A propos Nicolas Beniès

Nicolas Beniès est économiste de formation. Il est tombé dans la grande marmite du jazz dans son adolescence, une énorme potion magique qui rend la vie différente. Il est devenu naturellement critique de jazz. Il a collaboré un peu à Jazz Hot, à Jazz Magazine. Il a également écrit dans Rouge, Contretemps), la Revue de l’École Émancipée, Le Monde Diplomatique et l’US Magazine. Il a longtemps - 20 ans - proposée, préparée et animée des émissions de jazz sur une radio associative. Il reprendra bientôt cette activité. Conférencier sur le jazz et l'économie, il est l'auteur du Souffle bleu - C&F éditions -, un essai sur le basculement du jazz en 1959 qui a donné son titre au blog/site, et de plusieurs ouvrages sur l'économie dont "Petit manuel de la crise financière et des autres" (Syllepse éditions). Il prépare deux nouveaux ouvrages. Un sur le jazz, "Tout autour du jazz", l'autre sur l'économie "Le basculement d'un monde".

Vider vos poches (4), James Lee Burke


Robicheaux au milieu de nul part, perdu dans le temps

James Lee Burke aime les fantômes. Ils arrivent à être plus vrais que les vivant.e.s souvent proches des morts. En Louisiane, le vaudou reste présent et sait invoquer les morts-vivants. « Une cathédrale à soi » est une peinture quasi intemporelle – jamais n’apparaît une date pour se repérer dans le temps – du Bayou et des errances de Dave Robicheaux associé à Cletus, l’ami de toujours, réceptacle de toutes les violences, de toutes les violences face aux néo-nazis en train de peupler les États-Unis bien après la chasse aux sorcières, comme si le maccarthysme avait marqué de son empreinte terrifiante la terre comme les villes américaines.
L’intrigue vient, comme souvent, de Shakespeare, de Roméo et Juliette qui prend l’apparence d’un couple de jeunes gens, Isolde Balangie et Johnny Shondell issues comme il se doit de deux familles de gangsters ennemis, qui ont fait fortune dans le trafic d’esclaves pour l’origine de leurs fortunes.
Un bourreau venant du fond des âges, 1600 en l’occurrence, veut se faire pardonner tous ses sévices – il était aux côtés de Mussolini – pour retrouver la paix de son cercueil et cesser d’encombrer les humains dans leur lutte pour le mal. Shondell semble être une incarnation de Trump ou l’inverse, on ne sait plus. Le fil se casse de temps en temps mais l’auteur sait d’un seul coup retrouver la grâce ou le malheur de son histoire.
Le brouillard du bayou sait cacher tous les trésors, toutes les turpitudes tout en dévoilant aux esprits fous les réalités enfouies au fin fond de nos cerveaux. « Les morts s’accrochent aux vivants » avait écrit Javier Cercas, James Lee Burke en fait une nouvelle démonstration.
Pourtant rien n’est jamais définitif surtout l’amour des jeunes gens mêmes s’ils savent chanter notre nostalgie, nos souvenirs.
N.B.
« Une cathédrale à soi », James Lee Burke, traduit par Christophe Mercier, Rivages/Noir

Vider vos poches (3), Noir c’est Noir


Un auteur disparu, Ed Lacy

Leonard Zinberg (1911-1968) a publié sous son nom quatre romans et plusieurs nouvelles. Juif marié à une Noire et père adoptif d’une enfant Noir, il allait aggraver son cas en devenant Communiste et en faisant de son entourage les personnages principaux de ses romans. Il allait bien sur être rattrapé par le maccarthysme, « la chasse aux sorcières » des années d’après la seconde guerre mondiale qui allait se traduire par une profonde remise en cause des libertés démocratiques. On voit que la rhétorique de Trump a quelques antécédents. Blacklisté, comme beaucoup d’autres, Leonard ne devra son salut d’écrivain qu’aux romans noirs, sous le nom notamment de Ed Lacy.
Toutes ces informations sont extraites de la préface de Roger Martin qui permet de faire connaissance avec l’auteur, sacrifié – il n’est pas le seul – sur l’autel de la série noire dirigée par Marcel Duhamel qui cherchait à vendre pour assurer la survie de la collection tout en respectant le format des 120 pages, sacrifiant souvent les réflexions politiques des personnages comme la psychologie des personnages. Continuer la lecture

Vider vos poches (2) Polars Historiques, Florence 1458 ; Paris 1800

Florence 1458

Piero della Francesca est une figure difficile à cerner, faute de détails biographiques avérés. Un appel pour en faire une figure fantomatique de détective, d’enquêteur dans cette Florence du milieu du 15e siècle habitée par le pouvoir de Cosimo de Médicis. Chiara Montani se l’approprie en même temps qu’elle nous propose une lecture de ses œuvres en mettant au premier plan une fresque, qualifiée de « maudite » parce qu’elle a provoqué en son temps l’ire de l’Inquisition. A partir de cette trame, elle développe un complot provenant du fin fond de la mémoire, raconté – c’est une force – par une donzelle démunie d’informations que Piero et son tuteur lui cachent. Lavinia raconte ce qu’elle voit, ce qu’elle apprend de manière naïve permettant à l’autrice tous les renversements de situation pas toujours justifiés. Continuer la lecture

Videz vos poches. Littérature


Trajectoire littéraire.

Michel Butor, pour des raisons qu’il n’avoue pas, s’est lancé, sans doute à l’instigation de son interrogateur Lucien Giraudo, dans une « Petite histoire de la littérature française ». Il s’amuse à copier, dans le découpage temporel, le Lagarde et Michard de son passé scolaire, tout en le dynamitant par des petites implosions. Une lecture agréable, chatoyante tout en provoquant la réflexion sur les cousinages, les influences et les références. Il permet de découvrir des auteurs un peu oubliés, notamment ceux du Moyen-Âge et de la Renaissance. Les deux périodes doivent être considérées comme un tout, la séparation comme le démontre les historien.ne.s d’aujourd’hui. Redonner la puissance de cette période, marquée du sceau de l’obscurantisme dans nos manuels d’histoire, est une nécessité pour comprendre nos racines.
Chaque partie est complétée par des textes pour faire accéder ce petit livre au rang de prolégomènes d’anti-manuel, jetant les bases d’un nouveau manuel. Il reste pourtant une faille. Butor envisage le surréalisme comme un mouvement qui se réduit à son chef de file officiel, André Breton. De notoriété publique, Breton n’aimait pas la musique. Il disait qu’il préférait celle des mots. De là en conclure, comme le fait Butor, que les surréalistes ont ignoré la musique, c’est aller un peu vite en besogne. Le jazz a occupé une grande partie des réflexions, des études, de Michel Leiris, à l’origine a-t-il dit de sa vocation d’ethnologue, Robert Goffin, poète et auteur d’histoires autour du jazz ou mieux encore Julio Cortazar inspiré par le jazz et les surréalistes (voir « Marelle » par exemple… Butor prend l’arbre (Breton) pour la forêt, les surréalistes. Avouons qu’il n’est pas le seul à commettre cette erreur de perspective peut-être à cause du jazz qui n’est pas forcément considéré comme de la musique.
Nicolas Béniès.
« Petite histoire de la littérature française », Michel Butor, Folio (inédit)

Festivals de jazz, le temps de l’été, un échantillon

La pandémie a bousculé toutes les certitudes, toutes les organisations. Une refondation apparaissait vitale. Pourtant, cette année, apparemment, les festivals font « comme avant ». Les changements sont, au-delà des apparences, présents. Au niveau des financements d’abord. L’inflation rapide et brutale augmente mécaniquement les charges au moment où les subventions à la culture baissent dans le climat de diminution des dépenses publiques de l’État comme de toutes les collectivités territoriales obligeant les organisateurs à trouver de nouvelles recettes, de nouveaux partenaires souvent privés qui réclament des contreparties. Les contraintes environnementales – nécessaires, vitales même – pèsent sur les charges fixes et les artistes exigent des cachets de plus en plus élevés pour faire face à la baisse des royalties due au « streaming ». Pour conserver un public nombreux, le prix des spectacles ne peut pas trop augmenter.
La programmation connaît, elle aussi, des évolutions. Au fil de l’évocation de quelques festivals qui ont retenu l’attention de l’équipe, il sera loisible de le constater. Pour le moment, aucun réflexion d’ensemble ne se manifeste. Elle serait nécessaire pour ne pas subir le poids des évènements.
Justine Triet, palme d’or du festival de Cannes, avait clairement posé la question de « l’exception culturelle », la culture ne pouvait devenir une marchandise faute de perdre son âme. Il fallait la considérer comme un service public, soustrait aux lois du marché. Un débat d’avenir, fondamental pour nos sociétés qui ont tendance à perdre la mémoire. Continuer la lecture

Littérature. Ecrivaine copiée qui refusait de « faire carrière », Claire de Duras


(Re)découvrir une romancière oubliée.

Claire de Duras, duchesse de son état, a été longtemps ignorée par sa postérité. Elle fut pourtant une gloire littéraire des années 1820 avec son premier roman « Ourika » copié tant et plus par des plumitifs et des éditeurs à la marge de toute légalité et de toute morale. La duchesse tint aussi salon – que fréquenta Madame de Staël -, évoluant dans cette « bonne » société royaliste du règne de Louis XVIII, réactionnaire à tout crin. Le futur Charles X, dit le simple à cause de ses idées étroites et imbéciles, frère cadet de Louis, imposait un mode de pensée contre révolutionnaire qui signera sa chute en 1830. La duchesse ne partage pas ces positions, partagée qu’elle est entre une mère royaliste et un père qui a participé à la Convention et à la Révolution et perdit la tête sous le couperet de la guillotine pour avoir refusé de voter la mort de Louis XVI. Elle essaie de résoudre toutes ses contradictions sans renier ce père breton.
Elle sera la grande amie de Chateaubriand, qui la jalousait, sa « sœur » en littérature. Elle l’aidera à obtenir un poste de ministre puis d’ambassadeur par son entregent et par la grâce de son duc de mari. Chateaubriand, fidèle à lui-même, ne reconnaîtra pas son talent contrairement au critique Sainte-Beuve… Continuer la lecture

70 ans après, Django !

Génie européen du jazz, un Manouche, Django Reinhardt.

Une photo de Django publiée pour les 10 ans de Vogue

Les racistes de tout poil en sont pour leur frais. Le seul génie européen du jazz porte le nom, pour l’éternité, de « Django » Reinhardt. , musicien accompli, pétri de toutes ces musiques, de toutes ses traditions qu’il a su s’approprier et dépasser pour créer une forme musicale encore actuelle, « le jazz manouche », qu’il faut appeler la « Django’s music », la musique de Django. Une des vies posthumes de Django se trouve là.1
Né en Belgique, à Liberchies (prés de Charleroi) par hasard par une froide journée neigeuse, Jean – prénom de l’état civil et non pas Baptiste – Reinhardt voit le jour le 10 janvier 1910. Il est surnommé, comme c’est la coutume chez les Manouches, des Tsiganes venus d’Europe centrale au 19e siècle, « Django », « J’éveille ».
Trente ans après sa rencontre, en 1931, avec le guitariste – sans guitare à ce moment là -, Émile Savitry, peintre puis photographe ami des frères Prévert, écrira à son ami, fantôme vivant : « Lorsque ta mère te donne ce nom : Django c’est pour elle comme le fragment syncopé d’un air tsigane. Nul qui l’a entendu ne peut l’oublier. »2
La postérité n’a pas retenu grand chose de son enfance et de sa jeunesse. Patrick Williams, anthropologue, en donnera une explication : les Tsiganes laissent les morts tranquilles sinon ils pourraient se venger. Continuer la lecture

Jazz. Mémoire vivante

Billy Valentine retrouvé

Bob Thiele Jr, le fils de son père, a décidé, poussé par on ne sait quel démon, de faire revivre le dernier label de son père, Flying Dutchman, soit le Hollandais volant, manière de situer les frontières de la légende. Pour incarner ce retour, il fallait un musicien sortant de l’ordinaire. Billy Valentine fut ainsi l’élu. Né le 16 décembre 1925, pianiste, connu aussi sous le nom de Billy Vee, il sera présent dans plusieurs sessions et enregistrements.
« Billy Valentine and the Universal Truth », le présente comme vocaliste avec des compères comme Larry Goldings aux claviers – piano, Fender Rhodes -, Jeff Parker à la guitare, Linda May Han Oh à la basse, Immanuel Wilkins au saxophone ténor notamment pour démontrer que le blues est bien présent, que la voix humaine est un instrument particulier qui sait transporter l’auditeur vers d’autres univers.
Billy Valentine sait reconnaître sa dette à Leon Thomas et à Pharoah Sanders dont il reprend le grand succès, « The Creator has a Master Plan ». La voix exprime un condensé d’expériences dans un écrin de jeunesse et d’une naïveté jamais perdue. Voix du blues pour une plongée dans des contrées où la lumière a du mal à percer, mais aussi joie intense, rires pour lutter contre tous les racismes et les injustices.
Il parcourt les compositions de Curtis Mayfield, Gil Scott Heron, Prince… pour autant de voyages dans nos paysages intérieurs, dans cette musique étrange, mélange de gospel et de vie sous toutes ses formes.
Il faut découvrir Billy Valentine et sa vérité universelle pour sortir du ghetto du monde, de son fonctionnement trop souvent violent et incompréhensible.
Nicolas Béniès
« Billy Valentine and the universal truth », Flying Dutchman/Acid Jazz

JazzHymne à l’enfant


Bonjour à la vie

Jozef Dumoulin, on le sait, pratique tous les claviers, du piano aux synthés en passant par le Fender Rhodes et, ici, il a ajouté la guitare et la voix. « This Body, this Life » s’accorde avec le dessin d’enfant de la pochette. Un hymne à la vie, à la naïveté, aux découvertes de paysages, des environnements qui apparaissent soudain remis à neuf parce que, à force, on ne les voyait plus. L’enfant redonne des couleurs dans sa capacité à recréer le monde.
Jozef Dumoulin a voulu rendre compte de cet univers en train de prendre du relief. Sa musique se veut « comme au premier jour » pour saluer le petit être qui, seulement par sa présence, donne un sens nouveau à toute vie. Le corps s’exprime, envahit l’espace et tout change. Le fils est le père de l’homme, c’est la démonstration que fait cet album, une fois encore.
Nicolas Béniès
« This Body, This Life », Jozef Dumoulin, Carton Records

Junas, un festival qui s’éclate

Junas, un festival de jazz devenu éducateur.

Junas, une petite localité du Gard proche de l’Hérault, une carrière d’où viennent les pierres de Nîmes, un lieu d’une beauté étrange, chargé de plusieurs histoires. Il y a bien longtemps – 30 ans juste cette année – un groupe de jeunes gens et de jeunes filles décident de créer une association, « Les copains d’abord » pour faire connaître leur village laissé à l’abandon. Ce sera un festival de jazz. Avec une originalité : inviter un pays. Ce sera l’Espagne d’abord, Tete Montoliu, pianiste catalan, y dialoguera avec la scène de pierre.
Le succès viendra couronner les efforts de l’association qui se transformera en développant des actions pédagogiques, en lien avec les établissements scolaires, pour éduquer les jeunes oreilles. De mars à juin, les actions sont multiples. Des ateliers – de création vocale, de percussion… – et stages, intitulé « Minot Jazz Gang », seront proposés du 19 au 22/07 à l’école de Junas Pour terminer par trois festivals, « Jazz au Pic St Loup », du 7 au 10/06, « Jazz à Vauvert », du 30/06 au 2/07, les deux avec Eric Truffaz notamment et le clou « Jazz à Junas » du 18 au 22/07 avec l’ami Sarde, le trompettiste Paolo Fresu, la battrice Anne Paceo, Daniel Humair, autre habitué, « Le sacre du tympan », dirigé par le bassiste Fred Pallem, le guitariste Gérard Pansanel qui, comme le batteur Patrice Héral, participe à un collectif sis à Montpellier, sans oublier la vocaliste Sandra Nkaké… Les pierres sont gorgées de sons du jazz. Elles racontent une sorte de mémoire du jazz.
Nicolas Béniès.