Le Jazz là où ne l’attend pas

Une fusion porteuse d’avenir.

Rez Abbasi a déjà une longue carrière. Voir son site ou Wikioedia

Rez Abbasi est guitariste et joueur de sitar. Ses origines indiennes expliquent cette dualité. Dans son nouvel album, « Unfiltered Universe », il réussit le tour de force de fusionner ses cultures indiennes et le jazz, via l’influence revendiquée de Pat Metheny. Il a abandonné le sitar pour cet album qui lorgne résolument vers le jazz, loin des « musiques du monde », de cet assemblage qui se veut vendeur et ne réussit qu’à aseptiser toutes les musiques pour en faire un produit de consommation courante.
Rez Abbasi revendique toutes ses traditions, toutes ses mémoires pour les bousculer, les rendre vivantes capable d’inventer un présent. En compagnie de Vijay Iyer, pianiste essentiel de notre temps et de Rudresh Mahanthappa au saxophone alto avec lesquels il partage une formation commune, ils ne craignent de renverser les codes, d’aller vers l’inconnu. Ils ont des repères, dans le jazz, dans les musiques indiennes mais ils ont décidé de franchir toutes les barrières, notamment celles du collage pour proposer une sorte de dialectique de cultures, une sorte de choc pour construire une autre musique.
Il faut les entendre avec attention. Se retrouvent tout autant le jazz des années 1960-70, le son du sitar revisité, la rage lumineuse des grand-e-s du jazz, de tout le jazz – la batterie de Dan Weiss en témoigne comme la contrebasse Johannes Weidenmueller -, les métriques des musiques de ce pays à la culture immense et même, via le violoncelle de Elizabeth Mikhael, un soupçon de musiques dites classiques pour faire surgir des compositions originales de la plume du guitariste.
Nicolas Béniès
« Unfiltered Universe », Rez Abbasi, Whirlwind Recordings.

Jazz, De la guitare, France/États-Unis

Venu d’autre part…
voulga-david_Inner Child_Le premier album d’un guitariste et compositeur, David Voulga, qui voudrait retrouver la naïveté de la découverte d’un enfant. « Inner Child » laisse entendre une musique rythmée qui laisse entendre toutes ses références de l’afro-cubanisme aux musiques occidentales en passant par les dites musiques du monde tout en affirmant la filiation avec les grands guitaristes du passé. Une ode aussi au grand-père, immigré grec ainsi qu’à tous ceux et celles déracinées, acculturé-es à la recherche d’une autre culture, de valeurs. L’équipe de musiciens – beaucoup de Montpellier – s’est rassemblée pour servir le projet du guitariste. Prometteur.
« Inner Child », David Voulga, Absilone distribué par Socadisc.

De l’autre côté…
guitaristeMatthews Stevens, guitariste, veut lui aussi renouer avec la nature et son âme d’enfant. Des compositions à la structure étrange qui se veulent de notre temps mais qui ont du mal à véritablement décoller. La présence du pianiste Gerald Clayton est un gage de cette volonté d’originalité. De faire du neuf avec du vieux pour conserver le patrimoine et le faire fructifier. Il faut découvrir le leader, son projet bien défini par le titre « Woodwork », le travail du bois et l’ensemble des musicien–nes tout en regrettant l’absence de batterie au profit de percussions.
Nicolas Béniès.
« Woodwork », Matthew Stevens, Whirlwind Recordings

Jazz en livre, fille recherche père disparu

Un guitariste oublié.

bacsikElek Bacsik, guitariste et violoniste, né en Hongrie, fit les beaux soirs parisiens dans les débuts des années 1960. Son teint bronzé, son élégance surannée mais surtout un jeu de guitare qui tenait beaucoup des grands guitaristes américains plus que de Django – une même origine Rom les liait aux yeux des journalistes de l’époque. Ils n’avaient pas intégré la différence de contexte. Django crée une école, appelée ensuite « Jazz Manouche » tout en influençant tous les guitaristes du monde à commencer par les Américains. Même BB King – qui vient de nous quitter – reconnaîtra sa dette envers ce génie du jazz.
Pour Elek, comme pour Babik et tous les Reinhardt, l’influence de Django n’est pas directe. Elle est médiée par celle des guitaristes américains, par le bebop et la fusion.
Elek, en plus, vient des orchestres tsiganes où il jouait du violon. Prix du Conservatoire en Hongrie sur cet instrument.

Premier album en France de Elek

Premier album en France de Elek

Il avait enregistré un album avec Kenny Clarke puis s’était exilé aux États-Unis, où il est mort, un peu laissé pour compte. Il n’a pas réussi à percer bouffé par la passion du jeu et par celle des petits matins de désespoir lorsque la vie apparaît lointaine et qu’il ne reste plus que le goût de la mort. La mélancolie devait être la compagne de ce musicien étrange.
Balval Ekel, l’auteure de ce « musicien dans la nuit », a découvert sur le tard que ce musicien, dont elle n’avait jamais entendu parler, était son père. Sa famille lui avait caché ses origines. Considéré comme le « vilain petit canard », elle tenait là une forme de reconnaissance. Elle a recherché des traces de ce père. Elle nous les livre en même temps que ses angoisses. Un livre étrange qui essaie de mêler deux mondes.
N.B.
« Elek Bacsik, un homme dans la nuit », Balval Ekel, Jacques Flament Éditions, www.jacquesflamenteditions.com

Un révolutionnaire tranquille

Wes Montgomery, Maréchal de la guitare.

Wes collection quintessenceLe jeu de Wes Montgomery est reconnaissable à la première écoute. Une sorte de nappe sonore, douce et acérée enveloppe l’écoute. Pour la qualifier, cette sonorité, pour la réduire, pour mettre à distance la nouveauté, la modernité, on dit « pouce » et « octave ». Il fallait bien le mettre dans une case. Dans laquelle il ne rentre pas. Ce guitariste, apparemment tranquille, qui tient la drogue à distance, est un révolutionnaire de la pire espèce de celle qui prétend ne rien révolutionner justement. Jouer avec le pouce au lieu du médiator n’est pas une nouveauté, d’autres l’avaient fait avant lui, Teddy Bunn en particulier et les accords à l’octave se retrouvent dans les improvisations de Django Reinhardt ou de Al Casey. Pourquoi et comment Wes est-il parvenu à ce style unique ? Pour y répondre, empruntons à Breton et aux surréalistes leur notion – utilisée aussi par Hegel et Engels – de « hasard objectif » qui évoque des faits venus de séries causales apparemment indépendantes font soudain sens. Pour Wes, c’est d’abord la plainte de voisins se plaignant du « bruit » de la guitare pratiquée au médiator, il passe donc au jeu avec le pouce, ensuite l’écoute, enfin la nécessité pour reproduire les sons qu’il entend d’un doigté adapté. Le tout permet à Wes de devenir Wes. Sans oublier l’influence première de Charley Christian – l’inventeur de la guitare électrique moderne – qui fut de passage dans cette ville d’Indianapolis et provoqua chez le jeune homme de 20 ans le passage d’une guitare « sèche » à une guitare électrique avec un ampli. Un investissement qui le mit quasiment sur la paille… Il avait aussi entendu Django, comme tous les guitaristes de ces années de guerre et d’après guerre qui exerça sur eux une sorte de magistère au même titre que Christian. Continuer la lecture

Nouveautés jazz, du côté de la guitare.

Voyage immobile.

Philippe Mouratoglou

Philippe Mouratoglou

Une guitare, seule. Que peut-elle nous dire ? Un souvenir de flamenco, un soupir de standards, une réminiscence vivaldienne, de musique baroque ou plus loin encore dans le temps, un voyage vers où ? Vers nos rêves éclatés, détruits ? Vers un monde déjà dépassé, déjà fini ? Ou un futur étrange ?
Tout cela à la fois. Philippe Mouratoglou, le guitariste qui se laisse guider par sa guitare, parle d’« Exercices d’évasion » et c’est bien trouvé comme titre pour une volonté de se perdre. De perdre des repères pour faire entrer l’auditeur dans une errance qui lui permet à son tour de rêver. De partir pour ce voyage à la fois si près et si lointain.
Il n’était pas évident de réussir l’évasion. Il y faut une longue préparation. Elle pouvait rater. Ce n’est pas le cas. Ne vous laisser pas rebuter par le sous titre « guitare solo ». Le solo de guitare est comme celui de piano. Si guitare et guitariste font corps, si le musicien sait se battre, le résultat est à la hauteur d’un enjeu qui dépasse les deux protagonistes, celui de transporter l’auditeur.
Prêt au décollage ?
Nicolas Béniès.
« Exercices d’évasion », Philippe Mouratoglou, Vision fugitive, distribué par Harmonia Mundi.

Aspects de la guitare contemporaine, en jazz (?)

Où est passé Chet Baker ?

Joe Barbieri est guitariste et un peu vocaliste. Pour le 25e anniversaire de sa mort, il a voulu rendre hommage à Chet Baker. « Chet Lives », titre de cet album. Pour le rendre vivant, il faut un peu le bousculer. Le meilleur hommage est celui qui refuse toute copie.

Giuseppe – c’est son prénom – est né à Naples en 1973 et a dû entendre parler du séjour mouvementé de Chet en Italie. Cette histoire a été racontée dans un livre paru en 2004, « Un été avec Chet », signé par Massimo Basile et Gianluca Monastra (traduit en français par Clément Baude, Galaade éditions). Continuer la lecture