BLUES.

Une saga moderne. 1962, la découverte du blues en Europe.
Deux concerts inédits à Paris de l’American Folk Blues Festival

Back to the future. En 1962, deux fous furieux allemands – oui, même dans ce pays, il en existe –, Horst Lippmann et Fritz Rau, décident d’organiser une tournée de musiciens pas comme les autres, des bluesmen et une chanteuse de rhythm and blues, au moins connue comme tel à cette époque, Helen Humes. Pour l’Histoire, retenons que Helen fut la chanteuse de l’orchestre de Count Basie à la fin des années 1930. Cette tournée porte un nom devenu célèbre, « American Folk Blues Festival », soit AFBF pour les intimes. Pour ce faire, ils ont même créé une agence de spectacles. Ils vont aussi co-organiser avec Norman Granz les « Jazz At The Philharmonic », JATP pour les afficionados.
A cette époque, le blues a mauvaise réputation. Aux Etats-Unis d’abord. Les musiciens de jazz et plus généralement la population africaine-américaine rejettent cette musique qui fait référence aux racines africaines et à l’esclavage. Le blues est confiné dans ce que les « tourneurs » appellent le « Chitlin’ circuit », celui des bars et des boîtes de nuit considérés comme mal famés et sont fréquentés par la population des ghettos. Continuer la lecture

In Memorian BB King

Une annonce prévue pourtant brutale, à 90 ans – un bel âge – B.B. King nous a quittés. Lucille est veuve et une veuve qui doit falloir son pesant de dollars. Cette guitare qu’il avait été recherchée dans l’incendie d’un club du « Chittlin’ circuit » où il (et elle) se produisait, comme « sauvée des eaux », avait été sa fidèle compagne.
Il avait révolutionné le blues après le seconde guerre mondiale dans la foulée de ce blues électrique de Chicago de ces années là. Il s’était inspiré d’abord de T. Bone Walker – référence très perceptible dans ses premiers enregistrements – mais aussi de Charlie Christian, l’inventeur de la guitare électrique qu’il faisait jouer comme un instrument à vent, un météore du jazz et de… Django Reinhardt. une belle trilogie à n’en pas douter.
Reconnaissons que, vers la fin, les « gimmicks » – les trucs – et les tics l’emportaient largement sur sa capacité à renouveler sa musique.
Il me souvient d’un concert à Nîmes dans les années 1970 où il s’était produit avec son orchestre et son « crieur » – mais aussi trompettiste et chef d’orchestre -, un 14 juillet, concert qui avait bien commencé malgré les nuages qui s’amoncelaient. La première partie était dépouillée et répondait aux clichés d’une population peu au fait des évolutions du blues tandis que BB King était venu, comme il se doit avec son orchestre, comme Ray Charles – qui sera applaudi dans ce même lieu un peu plus tard dans le temps. Outrage : il faut hué et parti, ulcéré. Je l’ai revu ensuite bien sur. Mais ce concert m’est resté planté au cœur devant tant d’incompréhensions…
Nicolas BENIES

Ci après l’article que lui consacre Down Beat et l’annonce du festival de Detroit en même temps.

Extraits de Down Beat de juin 2015, annonce du festival de jazz de Detroit et la mort de BB King.

PS Les filles de B.B. prétendent qu’il a été assassiné… Affaire à suivre… (le 29 mai 2015)

Traces musicales de l’histoire sociale et politique des États-Unis

Le blues, mémoire et histoire
Pour une histoire culturelle

Hard Time Blues 1927 - 1960Les blues, suivant une tradition bien établie chez les ethnomusicologues, seraient uniquement liés à la situation sociale des Africains-Américains. Analyse à la fois juste et restrictive. Pour appréhender la force de cette musique, de cette création, le terrain esthétique ne peut- être déserté. Si le blues s’est universalisé, c’est bien qu’il véhicule autre chose qu’un simple discours de contestation sociale. Les générations d’adolescents qui se sont retrouvés dans cette musique n’étaient pas sensibles à ce langage singulier qui pratique le « double entendre », le double voir le triple sens capable de pervertir l’anglais pour en faire une nouvelle langue vernaculaire. Les ados français parce qu’ils ne comprenaient pas l’anglais, les Britanniques parce qu’ils ne percevaient pas les différences fondamentales entre leur langue et l’américain. Les « Rolling Stones », par exemple, démontrent ce fossé. En empruntant le langage des blues, ils en font un langage vulgaire alors, que dans la langue de Walt Whitman – qui n’est pas celle de Shakespeare – les termes sont grossiers mais pas vulgaires transcendés qu’ils sont par la poésie. Cette dernière est une des composantes essentielles. La citation de Leroy Jones mise en exergue du livret par les auteurs, Jacques Demêtre et Jean Buzelin, l’affirme avec force et toute la démonstration de « Blues People » – disponible en Folio – s’organise autour de cette dimension. Continuer la lecture

Proust en musique

Des « madeleines », à chacun(e) la sienne…

rock instrumentalsLes surpat’ ont un peu disparu au profit des raves. Chaque génération forge ses souvenirs à l’aune de son temps. Il doit arriver qu’on danse encore le rock. Il est sur qu’il s’apprend. Certains en font même une profession… Une danse un peu ringarde mais le slow – un rock très lent – reste quand même le meilleur moyen de rapprocher les garçons et les filles.
Bruno Blum, dans ce triple album « Rock instrumentals story », joue avec nos émotions. C’est le terrain de la musique sans paroles, de cette musique qui sûrement nous a fait danser en mettant quelques pièces dans le juke box ou en venant chez des copains avec le dernier 45 tours. Continuer la lecture

Une exposition multimédia à la Cité de la Musique

GREAT BLACK MUSIC

Great Black Music ! Le titre de cette exposition sonne comme une provocation et, du coup, interroge. Qu’est-ce qu’une musique noire ? Quels liens entre les musiques africaines, le jazz, le reggae et d’autres branches aisément classées dans cette catégorie comme la samba ou la bossa-nova ? Une partie de la réponse se trouve dans le voyage dans le temps et dans l’espace que proposent Marc Benaïche et Emmanuel Parent. Un voyage que le visiteur se doit de construire pour éviter de se perdre dans ce dédale. La pléthore de sollicitations amène une sorte de frustration de ne pouvoir tout voir, tout entendre. Une seule journée n’y suffira pas. Continuer la lecture

Du blues, encore du blues.

B.B. King.
BB KingLe plus important des grands bluesmen de l’après seconde guerre mondiale est né à environ 150 km de Memphis sur le Mississippi, le 16 septembre 1925 dans la ferme où ses parents sont métayers. Il se fera appeler BB King.
La crise de 1929 va passer par-là. Les difficultés s’amoncellent, les privations et les vexations sont sans doute son lot quotidien. Le blues est là, qui prend ses aises.
Il sera profondément influencé par Lonnie Johnson, le premier virtuose de la guitare. Alonso gagnera tous les concours et enregistrera à la fin des années 1920 avec Louis Armstrong et Duke Ellington. Il découvrira ensuite Charlie Christian, « l’inventeur » de la guitare électrique et Django Reinhardt. Mais celui qu’on entend le plus dans son jeu dans ses premiers temps – en 1949-1951, influence revendiquée – T. Bone Walker qui marquera de son empreinte indélébile le jazz de l’après seconde guerre mondiale. Continuer la lecture

Le blues dans tous ses états…

Les Noirs, les bleus et les Blancs.

Quelle place occupe le blues – il faudrait utiliser le pluriel – dans l’histoire de la communauté africaine-américaine ? Quelles fonctions a-t-il joué ? Robert Springer, poursuivant ses analyses sociologiques commencées avec Le blues authentique (1985, Filipacchi) se penche sur Les fonctions sociales du blues, aux éditions Parenthèses dans la collection Eupalinos. Il part des fonctions les plus évidentes, les plus visibles – la mémoire, l’éducation, l’esclavage – pour arriver aux essentielles et cachées. La synthèse s’effectue par la fonction unificatrice de la communauté que le bluesman suscite simplement en racontant ses histoires tirées de sa propre vie. Elles donnent l’impression d’être individuelles. De parler apparemment des relations hommes/femmes. En fait par cet artifice, il met en scène les relations Blancs/Noirs. Sans sous estimer le «machisme » des mondes du blues, une réalité par trop présente. Comme le disait Zora Neale Hurston dont l’autobiographie, Des pas dans la poussière (Editions de l’Aube)1 vient de paraître en français, la femme noire est la «mule » de l’homme noir… Zora utilise le «double entendre » du blues, et la même forme, celle des histoires individuelles, la sienne, pour raconter l’oppression des femmes et la réalité sociale des Etats-Unis.
Ce monde du blues tend à s’estomper, à disparaître. L’intégration est apparemment réalisé. Les ghettos sont plus diffus. Le blues, folklore des populations africaines-américaines, ne correspond plus à des habitants des Inner City victimes du chômage, de la drogue et connaissant une distanciation par rapport à leurs racines africaines, à leur passé. Ils n’ont ni passé, ni avenir. Le bluesman avait beaucoup de points communs avec le griot africain, et Springer n’est ni le seul ni le premier à insister sur cet aspect, et le «double entendre » – comme disent les Américains – comme l’ironie sont des composantes fondamentales de ces poésies, qui lui donnent leur force tout en dissimulant leur message sous le divertissement, une autre fonction du blues.2
Tous ces éléments se retrouvent dans le «roman » – le «récit », le blues tout simplement – de Walter Mosley, La musique du diable (réédité dans la collection Points, au Seuil). Le titre américain RL Dream fait référence au nom véritable de Robert Johnson, le premier unificateur des blues qui, en 1936 et 37 a enregistré l’équivalent d’un double CD de ses compositions, devenues des «classiques ». Tout le monde a joué « Dust my Broom » ou « Sweet Home Chicago »3… La traduction française est intelligente. Devil’s music est l’appellation des ligues bien pensantes pour cette musique sexuée, libre et poussant au rire collectif contre l’oppression. Histoire de rencontres, comme souvent dans les blues, entre un homme noir, et une femme blanche subissant l’oppression des hommes. L’homme est vieux, malade. Il a terminé sa vie et veut témoigner d’une époque, d’une culture, celle du blues. Ils viennent du Sud et vivent à New York. Soupspoon – référence à la cuillère du diable vraisemblablement – fait l’amour avec une jeune femme démontrant la force renouvelée du blues et ses diableries. Mosley donne l’impression d’avoir lu le poème autobiographique de JJ Phillips qui dans Mojo Hand 4– intraduisible, ce titre fait référence au vaudou dont le blues se rapproche – fait part de son expérience, de sa rencontre à sa sortie de prison avec le bluesman Lightnin’ Hopkins, un des grands magiciens/poète de cette musique-art-de-vivre. Une manière de dire aux jeunes générations de se souvenir du passé, celui de l’oppression comme de la révolte. Au fur et à mesure que l’action ne progresse pas, cette époque semble dépassée.
C’est sans doute la raison pour laquelle ses «polars » se situent dans le passé, et à Watts le ghetto noir de Los Angeles. Dans Un petit chien jaune5, Easy Rawlins – son «détective privé » qui ne l’est officiellement pas, encore un coup du blues – mène une enquête peu claire aux débuts des années 60 se terminant par l’annonce de l’assassinat de Kennedy. Une autre façon de faire de l’Histoire à travers ces histoires. On y prend plaisir, de par l’écriture et les sous-entendus musicaux et tout simplement par l’histoire racontée.
Ces livres montrent que le blues à un passé et un présent mais pas forcément d’avenir. Il n’est plus la référence de toute une communauté qui voit ses racines et sa mémoire s’évanouir. Oublier l’esclavage est un non-sens. C’est le message de Tony Morrison.6 Le blues se répète, faute de possibles, faute de futur. Il devient un véhicule pour les jeunes blancs qui s’en servent pour exprimer leur révolte, mais aussi leur volonté de conserver leur mémoire, celle de l’Amérique, celle des opprimés. Le livre de Springer – et celui de Mosley qui montre l’influence du blues sur la littérature américaine – permet de comprendre ce présent du blues, pied de nez à l’histoire même de la formation sociale américaine.
Nicolas BENIES.