Polar historique, la révolution française revisitée

La révolution française au prisme du polar.

Anne Villemin-Sicherman continue la saga des enquêtes du vétérinaire Duroch sis dans l’Est de la France, du côté de Metz. « 1792, la femme rouge » nous projette dans la ville de Metz assiégée par les armées austro-prussiennes. Plus importantes en nombre que les armées de la révolution, mieux entraînées, mieux armées la victoire semble de leur côté. Par un coup de génie militaire, Kellerman à Valmy inversera la donne bien aidé par une dysenterie qui ravage les troupes ennemies. Continuer la lecture

Un essai littéraire

Une vraie-fausse autobiographie.

Une lettre, une simple lettre d’un fils à sa mère sans atours, sans mensonges ou pas trop, c’est la présentation qu’a choisi Kiese Laymon pour se raconter, raconter les États-Unis et la trajectoire d’un Africain-Américain dans le Sud profond où le racisme est permanent. Sa mère, universitaire, veut croire à la force de la culture, de l’instruction, de la connaissance qu’elle enseigne à son fils trop grand, trop gros, trop vite. Le titre originel, « Heavy » contient à lui seul tous les trop qui investissent la vie du pré ado et de l’ado, « Balèze », la traduction française bien trouvée, n’en retrace qu’une partie. Continuer la lecture

Trump ou Zemmour se reconnaîtront

« Que serait le monde sans la haine ? »

Trump aurait-il lu ce roman ? « Un intrus » pourrait passer pour un scénario qu’il a suivi quasiment à la lettre. Charles Beaumont, en 1959 année de parution, fait la preuve de sa connaissance de la société américaine qu’il sait observer. Un chirurgien social qui découpe, au scalpel, une petite ville du sud des États-Unis, qu’il appelle Caxton. Le Trump de l’époque, Adam Cramer, ne croit à rien mais veut devenir l’homme fort des États-Unis. Il fait aussi, par ses outrances, par son verbe, penser à Zemmour, comme si tous les démagogues, au-delà du temps, se donnaient la main pour construire une autre réalité la leur et l’imposer à des populations qui croient en eux. Rien ne les arrête, capables de chantage pour arriver à leur fin. Continuer la lecture

Quelle rentrée !

La rentrée littéraire n’a jamais manqué à l’appel. L’an dernier, plus de 510 romans – et je ne parle pas des essais – se battaient pour trouver des « inventeurs », au sens de découvreurs. Cette année, à peu prés le même nombre cherche des lecteurs et lectrices pour se donner la vie. Une interrogation me taraude chaque année : qui peut lire autant de livres ?
Cette rentrée s’affiche aussi en poche.

Deux découvertes
Elles viennent des États-Unis via les Éditions Delcourt et Tusitala, « Jazz à l’âme » de William Melvin Kelley et « Paria » signé par Richard Krawiec.
Le premier, mort en 2017, fait l’objet d’une re-connaissance dans son pays. « A Drop of Patience », son titre original est une réflexion à la fois sur le jazz, via quelques emprunts aux biographies des grands musiciens comme Charlie Parker, sur la création comme des conditions dans lesquelles elle s’effectue et sur la renommée. Publié en 1965, il est fortement marqué par l’ambiance de ce temps. Pourtant, rien des aventures de Ludlow Washington, saxophoniste alto aveugle et noir, ne paraît décalé. Dans un premier temps, il interroge les personnes qu’il côtoie pour connaître la définition d’un « noir » et les réponses maladroites agitent le spectre du racisme. Uniquement.Seule la couleur de la peau, qu’il ne peut voir, est le problème.
Un grand roman sur l’Amérique et sur la vie bouleversée et bouleversante d’un révolutionnaire du jazz dans la période de l’après seconde guerre mondiale. Kelley a tendance à gommer les problèmes liés à la drogue et, pourtant, là est l’explication de la sortie de route du saxophoniste. Comme celle de Parker déchiré entre la conscience de son génie et le rejet de la société blanche. La question essentielle est bien là et la drogue ne fait qu’attiser la dichotomie entre la place centrale du génie et le rejet dans la vie de tous les jours. Miles Davis en fera lui aussi l’amère expérience. Seul, dans ces années 1960s,
« Paria » se situe dans une petite ville du Massachusetts qui baigne avec fainéantise dans l’océan des préjugés. Les enfants qui veulent plaire à leur parent sont obligés d’accepter ces préceptes. Y croient-Ils eux-mêmes ? La même histoire de racisme visant les noirs, mais pas seulement. Les émigrés polonais sont aussi parqués dans un ghetto spécifique. Exclus, ils excluent tout de même les Africains-Américains. Via une histoire d’amour d’adolescents, Stewart – Stewie – Rome, le narrateur, décrit la chape de plomb qui pèse sur ces sociétés et empêche de vivre. L’ironie, l’humour sont au rendez-vous pour cacher le désespoir, la blessure, l’assassinat. Qui a tué ? Le pourquoi est le plus intéressant et dévoile les ressorts collectifs d’un meurtre.
« Jazz à l’âme », William Melvin Kelley, traduit par Eric Moreau ; « Paria », Richard Krawiec, traduit par Charles Recoursé, réédités par 10/18

Un centenaire magnifique
Stanislas Lem (1921-2006), un des grands auteurs de science fiction notamment de « Mémoires trouvées dans une baignoire », avait créé le personnage du pilote Pirx pour servir de fil conducteur à ses nouvelles. Pour son 100e anniversaire, Actes Sud les a réunis en un seul volume et c’est un enchantement. Un vrai roman émerge, celui de l’ère cosmique, comme si la somme donnait naissance à un nouveau genre, le roman en pièces détachées. Un hommage qui dépasse l’hommage pour construire une nouvelle maison posthume. Un fantôme bien en chair serait l’image la plus juste. U n grand écrivain que Lem.
« Les aventures du pilote Pirx », S. Lem, traduit par Charles Zaremba, Exofictions/Actes Sud. Babel, la collection de poche d’Actes Sud, réédite, du même auteur, « Le congrès de futurologie » et « Solaris ».

Polar historique

Londres 1381.

Paul Doherty, avec comme détective frère Athelstan, poursuit sa chronique de Londres qui a vu la révolte prendre possession de ses rues. Les séquelles sont encore présentes, les braises peuvent redonner naissance aux feux de l’émeute face à la pauvreté et à la misère augmentée d’un hiver rigoureux. Dans ce contexte, une double affaire occupe le moine, responsable de la paroisse de St Erconwald, une série de meurtres de prostituées dépouillées de leur peau qui donne son titre à ces enquêtes, « L’Écorcheur de Londres », référence à Jack l’éventreur, et des assassinats de moines à l’Abbaye de Westminster liés à des questions de géopolitiques comme on dirait aujourd’hui. Là ce sont les promesses du roi d’Angleterre vis-à-vis de l’Écosse qui sont en jeu. Continuer la lecture

L’histoire secrète des États-Unis

Polar et jazz : de la Nouvelle-Orléans à New York
Ray Celestin, britannique, s’est lancé dans une saga absolument réjouissante : raconter à la fois les migrations du jazz, de la Nouvelle-Orléans (« Carnaval ») à Chicago (« Mascarade ») et arriver avec « Mafioso » à New York en cette année 1947, date officielle d’entrée dans la guerre froide et la mise en place de la commission des activités anti-américaine, présidée par le sénateur McCarthy, qui pourchassera les communistes. La « chasse aux sorcières » débute pour le plus grand profit de la Mafia alliée au FBI d’Edgar J. Hoover qui aura l’audace de déclarer que « le crime organisé » n’existe pas alors que Costello, le « grand chef », est l’homme le plus puissant de New York et, par-là même, des États-Unis.
Le fil conducteur est double. D’abord un couple de détectives privés, Ida Davis, devenue veuve Young par son mariage, et Michael Talbot, son « professeur », dont le fils est accusé de meurtres, ensuite Louis Armstrong victime de la mort des Big Bands, cherchant une autre formule qu’il trouvera au concert de Town Hall – les enregistrements ont été retrouvés bien après cette année 1947. Le tout baigne dans l’histoire de la mafia, de ses ramifications, de ses conflits qui structure aussi l’histoire des États-Unis et de l’industrie du spectacle. Continuer la lecture

Le coin du polar, les sœurs Izner à l’ouvrage

Une hirondelle fait-elle l’automne ?

Paris, octobre 1926, cadre de la troisième enquête de Jeremy Nelson, nouveau héros récurrent de Claude Izner, « Les nids d’hirondelle », pour nous faire vivre « les années folles » marquées par le jazz.
Jeremy, toujours amoureux de Camille, s’essaie à la composition d’une comédie musicale avec un parolier, par ailleurs clarinettiste classique, Paul Green. Évocation de ces créations étranges sur les scènes parisiennes à commencer, bien sur, par la Revue Nègre, au Théâtre des Champs Élysées, avec comme vedette Joséphine Baker et, dans l’ombre, Sidney Bechet seul musicien à être mentionné dans les gazettes de l’époque. L’orchestre accompagnateur, celui de Claude Hopkins – le pianiste a prétendu dans son autobiographie, avoir engagé Josephine qui lui a volé la vedette -, est resté souvent inconnu des contemporains. Il était logique que l’autrice n’en parle pas. Par contre, elle nous fait visiter Paris, le quartier latin, en faisant courir Jeremy d’un point à un autre. Continuer la lecture

Un genre oublié : le western

Un polar travesti en western,
« Dehors les chiens » de Michaël Mention essaie de redonner vie à ce genre strictement américain.
Prenez un héros solitaire, un « poor lonesome cow-boy », avec une profession étrange, un Marshall – un shérif fédéral ancêtre du FBI – des services secrets spécialisé dans la traque aux faux monnayeurs, appelez-le Crimson Dyke pour éviter de le confondre avec un autre, jetez le dans la fournaise de la Californie et, pour corser le tout, situez l’action en 1866, un an après la fin de la guerre de sécession pour raconter une histoire qui n’a rien à voir avec cette présentation, une révolte féministe.
Un genre singulier que les romans de l’Ouest américain, ses codes sont aussi stricts que les romans de chevalerie. A l’instar de Cervantès, mutatis mutandis, Mention à la fois les respecte et les explose en les pervertissant. Il fait la preuve d’une part de l’influence de William R. Burnett –qu’on redécouvre en France -, auteur de polars, de westerns et, d’autre part d’une bonne connaissance de l’histoire des États-Unis de cette époque de formation de l’État fédéral américain. Continuer la lecture

Le coin du polar historique

Intrigues et complots à la cour d’Edouard IV (1471)

Paul Doherty, une usine à lui seul, a commencé la saga de Margaret Beaufort dans « La reine de l’ombre », une qualification qui la pose comme une prétendante au trône d’Angleterre pour son fils, Henri Tudor, exilé. Pour l’heure, en 1471, ce sont les York qui gouvernent. Ils ont vaincu les Lancastre à la bataille de Tewkesbury qui fut, suivant les chroniqueurs, un bain de sang.
Edouard IV gouverne, se méfiant de ses frères, de Margaret pour conserver son pouvoir. Chaque protagoniste essaie d’étendre son champ d’influence à la fois pour consolider ses revenus et affirmer son autorité, sa place. Les complots pullulent. Pourtant, et Doherty, historien spécialiste de cette période, rend justice à Edouard IV qui a réussi à rendre les rues de Londres plus sures. Il n’empêche, « Le complot des ombres », la suite de cette série, décrit abondamment ce Londres envahi par les malfrats de toute sorte – comme à Paris. Une visite guidée, décrite avec acuité tout autant qu’avec amour pour les populations résidentes. Une leçon d’histoire conduite sous la houlette d’une intrigue qui fait la part belle à la constitution d’une police secrète et d’espions au service du pouvoir.
L’intrigue, intéressante dans ce qu’elle contient de la construction d’un État, sert de fil conducteur. Les mêmes « détectives » se retrouvent pour trouver les clés de mystères qui supposent rationalité et déductions holmesiennes. Pour appréhender la place de l’Église catholique dans cette curieuse période.
Une réussite dans ce mélange de références, du roman policier à la Conan Doyle ou Agatha Christie, reprenant ici le thème du meurtre en « portes fermées », à la mise en perspective historique.
Nicolas Béniès.
« Le complot des ombres », Paul Doherty, traduit par Elisabeth Kern, 10/18