L’Oiseau de feu continue sa trajectoire
Alain Tercinet – auteur, rappelons-le, d’un portrait de Charlie Parker dans la collection Eupalinos, aux éditions Parenthèses – poursuit Bird de ses assiduités pour permettre de faire connaissance avec ce génie du 20e siècle. Comme à l’habitude, le livret livre son lot de connaissances et de reconnaissances. Il serait loisible d’écrire cette partie de l’histoire des États-Unis en suivant Charlie Parker de sa naissance à Kansas City en 1920 à sa mort en mars 1955. Le génie parkérien laisse partout sa trace. Y compris lors de sa visite en France et en Europe en mai 1949.
Le volume 5 de cette « Intégrale » nous faisait visiter les années 1947-1949 en s’arrêtant aux enregistrements réalisés par les vainqueurs du référendum de la revue Métronome le 3 janvier 1949. Dans ce volume, on entendait les débuts de l’engagement du Bird au Royal Roost – un club réputé de New York, dans cette 52e rue qui bruissait de tous les bruits du jazz -, avec, notamment, Kenny Dorham à la trompette, plus à l’aise que Miles Davis à cette époque. Miles regardait déjà vers d’autres cieux. En 1948, dans cette même enceinte du Royal Roost, il avait présenté son nonet. Il indiquait ainsi la naissance du « cool ». Il faudra qu’il attende pour qu’il soit reconnu. Le 25 décembre 1948 marquait la première retransmission radiophonique de ces prestations présentées par la voix wyskifiée de Symphony Sid Torin. Le présentateur explique le choix du thème de l’indicatif « Jumpin’ with Symphony Sid », une composition de Lester Young, une sorte d’hommage aussi au saxophoniste ténor de l’orchestre de Count Basie que Charlie Parker avait totalement digéré pour forger son propre style.
Une histoire pleine de fureurs et d’absences, de poursuites et d’arrêts – contrairement à la plupart des musicien(ne)s de jazz, Parker a toujours évité la case prison -, de sang, de sueur et de larmes, d’éclats d’un génie qui sait éclabousser son époque et de drogues, le tout l’épuisant pour le laisser sur la rive à 35 ans pour avoir côtoyé de trop près le soleil. Cet Icare sait nous faire s’envoler avec lui et retomber, quelque fois durement, sur la terre dite fort justement ferme.
Le volume 6, dernier en date de cette saga, nous permet de suivre Parker pendant les 5 premiers mois de 1949, d’abord au Royal Roost puis à Paris où il arrive pour le festival international de jazz organisé par Charles Delaunay. Entre temps, il aura participé au Jazz At The Philharmonic de Norman Granz au Carnegie Hall.
Un cadeau se glisse dans ce volume. Quatre enregistrements inédits réalisés à Paris pour se rendre compte de l’aura parkérienne et de son impact sur les musicien(ne)s français comme sur le public. La jam session – tronquée – finale fait la part belle à Sidney Bechet qui avait voulu éclipser « le petit jeune ». Une sorte de conflit de générations. Celle de Bechet ne pouvait s’imposer que contre les autres musiciens pour avoir le job, celle de Parker se différenciait par la difficulté de jouer des standards transformés. Deux mondes qui se retrouvent lors de ce festival. Sidney en sortira grande vedette de la variété française. Parker verra son génie reconnu par la jeune critique de jazz, à commencer par Boris Vian.
Ce début d’année 1949 montre un Parker le plus souvent souverain. Mais il arrive que la création ne soit pas au rendez-vous. Comme le disait Groucho Marx, dans un film, s’adressant au public après un calembour approximatif, « On ne peut pas être génial tous les jours »… C’est même le propre d’un génie de connaître des baisses de régime. Le génie n’est pas génial tous les jours pour des raisons diverses mais lorsqu’il l’est, il laisse tout le monde pantois, déchiré. Ces enregistrements live, au Royal Roost, dans leur continuité, permettent de suivre une vie parkérienne difficile semée d’embûches, de moment de dépression, de mélancolie. Il est des jours où il vaut mieux rester couché…
Nicolas Béniès.
« Intégrale Charlie Parker « Passport », 1949 », volume 6, coffret de 3 CD, Frémeaux et associés distribué par Socadisc.