C’est le pari de Jonathan Gaudet avec « La ballade de Robert Johnson »…
Robert Johnson, guitariste et vocaliste, est l’une des grandes légendes du blues. Un guitariste hors pair, un chanteur à la voix expressive, mélancolique souvent, joyeuse, heureuse de s’entendre en vie. Il a réalisé 20 enregistrements en 1937, dont le célèbre « Sweet Home Chicago » popularisé une fois encore par les Blue Brothers dans le film éponyme de John Landis, et 21 en 1938 pour asseoir les fondements du blues en unifiant les divers affluents de cette musique.
Son influence a été énorme et sa vie entourée de légendes. Les références sont constituées par un coffret de deux CD sorti en 1990 avec un livret de Stephen LaVere qui à la fois reprend toutes les informations disponibles – elles seront complétées par un livre de Peter Guralnick « A la recherche de Robert Johnson » – et les photos retrouvées de Robert Johnson, du producteur, de quelques autres bluesmen. Un coffret essentiel pour connaître ce génie de la musique noire. Keith Richard et Eric Clapton disent leur admiration, l’un et l’autre ont contribué à la reconnaissance de Robert Johnson. Cerise sur ce gâteau, la reproduction des paroles des compositions du blues man, une nécessité même pour les pratiquants de la langue de Walt Whitman.
Jonathan Gaudet s’est servi de tous ces éléments factuels pour construire un récit – pas un roman – vraisemblable de la courte vie de Robert Johnson – il meurt à 27 ans le 16 août 1938. En dehors de la légende qui veut qu’il ait pactisé avec le diable pour échanger un jeu de guitare contre son âme – Faust n’est pas loin -, comment retracer la formation, les rencontres, sa manière d’unifier les blues tout en racontant la vie de sa communauté dans ce Sud des États-Unis fondamentalement raciste ?
Gaudet suit les parcours de Johnson. Il nous le montre en train de se construire en un aller retour dans la chronologie pour malaxer le parcours du musicien. Des leçons que lui donne un autre guitariste pas très connu jusqu’à l’écoute de Charley Patton, en passant par ses compères de vadrouille sans oublier les femmes surgit un personnage inscrit dans son contexte. La synthèse qu’il offre dans les enregistrements précités donnera naissance aux blues d’aujourd’hui. Une ballade dans ces temps éloignés et dans les souvenirs de quelques survivants.
Une réussite. On connaît la fin avant même de commencer. Le suspense n’est pas là. Il est dans la façon d’arranger les histoires pour en faire une histoire. Il n’est pas obligatoire de connaître Robert Johnson ou même de l’avoir écouté – après cette lecture, l’écoute s’impose pour vérifier les dires de l’auteur et par curiosité – pour vibrer à ce voyage écrit par un québécois en français. Jonathan Gaudet sait faire partager sa passion pour Robert Johnson et nous entraîner sur les chemins escarpés d’une vie libre et bohème. Cette liberté se paie au prix fort, le génie aussi.
Nicolas Béniès
« La ballade de Robert Johnson », Jonathan Gaudet, Le Mot et le Reste.