Paris, 1926 et ses folies

Où est passée Ariane ?

Le Paris des années folles cache mal la mort omniprésente combattue à grands coups de jazz, de comédies musicales, de fêtes et de nuits illuminées. En mars 1926, Carnavals. Une troupe de théâtre se produit. A leur tête une figure de Minotaure sollicitée bientôt par un masque d’Ariane. Le fil se tord, introduit un doute et la mort se trompe de cible abusée par le masque. Jeremy Nelson en quête, aidée par Camille et Victor Legris en forme de retour et de legs.
Une sombre histoire de vengeance remontant à la nuit d’un temps déformé. « Qui a tué le Minotaure », dernier roman de Claude Izner, baigne dans une atmosphère étrange, tout en décrivant le Paris des années 1920 de plus en plus lointain et qui, par certains aspects se rapproche. Continuer la lecture

Un conte ancien pour l’après

Science fiction ?

« Immobilité » – un titre curieux et bien choisi pour attirer le lecteur – nous place dés l’abord dans une terre victime du « collapse » dans laquelle l’air, l’environnement quasi désertique empêche toute vie animale ou végétale. Seules subsistent de petites communautés, souvent sectaires qui s’approprient la Bible, « The Good Book » pour justifier à la fois de leur existence et de leur volonté de s’abstraire de toute solidarité vis-à-vis des autres survivants. Le partage ne peut se faire que dans la violence. Les « humains » – appelons-le comme ça – ont besoin de techniques monopolisées par des sectes. Ils ont besoin d’un « homme de main » qui résiste à toutes les pollutions. Brian Evenson raconte sa mission, ses tribulations, ses rencontres pour dresser une sorte de miniature de notre humanité. En conteur averti, il entraîne le lecteur derrière cet « homme ». Il ne permet au lecteur de souffler et de s’interroger seulement à la fin de l’épopée, car c’en est une.
A ce moment, une référence saute à l’esprit. Pierre Clastres, ethnologue, dans une de ses enquêtes sur les Indiens Guayaki – si mes souvenirs sont bons – faisait état d’une tradition : le chef de guerre était exilé, vivant à part du village et n’était appelé qu’en cas de besoin pour, à la fin de la guerre, repartir dans son exil, de nouveau livré à la solitude. Cette théorisation a été contestée mais, visiblement, dans le futur imaginé par Evenson, quelque chose de Pierre Clastres, volontiers utopiste politique, est restée.
Nicolas Béniès
« Immobilité », Brian Evenson, traduit par Jonathan Baillehache, Rivages

Attica Locke creuse l’histoire du Texas

Le Texas, terre de contrastes, racisme et fraternité

Attica Locke raconte de drôles d’histoires faîtes de racisme, de fraternité et de brassages de populations pour faire surgir une possibilité d’un avenir pour les Etats-Unis, contre tous les Trumps présents et futurs. Le comté de Marion qu’elle décrit est baigné par le lac Caddo, ainsi nommé en référence à la nation amérindienne qui habitait les îles. C’est une des découvertes du Texas Ranger africain-américain, Darren Matthews – héros récurrent de l’autrice. Continuer la lecture

Jake Lamar sur ses traces

Rêves de souvenirs

« Viper’s Dream » et le titre dévoile le récit qui baigne dans cette fumée qui envahit souvent les loges des musicien.ne.s, un rêve qui repose sur des histoires racontées par les fantômes qui s’agitent à New York, ville qui sait habilement mêler le passé, le présent et l’avenir dans ces fumées sortant de terre. Les légendes, les faits se sont tellement pénétrés qu’il est difficile et même inutile de les démêler. Jake Lamar, né dans le Bronx mais vivant en France depuis 1993 raconte l’arrivée de son Alabama natal d’un apprenti trompettiste qui, dans les années 1930, voudrait devenir musicien à Harlem. Faute de talent minimum, il devient homme de main d’un trafiquant de marijuana juif et devient un des caïds de Harlem. Continuer la lecture

Vider vos poches (4), James Lee Burke


Robicheaux au milieu de nul part, perdu dans le temps

James Lee Burke aime les fantômes. Ils arrivent à être plus vrais que les vivant.e.s souvent proches des morts. En Louisiane, le vaudou reste présent et sait invoquer les morts-vivants. « Une cathédrale à soi » est une peinture quasi intemporelle – jamais n’apparaît une date pour se repérer dans le temps – du Bayou et des errances de Dave Robicheaux associé à Cletus, l’ami de toujours, réceptacle de toutes les violences, de toutes les violences face aux néo-nazis en train de peupler les États-Unis bien après la chasse aux sorcières, comme si le maccarthysme avait marqué de son empreinte terrifiante la terre comme les villes américaines.
L’intrigue vient, comme souvent, de Shakespeare, de Roméo et Juliette qui prend l’apparence d’un couple de jeunes gens, Isolde Balangie et Johnny Shondell issues comme il se doit de deux familles de gangsters ennemis, qui ont fait fortune dans le trafic d’esclaves pour l’origine de leurs fortunes.
Un bourreau venant du fond des âges, 1600 en l’occurrence, veut se faire pardonner tous ses sévices – il était aux côtés de Mussolini – pour retrouver la paix de son cercueil et cesser d’encombrer les humains dans leur lutte pour le mal. Shondell semble être une incarnation de Trump ou l’inverse, on ne sait plus. Le fil se casse de temps en temps mais l’auteur sait d’un seul coup retrouver la grâce ou le malheur de son histoire.
Le brouillard du bayou sait cacher tous les trésors, toutes les turpitudes tout en dévoilant aux esprits fous les réalités enfouies au fin fond de nos cerveaux. « Les morts s’accrochent aux vivants » avait écrit Javier Cercas, James Lee Burke en fait une nouvelle démonstration.
Pourtant rien n’est jamais définitif surtout l’amour des jeunes gens mêmes s’ils savent chanter notre nostalgie, nos souvenirs.
N.B.
« Une cathédrale à soi », James Lee Burke, traduit par Christophe Mercier, Rivages/Noir

Vider vos poches (3), Noir c’est Noir


Un auteur disparu, Ed Lacy

Leonard Zinberg (1911-1968) a publié sous son nom quatre romans et plusieurs nouvelles. Juif marié à une Noire et père adoptif d’une enfant Noir, il allait aggraver son cas en devenant Communiste et en faisant de son entourage les personnages principaux de ses romans. Il allait bien sur être rattrapé par le maccarthysme, « la chasse aux sorcières » des années d’après la seconde guerre mondiale qui allait se traduire par une profonde remise en cause des libertés démocratiques. On voit que la rhétorique de Trump a quelques antécédents. Blacklisté, comme beaucoup d’autres, Leonard ne devra son salut d’écrivain qu’aux romans noirs, sous le nom notamment de Ed Lacy.
Toutes ces informations sont extraites de la préface de Roger Martin qui permet de faire connaissance avec l’auteur, sacrifié – il n’est pas le seul – sur l’autel de la série noire dirigée par Marcel Duhamel qui cherchait à vendre pour assurer la survie de la collection tout en respectant le format des 120 pages, sacrifiant souvent les réflexions politiques des personnages comme la psychologie des personnages. Continuer la lecture

Vider vos poches (2) Polars Historiques, Florence 1458 ; Paris 1800

Florence 1458

Piero della Francesca est une figure difficile à cerner, faute de détails biographiques avérés. Un appel pour en faire une figure fantomatique de détective, d’enquêteur dans cette Florence du milieu du 15e siècle habitée par le pouvoir de Cosimo de Médicis. Chiara Montani se l’approprie en même temps qu’elle nous propose une lecture de ses œuvres en mettant au premier plan une fresque, qualifiée de « maudite » parce qu’elle a provoqué en son temps l’ire de l’Inquisition. A partir de cette trame, elle développe un complot provenant du fin fond de la mémoire, raconté – c’est une force – par une donzelle démunie d’informations que Piero et son tuteur lui cachent. Lavinia raconte ce qu’elle voit, ce qu’elle apprend de manière naïve permettant à l’autrice tous les renversements de situation pas toujours justifiés. Continuer la lecture

Videz vos poches. Littérature


Trajectoire littéraire.

Michel Butor, pour des raisons qu’il n’avoue pas, s’est lancé, sans doute à l’instigation de son interrogateur Lucien Giraudo, dans une « Petite histoire de la littérature française ». Il s’amuse à copier, dans le découpage temporel, le Lagarde et Michard de son passé scolaire, tout en le dynamitant par des petites implosions. Une lecture agréable, chatoyante tout en provoquant la réflexion sur les cousinages, les influences et les références. Il permet de découvrir des auteurs un peu oubliés, notamment ceux du Moyen-Âge et de la Renaissance. Les deux périodes doivent être considérées comme un tout, la séparation comme le démontre les historien.ne.s d’aujourd’hui. Redonner la puissance de cette période, marquée du sceau de l’obscurantisme dans nos manuels d’histoire, est une nécessité pour comprendre nos racines.
Chaque partie est complétée par des textes pour faire accéder ce petit livre au rang de prolégomènes d’anti-manuel, jetant les bases d’un nouveau manuel. Il reste pourtant une faille. Butor envisage le surréalisme comme un mouvement qui se réduit à son chef de file officiel, André Breton. De notoriété publique, Breton n’aimait pas la musique. Il disait qu’il préférait celle des mots. De là en conclure, comme le fait Butor, que les surréalistes ont ignoré la musique, c’est aller un peu vite en besogne. Le jazz a occupé une grande partie des réflexions, des études, de Michel Leiris, à l’origine a-t-il dit de sa vocation d’ethnologue, Robert Goffin, poète et auteur d’histoires autour du jazz ou mieux encore Julio Cortazar inspiré par le jazz et les surréalistes (voir « Marelle » par exemple… Butor prend l’arbre (Breton) pour la forêt, les surréalistes. Avouons qu’il n’est pas le seul à commettre cette erreur de perspective peut-être à cause du jazz qui n’est pas forcément considéré comme de la musique.
Nicolas Béniès.
« Petite histoire de la littérature française », Michel Butor, Folio (inédit)

Festivals de jazz, le temps de l’été, un échantillon

La pandémie a bousculé toutes les certitudes, toutes les organisations. Une refondation apparaissait vitale. Pourtant, cette année, apparemment, les festivals font « comme avant ». Les changements sont, au-delà des apparences, présents. Au niveau des financements d’abord. L’inflation rapide et brutale augmente mécaniquement les charges au moment où les subventions à la culture baissent dans le climat de diminution des dépenses publiques de l’État comme de toutes les collectivités territoriales obligeant les organisateurs à trouver de nouvelles recettes, de nouveaux partenaires souvent privés qui réclament des contreparties. Les contraintes environnementales – nécessaires, vitales même – pèsent sur les charges fixes et les artistes exigent des cachets de plus en plus élevés pour faire face à la baisse des royalties due au « streaming ». Pour conserver un public nombreux, le prix des spectacles ne peut pas trop augmenter.
La programmation connaît, elle aussi, des évolutions. Au fil de l’évocation de quelques festivals qui ont retenu l’attention de l’équipe, il sera loisible de le constater. Pour le moment, aucun réflexion d’ensemble ne se manifeste. Elle serait nécessaire pour ne pas subir le poids des évènements.
Justine Triet, palme d’or du festival de Cannes, avait clairement posé la question de « l’exception culturelle », la culture ne pouvait devenir une marchandise faute de perdre son âme. Il fallait la considérer comme un service public, soustrait aux lois du marché. Un débat d’avenir, fondamental pour nos sociétés qui ont tendance à perdre la mémoire. Continuer la lecture

Littérature. Ecrivaine copiée qui refusait de « faire carrière », Claire de Duras


(Re)découvrir une romancière oubliée.

Claire de Duras, duchesse de son état, a été longtemps ignorée par sa postérité. Elle fut pourtant une gloire littéraire des années 1820 avec son premier roman « Ourika » copié tant et plus par des plumitifs et des éditeurs à la marge de toute légalité et de toute morale. La duchesse tint aussi salon – que fréquenta Madame de Staël -, évoluant dans cette « bonne » société royaliste du règne de Louis XVIII, réactionnaire à tout crin. Le futur Charles X, dit le simple à cause de ses idées étroites et imbéciles, frère cadet de Louis, imposait un mode de pensée contre révolutionnaire qui signera sa chute en 1830. La duchesse ne partage pas ces positions, partagée qu’elle est entre une mère royaliste et un père qui a participé à la Convention et à la Révolution et perdit la tête sous le couperet de la guillotine pour avoir refusé de voter la mort de Louis XVI. Elle essaie de résoudre toutes ses contradictions sans renier ce père breton.
Elle sera la grande amie de Chateaubriand, qui la jalousait, sa « sœur » en littérature. Elle l’aidera à obtenir un poste de ministre puis d’ambassadeur par son entregent et par la grâce de son duc de mari. Chateaubriand, fidèle à lui-même, ne reconnaîtra pas son talent contrairement au critique Sainte-Beuve… Continuer la lecture