Un essai de Walter Scheidel.
Il est de bon ton de rendre hommage, dans la lutte contre les inégalités, à la civilisation ou le sens de l’histoire suivant les idéologies, lesquelles idéologies sonnent un peu ringardes dans un monde qui ne sait plus la signification du concept de progrès. La confusion est grande entre l’idéologie du progrès, sous la forme actuelle de la nécessité du changement sans contenu et le progrès lui même, la notion de révolution, de changement fondamental.
Au-delà des constructions métaphysiques, les luttes sociales, la guerre expliquent largement les avancées sociales de la fin de la seconde guerre mondiale et la construction de l’État-providence. Allégrement et avec une gourmandise qui fait plaisir à lire, Walter Scheidel, historien et spécialiste de la Rome antique, dans « Une histoire des inégalités », bat en brèche tous ces lieux communs.
Toute société un peu stable, démontre-t-il, génère des inégalités qui s’approfondissent au profit de la classe dirigeante, celle qui détient le plus gros patrimoine –terme qu’il utilise à l’instar de Picketty comme synonyme de capital. Les « niveleurs » – le titre original, « The Great Leveler » fait référence à ce mouvement né dans la première révolution anglaise au milieu du 17e – bousculent la société pour mettre les compteurs à zéro. Il arrive qu’ils n’arrivent pas à le faire. Une fois la crise passée, le niveleur permet la construction de nouvelles inégalités.
Ces « quatre cavaliers de l’apocalypse », comme les nomme l’auteur – ont pour nom révolution, pandémie, guerre et effondrement de l’État, des institutions. Sans eux aucune remise en cause n’est possible. Pourtant, maximiser les inégalités sape les sociétés. Facteur d’implosions et d’explosions, elles se traduiront inéluctablement par des révolutions, des guerres et la déstabilisation des institutions, par la venue de l’apocalypse…
Une thèse intéressante, stimulante et qui donne des instruments pour comprendre les configurations des crises que nous vivons. Et les politiques mises en place.
Nicolas Béniès
« Une histoire des inégalités de l’âge de pierre au 21e siècle », Walter Scheidel, traduit par Cédric Weis, préface de Louis Chauvel, Actes Sud/Questions de société, 751 p.