pour agir sur les réactions des habitant.e.s et construire son piédestal, rampe de lancement vers les sommets. Il se voit déjà en haut de l’affiche, président. Il sait surfer sur les préjugés qui flottent à la surface de tous les cerveaux. Par son utilisation des pulsions, de l’héritage familial et social autant que scolaire, l’apprenti dictateur veut effectuer un vrai lavage de cerveau pour faire des ces populations des adeptes a critiques. Trump, une fois encore, a fait la démonstration qu’une manipulation à grande échelle est possible. Beaumont, en une sorte de contrepoint et pour laisser percer des lueurs d’espoirs, décrit aussi la résistance de certain.e.s qui prennent conscience de leur imbécillité passée, décide de se battre au péril de leur vie pour faire appliquer les droits de la personne humaine. Le Klan, comme à chaque montée de haine raciale, renaît de ses cendres.
Le point de départ est la décision de la Cour Suprême de lutter contre la ségrégation en imposant l’intégration scolaire. Les élèves noirs fréquenteront les mêmes écoles publiques que les blancs. Le souvenir de Little Rock est encore vivace, en 1959. En 1957, un étudiant noir devait intégrer l’université. Le gouverneur Républicain Faubus avait envoyé la troupe pour le bloquer. L’agitateur, Adam Cramer, va aiguiser les haines pour se hisser à la tête des opposants à l’intégration. Refus d’obéir à la loi est pourtant un acte grave que Cramer, comme Trump, contourne en créant une autre réalité. En cette fin des années 50, il reste un fonds d’optimisme : miser sur l’intelligence des gens !
Tout y est, toutes les peurs, les angoisses de cette population sudiste aussi pauvre que les habitant.e.s du ghetto noir, à qui il ne reste que le rejet des populations de couleur – comme on disait à l’époque -, pour avoir le sentiment de leur supériorité. Un journaliste dira justement : que serait le monde sans la haine ?
Nicolas Béniès
« Un intrus », Charles Beaumont, traduit par Jean-Jacques Villard, préface de Roger Corman (traduite par Michael Belano) qui permet de faire connaissance avec l’auteur, 432 pages, 10/18 édtions