La politique d’austérité des gouvernements de la zone euro rapproche le risque de récession.


En attendant « Godot la croissance »

La conjoncture économique dans la zone euro est marquée par la récession et la déflation. La baisse des prix constatée sortie usine pour les biens industriels est en lui-même l’indicateur de la surproduction. La politique d’austérité accentue la contraction du marché final et conduit à une baisse des investissements, à la montée du chômage et à une nouvelle crise financière et économique.

La politique budgétaire oriente l’action sur les dépenses publiques dans le sens d’une énorme baisse de 21 milliards d’euros. Du jamais vu. Elle se décompose en :

–7,7 milliards pour l’Etat sous la forme d’une baisse du pouvoir d’achat des fonctionnaires et la réduction de leur nombre sauf pour l’Éducation nationale (+ 9400 postes) et, dans une moindre mesure, pour la Justice et l’Intérieur ; et une diminution du service de la dette (amortissement + intérêts) permise par la faiblesse des taux de l’intérêt. Les marchés financiers prêtent à des taux d’intérêt « réels » – grosso modo la différence entre le taux nominal et le taux d’inflation – négatifs.

-3,7 milliards pour les collectivités territoriales, baisse qui aura un impact récessif sur les investissements publics et se traduira par la dégradation des conditions de vie des populations qui alimentera leur colère sourde. Les jacqueries sont probables. Dans le même temps, le Bâtiment-Travaux Public s’installe dans la récession.

-9,6 milliards pour la Sécurité Sociale dont 3,2 milliards pour la branche maladie. Il est prévu d’économiser 890 millions sur les dépenses hospitalières alors que les hôpitaux sont déjà dans une situation difficile. Des fermetures, des regroupements sont envisagés au détriment du droit fondamental à la santé. Là encore le gouvernement alimente le ressentiment. Comme s’il avait décidé de jouer le vote Front National. Le vote des députés sur la modulation des allocations familiales devrait permettre de rapporter 700 millions. Il est vrai que cette branche de la Sécurité sociale est une branche rapportée. Elle fait plutôt partie de la politique familiale. Mais remettre en cause son caractère universel peut permettre – on entend déjà le Medef – d’élargir cette décision aux autres allocations. Continuer la lecture

JAZZ. A deux, c’est mieux ?

Un art qui se perd…

kenny_barron_and_dave_holland-couv-585Cet album tient un titre, « Art of Conversation », et il le tient bien. Kenny Barron, pianiste, né à Philadelphie le 9 juin 1943, sait tout du jazz. Dave Holland, britannique de départ devenu totalement jazz, a baladé sa contrebasse dans tous les groupes pour finir par diriger le sien où il a permis la découverte de nouveaux talents. Les réunir ne venait pas tout de suite à l’esprit.
Une bonne idée pourtant à les entendre dialoguer. Un échange, une interaction sans jamais hausser le ton. Les aspérités de la conversation n’apparaissent qu’au bout d’une écoute attentive. Chacun se raconte tout en se gardant d’imposer son histoire. Bud Powell accompagné de Monk, « In Walked Bud », est invoqué par Kenny – Bud fut son voisin -, Kenny Wheeler, trompettiste et compositeur qui nous a récemment quittés, « Waltz for K.W. » par Dave Holland – ils avaient joué ensemble aux côtés de Anthony Braxton pour des albums qui restent, de référence – ou encore Billy Strayhorn, Charlie Parker… musiciens qui font aussi partie de notre mémoire, de notre histoire.
imagesSi cette conversation est aussi affûtée, c’est qu’elle est le résultat d’une tournée effectuée pendant l’année 2012. Contrairement à une tradition récente, cet enregistrement en studio ne précède pas la tournée mais la conclut. Le CD, souvent, sert de carte de visite pour obtenir des engagements alors qu’il devrait être la synthèse des apparitions en public.
Kenny Barron et Dave Holland continue de se produire. En septembre on a pu les entendre à La Villette en septembre et, plus récemment, au New Morning… Ne les rater pas…
C’est aussi, cette première rencontre entre les deux hommes, la renaissance d’un label mythique, « Impulse ! ».
Deux réussites. Retrouver un label disparu qui fut celui de Coltrane – Bob Thiele en fut le producteur – et une conversation qui vous suivra tard dans la nuit autour de ce cognac que ces deux là ont dû se partager…
Nicolas Béniès.
« The Art of Conversation », Kenny Barron/Dave Holland, Impulse distribué par Universal.
kenny-barron-dave_holland-bd

Séminaire jazz du mercredi 26 novembre 2014

Bonjour,

Semaine chargée pour moi et pour vous.

Après l’économie, le jazz. Mercredi 25 novembre.

Nous quittons Kansas City (Missouri) à regret. Il me restait des musiciens à vous faire entendre.

je vous propose un échantillon – de références – de ce que nous avons entendu
Andy Kirk and his Twelve clouds of joy, avec Mary-Lou Williams, pianiste, compositeur et arrangeure. Des sorties récentes font la part belle à Mary-Lou. Voir les chroniques sur ce blog/site.

Je vous mets ci-après quelques extraits en MP3 de ce que je vous ai fait entendre.

Big Joe Turner, son grand succès « Corrine Corrina » (je vous ai fait entendre Rebecca…)

Le pianiste Pete Johnson, compère attitré de Turner, and his boogie woogie boys, « Cherry Red »

Mary-Lou Williams en trio, « Little Joe from Chicago »

Pete Johnson et Joe Turner dans ce premier grand succès « Roll ’em Pete »

Lester Young premier enregistrement en 1936, « Lady be Good », en compagnie de Count Basie (p), Jo Jones (dr) notamment. Sous le nom de « Jones-Smith inc. », le trompettiste Carl Smith a peu enregistré et on ne connaît pas de solos de lui, mais il fut un premier trompette important de l’orchestre de Basie. Les 13 musiciens étaient au Reno Club à KC et la musique ne s’arrêtait jamais sauf pour le changement d’orchestre…

Harlan Leonard and his rockets que je n’ai pas eu le temps de vous faire entendre, l’arrangeur Tadd Dameron, pianiste du groupe, deviendra un des grands compositeurs du bebop. « My gal Sal » de 1940

Lester Young en 1941 accompagnant Una Mae Carlisle dans « Blitzkrieg Baby »

Lester Young en 1944, « Blue Lester »

1942, premier enregistrement de Charlie Parker avec le Big band de Jay McShann, « Swingmatism »

Charlie Parker et « Dizzy » Gillespie avec Slam Stewart, bassiste fredonnant et le guitariste Slim Gaillard, MC, pour cette jam gravée en 1945 pour Savoy.

Julia Lee en 1947, pianiste et vocaliste, son grand succès « Snatch and grab it »

Quand Ravel et son infante servent de matériau pour un très bel arrangement pour deux musiciens dont l’élégance est le point commun, le trompettiste Buck Clayton et le tromboniste Vic Dickenson, en compagnie de Hal Singer (ts) pour ce « The Lamp is low » titre américain.

Décembre 1945, Lester Young à la sortie de l’armée, « These foolish things »

Un beau final…

Nous quittons donc le Missouri pour partie de nouveau vers le nord industriel, Philadelphie est notre arrêt pour 4 rendez-vous.
skylineLa ville de Benjamin Franklin a été, un temps, une concurrente de New York. Ville des arts et des sciences. Sa gare en forme de temps, inspiré par La Grèce et Rome – mais aussi la « Ville Blanche » de Chicago, au moment de l’exposition universelle.
Sans parler des Amish toujours présent, héritage du fondateur de la ville, Penn et des Quakers. Le film de Peter Weir, « Witness », « Témoin sous surveillance » pour le titre français », fait de la communauté Amish le personnage principal de ce film, avec Harrisson Ford (1985). Communauté présente au marché couvert de Reading Terminal. Repas et commerces tenus par la communauté…
Aujourd’hui, Philly fait bien silencieuse face à Big Apple qui ne dort jamais…
university-city-philadelphia-skyline-day-1400vpUn jazz spécifique est pourtant né là… Beaucoup des musicien(ne)s de cette Ville marqueront le jazz – et le jazz de New York – de leurs empreintes…

Les photos ci-dessous, de Francine Béniès, en guise d’entrée dans la ville de Philly. Elles datent du 17 septembre 2014

Photo 677

Photo 675

Photo 673

Photo 664

Ci-dessus quelques tableaux sur les murs de Philadelphie et ci-dessous l’entrée du Musée d’art moderne.

Photo 631

A mercredi, 18 heures – 19h30 au Café Mancel.

Nicolas BENIES.

Séminaire économie de l’UP, Première pour cette année

Bonjour,

La semaine qui commence celle du 24 au 30 novembre, est marquée par deux rendez-vous. Cette concomitance des temps n’est pas voulue. Elle provient de deux organisations différentes des deux lieux dans lesquels l’Université Populaire étend son territoire. Le Panta théâtre et le Café Mancel.

Le premier cours d’économie aura lieu ce mardi 25 novembre de 17h30 à 19h30 au Panta Théâtre comme d’habitude. Il faudra planter le décor. Profiter du 25e anniversaire de la chute du Mur de Berlin, le 9 novembre 1989, pour reprendre l’architecture du monde de cette entrée dans le 21e siècle.
La guerre froide se terminait là. Pas brutalement bien sur. La décomposition du régime des pays dits de l’Est – pour éviter le débat sur une caractérisation plus précise, en acceptant l’idée qu’ils n’étaient pas capitalistes – est antérieure. L’événement ne fut pas pour autant prévu à la fois dans son ampleur et dans ses conséquences presque immédiates. Se souvient-on que cette caste au pouvoir en URSS surtout s’est convertie, à une vitesse égale à celle de la lumière, non seulement au capitalisme – les germes étaient déjà bien semées – mais au libéralisme le plus fou, le plus absurde. La suite, une montée des cliques, des mafias pour voler le plus de richesses possible. Devant cette déstructuration économique et sociale, les populations regardaient en arrière – c’était mieux avant, une antienne que l’on retrouve dans tous les pays du monde – et appelaient de leurs vœux un roi appelé araignée, comme disait Prévert. Et ce fut Poutine…
Les polars russes qu’il faut lire avaient magnifiquement décrit ce contexte noir.
Un monde s’écroulait. La géopolitique naissait dans les limbes de la coexistence pacifique. La politique perdait du terrain au profit d’une « science économique » – traduction, l’idéologie libérale – posée comme une technique incapable de se tromper parce que totalement mathématifiée, en l’occurrence totalement mystifiée. La raisonnement économique disparaissait pour laisser la place à une mystique, à une croyance, à des dogmes.
Le monde ne savait plus que raisonner en « concurrence », « compétitivité » pour gagner des parts de marché sur les concurrents.
Tout était bon pour devenir riche. la corruption s’installait en maîtresse.
La Chine à son tour, pourtant sous la domination du PCC – PARTI COMMUNISTE CHINOIS -, entrait dans le capitalisme le plus sauvage tout en discutant avec le libéralisme. La politique d’ouverture de la Chine devrait devenir un cas d’école.
Ce monde là allait connaître une phase de victoire totale, mondiale de l’idéologie libérale. Rien n’y a résisté. Les Facultés d’économie s’étaient déjà converties. Les institutions internationales aussi. La naissance de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC, WTO en américain) le 1er janvier 1995 – création issue des accords du GATT dits « Uruguay Round » signés en 1994 à Marrakech – allait marquer cette victoire. Le marché libre et non faussé devenait le dogme essentiel pour justifier toutes les ouvertures. La libre concurrence devait assurer le développement de tous les pays et le bonheur de tous.
L’image de la structuration de la société en classes, en castes, en groupes sociaux disparaissait pour laisse la place à construction irréaliste de sociétés composés d’individus.
L’idéologie de « l’égalité des chances » remplaçait l’analyse d’une société profondément inégalitaire. Un pauvre et un riche auraient les mêmes chances au départ. Au départ de quoi ?
La deuxième phase commence dans la nuit – pour nous – du 9 au 10 août 2007 – les cours d’économie commençaient cette année là ! -, les marchés financiers s’effondrent dans tous les pays capitalistes et d’abord à New York. les subprimes ont été le facteur déclencheur. Mais ce sont surtout les constructions étranges comme les CDO ou les véhicules d’investissement structuré – des poètes ces financiers – qui ont semé cette panique.
Depuis le monde a changé une fois encore. Le 21e siècle se devait de détruire le 20e siècle pour relancer, sur de nouvelles bases, l’accumulation capitaliste. La destruction ne passe pas forcément par la guerre même si la guerre apparaît comme la seule manière faire de la politique dans une grande partie des pays du monde.
Comme le dit Jorion, un brin optimiste peut-être, La révolution interne au capitalisme dont être tellement profonde que sortir du capitalisme devient possible.
La renaissance des théories sur le « commun » – voir Laval et Dardot, « Commun. Essai sur la révolution au 21e siècle », La Découverte) – indique que des alternatives au capitalisme sont à l’étude.
Les déclarations se succèdent pour affirmer – quelques fois sans beaucoup de démonstrations – que le socialisme est la seule solution pour sortir de la crise, sans pour autant définir les bases sur lesquelles ce nouveau mode de production pourrait fonctionner.
Ces auteur(e)s divers – à commencer par Immanuel Wallerstein – ne s’interroge pas sur ces concepts blessés qui obligent le mouvement ouvrier, s’il veut renaître de =ses cendres, à se redéfinir pour (re)naître.
Ils prennent pourtant en compte une réalité que les gouvernements et les organisations internationale se refusent encore à considérer, la faillite de l’idéologie libérale. Il est apparu, après notamment la faillite de Lehmann Brothers, le 15 septembre 2008, que les marchés ne s’autorègulaient pas. Il est depuis impossible de nier cette faillite. Qui se manifeste par la fin des envolées – lyriques ? – à la fin de chaque communiqué de l’UE en particulier sur la liberté des marchés qui devait assurer l’équilibre général, l’allocation optimum des ressources.
Aucune idéologie de remplacement n’apparaît. Contrairement aux années 30 où le keynésianisme avait abreuve la social démocratie et le gouvernement de Roosevelt aux États-Unis.
Les années 30 devraient plus étudiées qu’elles ne le sont…

Ces quelques lignes pour alimenter la réflexion.

Je vous donne donc pour la première cette année

MARDI 25 NOVEMBRE 2014 à 17h30 AU PANTA THÉÂTRE

Nicolas BENIES

PS Voir aussi les articles récents et moins récents mis sur ce blog…

DICTIONNAIRE

S comme « Shadow banking » ou comme Spéculation.

La « finance de l’ombre », pour parler français, prend de plus en plus d’ampleur. De l’ordre de 75 000 Milliards de dollars suivant le FSB, le Financial Stabilty Board. Ce Conseil de stabilité financière, créé au G20 d’avril 2009, regroupe 26 autorités financières nationales (dont les banques centrales et les ministres des finances), plusieurs organisations internationales et des groupements chargés d’élaborer des normes (dont celles dites Bâle 3), a comme objectif de permettre les coopérations en vue de la surveillance des institutions financières. En clair, proposer des réglementations pour éviter le retour de la crise financière d’août 2007 qui s’était traduite par la faillite de Lehmann Brothers le 15 septembre 2008. Continuer la lecture

Les femmes, grandes oubliées de nos livres d’Histoire.

Pour une histoire «ouverte »

les-fran-aises-au-coeur-de-la-guerre_9782746738959Mis à part quelques égéries, Jeanne d’Arc, Jeanne Hachette – pour qui je garde une secrète admiration pour cette héroïne inventée -, les femmes ne font pas partie du paysage de l’Histoire. L’Histoire est souvent masculine. Les hommes font l’Histoire. Les femmes sont reléguées dans les histoires.
Une erreur profonde.
Qui commence à être corrigée. Les ouvrages se multiplient. L’un des derniers en date, « 1939-1945, Les Françaises au cœur de la guerre », réalisé en collaboration entre les éditions Autrement et le Ministère de la Défense, sous la direction de Evelyne Morin-Rotureau, permet de revisiter tous les grands thèmes de cette Histoire y compris celle de la Shoah, de ces « femmes juives en France ». Un nouvel éclairage de la vie au quotidien comme celle de la Résistance ou plus encore les conséquences de la politique de Vichy.
Les têtes de chapitre donnent une idée des sujets traités. « Subir l’Occupation », comment vivre ou survivre, comment se soustraire au type de rapports sexuels voulus par les autorités d’Occupation, à la politique familiale de Vichy et à la « Fête des Mères » instituée par le maréchal Pétain ? Comment les femmes se sont organisées face à l’occupant ? Elles militent, elles font partie des organisations de la Résistance. La Libération, « fête folle », se traduira par le doit de vote mais la libération dans la vie de tous les jours attendra…
Les auteur(e)s constatent aussi que les Résistantes disparaissent assez rapidement du paysage politique alors que les associations de Résistants fleurissent et vont occuper une très grande partie du terrain.
Les auteur(e)s ne font pas l’impasse sur les « oubliées de l’art » dont « les femmes remarquables dans le cinéma français sous l’Occupation ou Marlène Dietrich… Toute une histoire restés dans l’ombre…
L’iconographie, superbe comme souvent dans ce type d’ouvrage, se compose de plus de 200 photos et de documents d’époque. Elle appelle à poursuivre ce travail d’archives pour retrouver les traces de ces existences, de ces parcours.
Pourtant les figures de Résistantes existent – comme celle de Joséphine Baker – mais elles ont eu tendance à occulter la réalité de la volonté de survivre, de se libérer de toutes ces femmes qui ont voulu prendre en mains leur destin. Il fallait revenir sur cette période pour comprendre notre passé commun, pour que notre patrimoine s’enrichisse de cette Histoire. Pour comprendre aussi que le combat pour les droits de femmes est un combat pour les droits de tous les êtres humains.
Ce livre là ouvre des perspectives de travail à tous les historiens et pas seulement aux historiennes !
Nicolas Béniès.
« 1939-1945, les Françaises au cœur de la guerre », Ministère de la Défense/Autrement, sous la direction de Evelyne Morin-Rotureau.

Une représentation de la folie du monde

Ensemble sans le savoir…

Les plus de 1500 pages qui constituent la trilogie de Hugh Howey – voir notre recension des deux premières parties – intitulé « Silo » a eu un énorme succès aux États-Unis. Un peu moins en France si j’en crois les réactions de la presse.
Pourtant, c’est une « Exofiction » – titre de cette nouvelle collection chez Actes Sud, un titre bien trouvé – qui parle d’un monde qui ne se comprend plus, qui vit divisé à la recherche d’un nouvel Éden. L’horizon de tous ces habitants est fermé, fermé par les pouvoirs destructeurs d’un despote. La fille de Thurman le dictateur, Anna, a décidé à la fois par amour pour Donald et pour répondre à une aspiration de liberté qui devrait faire partie de chaque être humain(e) de défaire le projet fou de son père. Un oedipe revu et corrigé en quelque sorte. Dans le tome 2, elle a donné à Donald tous les pouvoirs en le faisant passer pour son père, pouvoirs dont il ne saura pas se servir dans un premier temps. Cette responsabilité lui fait peur. Il essaiera de prendre contact avec les autres silos, pour les sortir de leur isolement. Il découvrira aussi que la terre ne se limite pas à la seule vision de notre petit coin mais qu’elle est plus vaste, plus résistante aussi. L’avenir ne peut pas être écrit par un dictateur qui voudrait avoir le droit de vie et de mort sur tous ces sujets.
Hugh Howey, dans le premier tome « Silo », nous avait présenté la vie dans un silo, le silo 18 mais il faudra attendre le tome 2, « Silo, Origines », pour le savoir. Les luttes ont lieu, l’espoir apparaît et disparaît. La lutte des classes se mène dans un cadre national, pardon d’un silo, et oppose les travailleurs et les concepteurs dans ce contexte précis. Le tome 2 remontait aux origines de la construction de ces silos et les raisons de cette structure particulière. Le tome 3, « Générations », en apprend davantage sur les objectifs de ce Thurman. La résistance éclatée s’organise, la dictature aussi. Les assassinats sont voulus et organisés. La guerre change de niveau. Une sorte de « nouvelle guerre » pour sauver le genre humain. La place des femmes est fondamentale. Juliette est une grande figure comme Charlotte. Ces femmes ne se laissent pas abattre. Elles luttent et elles existent.
Hugh Howey est un curieux auteur. Il s’est lancé sur le Net et les lecteur(e)s ont répondu. L’interaction auteur/lecteur(e)s a permis cette construction bizarre. Cette trilogie est une sorte de conte moderne totalement en phase avec notre monde qui se conjugue à la fois sur le mode de la barbarie et sur celui d’un désespoir qui voudrait se transformer en espoir. Juliette représente cette donnée. Elle trimballe un désespoir total et est mue par un total espoir de trouver un autre monde, un endroit où aller où l’herbe est plus verte. Le sentiment de culpabilité, de l’autre côté – du silo 1, le poste de commandement secret – de Donny, diminutif de Donald, est tel qu’il ne peut pas vivre.
Ces individualités sont bien mises en situation. Le contexte est important. Chacun(e) fait partie d’un groupe. L’auteur n’oublie pas la montée des intégrismes, des croyances, des dogmes pour se fermer les yeux face à une réalité qui dérange. Ces croyants sont prêts à tuer pour rester dans leur monde imaginaire.
Le silo 1 pourrait faire penser aux Etats-Unis, à leur place dans le monde, une place difficile à tenir. Le reste, à notre monde éclaté qui ne sait plus se construire un avenir et qui s’enferme dans des micro identités fantasmées. Pour en sortir, il ne reste que le combat collectif, de convaincre que l’avenir existe et qu’il peut être commun… Vaste programme !
La fin, qui n’en est pas une, se veut la lueur d’un espoir qui pourrait renaître…
Une trilogie à lire de toute urgence. Une fois ouvert, vous aurez envie de rester.
Nicolas Béniès.
« Silo. Générations », Hugh Howey, traduit par Laure Manceau, Actes Sud/Exofictions. Le premier tome vient d’être réédité en poche dans la collection Babel.

Le coin du polar (2)

Brighton microcosme de la Grande-Bretagne.

Peter Guttridge fut d’abord critique de « littérature policière » pour se transformer en écrivain de cette littérature souvent présentée comme « de gare ». Rien de plus faux. Cette littérature est vivante. Elle phagocyte toute la littérature, imposant ses règles. Une victoire à la Pyrrhus qui la fait disparaître comme genre.
guttdridgeDans cette trilogie, « Promenade du crime », « Le dernier roi de Brighton » et « Abandonnés de Dieu qui vient de paraître, Guttridge en administre la preuve une fois encore. Les intrigues permettent de renouer les fils de la mémoire, de l’Histoire de ce pays qui fortement tendance à les oublier pour construire une histoire mythique. Des réécritures multiples.
Pour ce faire, l’auteur avait besoin d’une unité de lieu. Ce sera Brighton. Une station balnéaire du Sud de la Grande-Bretagne présentée comme un haut lieu des mafias et du grand banditisme. S’y affrontent les prétendants à la « royauté » de la truanderie. Les familles locales sont concurrencées par les mafias de l’Europe de l’Est. Le combat est forcément sanglant… Brighton se trouve ainsi promu au rang de microcosme de ce Royaume-Uni soumis à « Tina », un acronyme bien connu de Thatcher. Cette société fonctionne suivant les « lois », les dogmes, du libéralisme le plus forcené.
En bon scénariste, il pose dans « Promenade du crime » les questions dont les réponses se trouvent dans ce dernier opus, « Abandonnés de Dieu », des réponses sur un double terrain. Celui de l’actualité : Robert Watts, chef de la police en juillet 2009, se trouve piégé par on ne sait qui dans l’assaut d’une maison où devait se trouver les criminels. Patatras, ils ne sont pas là, Un carnage a lieu et des émeutes suivent. Il est obligé de démissionner. Sa partenaire, l’inspectrice Sarah Gilchrist est entraînée dans le scandale. Elle garde son poste mais se trouve en butte à l’hostilité de ses collègues. Aucun flic ne voudra témoigner. La corruption bat son plein, le pendant du libéralisme.
En même temps resurgit un crime du passé. En 1934, un tronc de femme avait été retrouvé dans une malle. Qui est-elle ? Pourquoi a-t-elle été assassinée ? Les interrogations du présent et du passé se rejoignent dans la recherche de Bob Watts de son identité.
Surgit une image de la Grande-Bretagne façonnée par la première boucherie mondiale. Les soldats engagés en resteront traumatisés. Les « Bobbies » comme les autres. Je ne sais si c’est un effet des commémorations de cette guerre mais les polars se succèdent sur cette période. Ces chocs expliqueront la place spécifique des groupes fascistes en Angleterre qui auront pignon sur rue.
Guttridge se sert des manuscrits du père de Watts qui se fait appeler Victor Tempest pour son œuvre littéraire du côté polar bien entendu, pour les retours en arrière. Tous – presque tous – les mystères trouvent une solution. Une « conclusion » qui oblige à relire les deux tomes précédents pour y trouver les indices.
Une sorte de synthèse du polar d’aujourd’hui.
Nicolas Béniès.
« « Abandonnés de Dieu », Peter Guttridge, traduit par Jean-René Dastugue, Rouergue Noir. Les deux précédents volumes, « Promenade du crime » et « Le dernier roi de Brighton » ont paru dans la même collection.

Le coin du polar

Être flic en Thaïlande, mission impossible !

John Burdett, ancien avocat, a créé un personnage au nom imprononçable, Sonchaï Jitpleecheep, qui se veut flic dans une Thaïlande complètement corrompue. Le chef de la police, le supérieur de Sonchaï, Vikorn est la tête pensante de tous les trafics. On se croirait à Kansas City (Missouri) dans les années 1930, ville ouverte à tous les trafics. Les quatre enquêtes précédentes, parues chez 10/18 en poche, ont toutes traitées d’un sujet particulier.
burdettC’est encore le cas pour cette cinquième. « Le pic du vautour » conduit Sonchaï sur les traces de jumelles, chinoises de Hong Kong, à la tête d’un trafic très lucratif et où les morts sont nombreux, le trafic d’organes. La concurrence, sur ce créneau, est féroce. Il faut soit éliminer les concurrents pour être le maître. L’enquête de Sonchaï n’a pour but de lutter contre ce trafic mais de permettre à son chef d’en devenir le pivot.
Sur un mode plaisant et souvent drolatique John Burnett décrit les comportements de ces occidentaux venus pour le tourisme sexuel. Il faut dire que Sonchaï est aussi, avec sa mère, à la tête d’un lieu de plaisir. En même temps, il donne à voir – et un peu à comprendre – ces pays que la corruption fait vivre. Elle arrive à maintenir un désordre social précaire.
Cerise sur le gâteau, Burdett se moque franchement de tous ces « spin doctors » américains qui se croient capable de tout comprendre. Vikorn s’est entouré d’un staff de ces trois « conseillers » pour faire plaisir à ses alliés obligés chinois mais il les tournera en ridicule. Une vraie farce presque réelle.
Une fois encore, l’auteur a réalisé le tour de force de nous faire rire, sourire tout en présentant le contexte du drame de ces pays, de ce pays, la Thaïlande. On se souvient peut-être que les envoyés du FMI – habillés comme des G Men, costumes noirs et chemises blanches –, lors de la crise financière de 197-98, avaient voulu lutter contre la corruption et, après des menaces de mort suivies de quelques effets, avaient préféré repartir pour Washington… Pour indiquer que Burdett n’exagère pas. Le métier de flic honnête – une catégorie qui n’existe pas – est impossible.
Nicolas Béniès.
« Le pic du vautour », John Burdett, traduit par Thierry Piélat, 10/18.

Crise du rouble, chute des matières premières

Une crise oubliée, la crise de l’économie russe.

La Russie chancelle malgré ses interventions répétées en Ukraine. Les perspectives de croissance tournent autour de zéro jusqu’en 2017. Le rouble a été attaqué sur les places financières depuis le début de l’année 2014. Malgré les interventions répétées de la BCR – Banque Centrale Russe -, la monnaie russe a perdu 40% par rapport au dollar. Plus encore, entre le 3 et le 7 novembre 2014, plus de 8%.
Jusque là, la BCR et le gouvernement de la Fédération de Russie pratiquaient à la manière de feu le serpent monétaire européen du temps de l’ECU, une marge de fluctuation dans laquelle le rouble pouvait fluctuer par rapport aux autres monnaies, dont le dollar. La spéculation a été trop forte, la méfiance généralisée des marchés financiers a eu raison de cette marge malgré une intervention massive de la BCR qui a utilisé les deux seuls instruments possibles : le rachat massif de sa devise en vendant des devises étrangères qu’elle conservait sous forme de réserves et la hausse du taux directeur de l’intérêt. Continuer la lecture