Le Mot et le Reste, un éditeur étrange
Le Mot et le Reste s’est donné pour objectif de faire aimer, connaître, comprendre les musiques de notre temps. Il s’est fait une spécialité – tout en ayant d’autres cordes à son violoncelle – de mettre en mots les musiques de notre temps, soit par le biais de biographies, comme celle de Sinatra (voir la recension sur ce même site), soit par des présentations de grands courants musicaux contemporains et populaires, comme le blues à travers des albums significatifs. Pour « le reste » des publications, il vous faudra consulter son site…
Fin 2020, il avait proposé de redécouvrir Jimi Hendrix et de nous faire connaître ou reconnaître le « soft rock » et les producteurs des musiques de ces 25 dernières années soit un voyage dans notre paysage sonore, une histoire de nos émotions.
A-t-on encore quelque chose à dire sur Jimi Hendrix ?
La question vient immédiatement à l’esprit à la lecture du titre : « Jimi Hendrix variations ». N’a t-on pas tout dit, tout écrit sur ce génie de la musique qui exerce son magistère sur toute la pop actuelle et au-delà, qui a influencé Miles Davis et a provoqué une énorme vague de refus de la part de la société bien pensante ? On pourrait le croire.
Jeanne-Martine Vacher réussit, par ses variations, d’une part à réveiller notre intérêt pour l’œuvre de ce révolutionnaire, nous faire entrer dans son musée, raconter, par petites touches l’histoire de la génération touchée par le bouillonnement de l’après mai 68 – une poussée internationale de la jeunesse – qui transforme tous les arts, des Arts tombés dans la rue en perdant la capitale devenus des anti-arts dialectiquement, l’anti incluant l’art lui-même.
Pour réaliser son projet, elle ne prive d’aucune pièce à convictions – pris ici au sens de convaincre -, photos, témoignages tout autant que paroles et musiques sans oublier les danses de la Jamaïque, le calypso en particulier, danse de la liberté s’il en fut.
Une ballade qui fait écho à celle de Robert Johnson, mort à 27 ans, en 1938. La distance de l’un à l’autre n’est pas si grande qu’il y paraît. Le blues est le point de rencontre, la tragédie aussi comme le génie. Jimi Hendrix est issu du blues. Il avait d’ailleurs commencé sa carrière en accompagnant beaucoup des grands bluesmen de son temps.
Un livre qui ouvre des fenêtres pour apprécier la place de fantôme encombrant qu’il n’est pas possible d’ignorer, qui conduit à se demander si son cercueil ne serait pas vide tellement son influence est encore sensible. Jeanne-Martine Vacher mêle souvenirs, mémoire, histoire avec toutes les contradictions qu’impose cet assemblage pour évoquer la figure de Hendrix.
Le rock en état d’apesanteur
« Soft rock, yacht vibes & California grooves », sous ce titre légèrement énigmatique, Arnaud Choutet évoque la musique de la fin des années 1970 marquée par le vieillissement des « baby boomers » – la fameuse génération des « teens » des années 1950 et 60 – et l’éclatement du rock. Le rock devient une référence chewingumesque en attrapant tout ce qui passe à sa portée, se calme, rentre dans le rang et se trouve habité par la joliesse et pas forcément l’allégresse. Toutes les musiques semblent, dans cette période, connaître une même évolution : la fin des révolutions, de la sauvagerie pour nouer de nouvelles alliances avec la variété, proches quelquefois de la mièvrerie. La sélection de l’auteur montre que des trésors se cachent dans la production de ces années.
Il propose deux périodes, celle de l’introspection (1969-1975) dans laquelle les ruptures commencent à apparaître mais la continuité est encore sensible et celle du « son West Coast » (jusqu’en 1984) illustrées par des albums marquants, une sorte de playlist d’un temps que les moins de 20 ans…vous connaissez la chanson. Il donne envie d’aller entendre les albums qu’il nous présente.
Révolution dans la pop.
Un autre titre bizarre, « The Neptunes & Timbaland », choisi par Maxime Delcourt pour retracer l’histoire la plus récente des musiques populaires, celles des 25 dernières années, liées au blues et au jazz. Une manière de boucler une boucle commencée avec le blues et Robert Johnson.
Pour évoquer cette tranche d’histoire récente, il a voulu insister sur le travail des producteurs dans la construction d’un son spécifique. Depuis les albums des Beatles, l’importance des producteurs n’est plus à démontrer Hip-hop, Rap, RnB sont passés par là et les « beatmakers » – les « faiseurs de rythmes » – sont devenus les grands prêtres de la pop music actuelle. Des beats, des battements qui s’inscrivent dans notre actualité, dans nos oreilles. L’auteur indique aussi l’obsolescence rapide des musiques et des musicien.nes répondant trop vite à la conjoncture sans pouvoir la dépasser. La sélection proposée, après la présentation des producteurs appelés « The Neptunes » et « Timbaland » grands sorciers capables de trouver les sons du succès, permet de découvrir ou redécouvrir beaucoup de ces artistes trop vite disparus. Un travail essentiel.
Nicolas Béniès.
« Jimi Hendrix variations », Jeanne-Martine Vacher, 176p. ; « Soft Rock, yacht vibes & California grooves », Arnaud Choutet, 258 p. ; « The Neptunes & Timbaland, les beatmakers qui ont révolutionné la pop music », Maxime Delcourt, 376 p. ; Le Mot et le Reste.