Un révolutionnaire tranquille

Wes Montgomery, Maréchal de la guitare.

Wes collection quintessenceLe jeu de Wes Montgomery est reconnaissable à la première écoute. Une sorte de nappe sonore, douce et acérée enveloppe l’écoute. Pour la qualifier, cette sonorité, pour la réduire, pour mettre à distance la nouveauté, la modernité, on dit « pouce » et « octave ». Il fallait bien le mettre dans une case. Dans laquelle il ne rentre pas. Ce guitariste, apparemment tranquille, qui tient la drogue à distance, est un révolutionnaire de la pire espèce de celle qui prétend ne rien révolutionner justement. Jouer avec le pouce au lieu du médiator n’est pas une nouveauté, d’autres l’avaient fait avant lui, Teddy Bunn en particulier et les accords à l’octave se retrouvent dans les improvisations de Django Reinhardt ou de Al Casey. Pourquoi et comment Wes est-il parvenu à ce style unique ? Pour y répondre, empruntons à Breton et aux surréalistes leur notion – utilisée aussi par Hegel et Engels – de « hasard objectif » qui évoque des faits venus de séries causales apparemment indépendantes font soudain sens. Pour Wes, c’est d’abord la plainte de voisins se plaignant du « bruit » de la guitare pratiquée au médiator, il passe donc au jeu avec le pouce, ensuite l’écoute, enfin la nécessité pour reproduire les sons qu’il entend d’un doigté adapté. Le tout permet à Wes de devenir Wes. Sans oublier l’influence première de Charley Christian – l’inventeur de la guitare électrique moderne – qui fut de passage dans cette ville d’Indianapolis et provoqua chez le jeune homme de 20 ans le passage d’une guitare « sèche » à une guitare électrique avec un ampli. Un investissement qui le mit quasiment sur la paille… Il avait aussi entendu Django, comme tous les guitaristes de ces années de guerre et d’après guerre qui exerça sur eux une sorte de magistère au même titre que Christian. Continuer la lecture

Quand le jazz est là… la bossa s’en va…

A propos d’une anthologie « Bossa Nova in USA/1961-62 »

Ce début des années 1960 est, pour le jazz, des années de création tout azimut. Le free jazz commence à briller de tous ses feux provoquant des réactions de rejet d’une partie du public attachée à la tradition et d’adhésion d’une jeunesse à la recherche d’autres horizons. Au Brésil, dans le même temps, naît une musique nonchalante, « cool », inspirée par cette « école » du jazz dont Miles Davis, en 1948, avec son nonet, est l’un des précurseurs, une simplification de la samba, la Bossa Nova. La Nouvelle Vague, en français, fera écho à celle qui, en France, est en train de changer le regard via une nouvelle manière de filmer, une nouvelle esthétique qui renverse les échelles de valeurs classiques. C’est le temps des révolutions. Le « nouveau » est à la mode.
Comment faire simple ? Reconnaissons que le « simple » lorsqu’il n’est pas simpliste est très compliqué. Le jazz en sait quelque chose qui s’essaie à cet exercice. Le jazz a appris à faire complexe et à se perdre dans sa complexité. C’est le cas à la fin des années 50. Le modal en sera une réponse, via là encore Miles Davis et cet album « Kind Of Blue » (voir « Le souffle bleu », Nicolas Béniès, C&F éditions).
Bossa Nova in USASous l’égide de Carlos Jobim, de Joao Gilberto et de Vinicius de Moraes, poète à ne pas douter, en particulier la Bossa Nova sort de ses limbes. Une manière d’entrer dans la modernité. Elle est marquée un décalage sur le temps entre la guitare ou le piano et le chant, un chant légèrement en avance sur le temps. Alors que le jazz cultive lui, un léger retard sur le temps. Comment faire cohabiter ces deux esthétiques ? Continuer la lecture

Live in Paris, 1960

Un Roi à Paris, Olympia 1960

Entre deux « cassages » de l’Olympia – le premier en 1955 avec Sydney Bechet, les autres dans ces curieuses années 1960 où le « yé-yé » dominait – des concerts de jazz eurent lieu dans cette salle qui en garde encore des souvenirs aériens même si elle a été refaite. Bruno Coquatrix, directeur, la prêtait aux présentateurs de l’émission sur Europe 1, « Pour ceux qui aiment le jazz » à 18 heures et à minuit. Daniel Filipacchi et Franck Ténot se faisaient, pour l’occasion, organisateurs de concerts.
D’autres grands concerts de jazz eurent lieu dans cette salle. King Cole à Paris, avec le Quincy Jones B.B.Celui là se fit sous l’égide de Norman Granz qui, pour 3000 dollars – si les souvenirs de Michel Brillé, concepteur de cette collection « Live in Paris » avec Gilles Pétard, sont justes -, avait engagé Nat « King » Cole pour cette tournée européenne dans ces premiers mois de 1960. Souvenez-vous. Quincy Jones, après l’échec de « Free and Easy », une comédie musicale, était en rade, avec son orchestre à Paris – voir, dans cette même collection « Live in Paris », le double album consacré à Quincy et son orchestre – et en demandait qu’à trouver des engagements. Filipacchi en fournissait et… Norman Granz pour accompagner le « crooner » King Cole. Bien sur, l’orchestre eut droit à une première partie mais la vedette, le roi de cette fête c’était Cole. Continuer la lecture

Jazz, Une étrange structure

Une section rythmique ?

Pour les non initié(e)s au jazz – il paraît qu’il en existe encore, j’ai du mal à le croire – une section rythmique sonne bizarrement. Pourquoi nommer « section » ce qui se réduit à un trio ou à un quartet, soit guitare (g)/basse (b)/batterie (dr) – le piano peut remplacer la guitare quelques fois – ou piano/basse/guitare/batterie ? Pour une raison historique pour conserver la mémoire d’un moment du jazz, le temps où les big bands régnaient en maîtres, soit les années 1930, seule période où le jazz était populaire.
Fletcher Henderson – dit « Smack », ancien ingénieur chimiste -, présenté comme le créateur du big band de jazz, avait pensé, dans ses arrangements et ce dés 1924-25 avec l’arrivée de Louis Armstrong dans son orchestre basé à New York (Harlem serait plus juste), l’ensemble de 13 musicien(ne)s comme composé de sous-ensembles qui devaient réagir les uns par rapport aux autres pour faire vivre les Questions/Réponses (Call/Response) hérités de la tradition du gospel et du blues. Il a donc construit les sections : Trompettes (3 en général conduit par le leader du sous-ensemble, un premier trompette), Trombones (1 ou 2), saxes (2 altos ou clarinette, 2 ténors, 1 baryton) et, par extension et par analogie la section rythmique. Une construction qui tient du concept, d’une sorte de philosophie du grand orchestre et de ses déterminations. Une dénomination qui vient de loin et laisse des traces. Aujourd’hui, tout trio ou quartet qui accompagne chanteurs, chanteuses, musiciens accède au statut de section rythmique… Continuer la lecture

Traces musicales de l’histoire sociale et politique des États-Unis

Le blues, mémoire et histoire
Pour une histoire culturelle

Hard Time Blues 1927 - 1960Les blues, suivant une tradition bien établie chez les ethnomusicologues, seraient uniquement liés à la situation sociale des Africains-Américains. Analyse à la fois juste et restrictive. Pour appréhender la force de cette musique, de cette création, le terrain esthétique ne peut- être déserté. Si le blues s’est universalisé, c’est bien qu’il véhicule autre chose qu’un simple discours de contestation sociale. Les générations d’adolescents qui se sont retrouvés dans cette musique n’étaient pas sensibles à ce langage singulier qui pratique le « double entendre », le double voir le triple sens capable de pervertir l’anglais pour en faire une nouvelle langue vernaculaire. Les ados français parce qu’ils ne comprenaient pas l’anglais, les Britanniques parce qu’ils ne percevaient pas les différences fondamentales entre leur langue et l’américain. Les « Rolling Stones », par exemple, démontrent ce fossé. En empruntant le langage des blues, ils en font un langage vulgaire alors, que dans la langue de Walt Whitman – qui n’est pas celle de Shakespeare – les termes sont grossiers mais pas vulgaires transcendés qu’ils sont par la poésie. Cette dernière est une des composantes essentielles. La citation de Leroy Jones mise en exergue du livret par les auteurs, Jacques Demêtre et Jean Buzelin, l’affirme avec force et toute la démonstration de « Blues People » – disponible en Folio – s’organise autour de cette dimension. Continuer la lecture

Louis Armstrong en France, 1948

Chapitre 14 des aventures d’un enfant du siècle

En février 1948, 14 ans après sa première venue en France, Louis Armstrong se produit au deuxième festival de jazz avec son « all stars » à Nice. Une manifestation organisée par Hughes Panassié avec le concours de la ville de Nice et La Radio Diffusion Française qui permettra à Paris Inter de faire entendre ces concerts soit en direct soit en différé. Pas toujours bien enregistrés ou conservés, ces concerts restent comme traces d’une libération mais aussi d’une scission qui marquera longtemps ce monde du jazz, celle du Hot Club de France fondé au début des années 1930.
Louis Armstrong vol 14Un contexte particulier illustré par ce festival de Nice et par la venue salle Pleyel de « Dizzy » Gillespie et son orchestre les 20, 22 et 29 février de cette même année 1948. La plupart des discographies datent ce concert – et j’ai repris cette date dans « Le souffle de la liberté, 1944 le jazz débarque », C&F éditions – du 28 février, oublieuses de cette année bissextile. La remarque vient de Daniel Nevers dans le livret qui accompagne cette « Intégrale » soulignant au passage que Louis et Teagarden y assistèrent or le 28 ils étaient en concert… Un élément important qui indique que les exclusions ne faisaient partie des travers des musiciens de jazz. Continuer la lecture

La saga Bird, saga du 20e siècle.

L’Oiseau de feu continue sa trajectoire

Alain Tercinet – auteur, rappelons-le, d’un portrait de Charlie Parker dans la collection Eupalinos, aux éditions Parenthèses – poursuit Bird de ses assiduités pour permettre de faire connaissance avec ce génie du 20e siècle. Comme à l’habitude, le livret livre son lot de connaissances et de reconnaissances. Il serait loisible d’écrire cette partie de l’histoire des États-Unis en suivant Charlie Parker de sa naissance à Kansas City en 1920 à sa mort en mars 1955. Le génie parkérien laisse partout sa trace. Y compris lors de sa visite en France et en Europe en mai 1949. Continuer la lecture