Petit précis d’économie critique

Un Macron économiste ?

Un ancien banquier devenu ministre de l’économie est-il pour autant un économiste ? Pas sur. Politiquement Emmanuel Macron, comme d’autres, surfe sur la mort de la gauche que l’on appellera « organisée » en partis pour s’approprier un mouvement. Le titre de sa future force politique est tout un programme : « En marche ». Les leçons italiennes ont été retenues. La gauche de gouvernement – pour reprendre en vocable que Hollande aime bien – ne pouvait que faillir à partir du moment où elle acceptait les fourches caudines du libéralisme. Elle donnait l’impression de trahir les aspirations de ses électeurs et électrices et, surtout, elle remettait en cause la légitimité de son existence, de sa nature. Les gouvernements Hollande ont multiplié les coups de couteau dans la définition même de la gauche, sur tous les terrains y compris celui de la morale avec la déchéance de nationalité. La crise politique est profonde et Macron peut naître et prospérer sur le désert des propositions. Continuer la lecture

Etats-Unis entre passé et futur

Le rêve américain serait-il un cauchemar ?

Les élections aux Etats-Unis attirent tous les projecteurs. Les journalistes en restent souvent aux apparences. Le « clown » Trump a fait rire dans un premier temps, sorte de Donald Duck plus vrai que nature, sorti tout droit du dessin animé créé par Disney. Tex Avery semblait tout proche pour cette caricature. Puis il a fait peur sans s’interroger sur ce qu’il représentait, de quelle figure il était le porteur.
De l’autre côté de ce spectre qui va de l’extrême droite à la gauche, l’autre figure de ces Etats-Unis a surgi, surprenant le petit monde médiatique, Bernie Sanders se réclamant du… socialisme, un concept qui semble faire partie de la mélancolie du monde de l’avant chute du Mur de Berlin.
Deux extrêmes, deux représentations d’un pays en train de basculer, de se transformer, de se refonder. « L’Amérique qui vient » de Christophe Deroubaix, journaliste à l’Humanité, et « Atlas des Etats-Unis », sous titré « Un colosse aux pieds d’argile » – il arrive que les clichés tombent justes – de Christian Montès et Pascale Nédélec reposent des questions clés sur la place des Etats-Unis dans le monde et les déstructurations de cette société. Continuer la lecture

Marxisme et Pragmatisme.

Des honnêtes hommes, Trotski/Dewey
La fin et les moyens : d’une discussion à une présentation.

Dans ces années 1930, marquées à la fois par la crise systémique profonde du capitalisme et par l’installation du stalinisme – surtout après 1934, date de l’assassinat de Kirov prétendant à la direction de l’URSS à la place de Staline -, s’instaurait une sorte de nouvelle morale. Elle allait servir de justification à la fois aux procès de Moscou – 1936-37 -, aux capitalistes et aux fascismes en se résumant dans la formule « la fin justifie les moyens ». Pour Staline, réfutant toute dimension internationale à la Révolution et prônant contre toute la tradition marxiste le « socialisme dans un seul pays », le rôle des Partis Communistes se résumait dans la défense de la patrie du socialisme, cette morale servait de paravent à la contre révolution politique de l’URSS. Tous les moyens étaient bons s’ils permettaient de défendre l’URSS, le pouvoir de la bureaucratie stalinienne. Ces moyens allaient de la politique « classe contre classe » dénonçant les sociaux-fascistes suivie de la politique dite des « Front populaire » d’alliance avec des partis de la bourgeoisie et, enfin – pour cette période – le pacte Germano-soviétique de 1939. De quoi donner le tournis…
L’ennemi principal de la bureaucratie stalinienne, Trotski et les « trotskistes » de tout poil, centre des procès de Moscou. On parle alors d’« hitléro-trotskistes », formule qui resservira… Continuer la lecture

Présentation de Max Weber.

Une sociologie pragmatique

Max Weber fait partie des théoriciens les plus cités et, suivant son traducteur Jean-Pierre Grossein, le plus mal compris. Pour des raisons qui tiennent à la fois à la traduction d’un allemand volontiers touffu et d’une simplification de cette pensée dont les concepts sont souvent évolutifs. Rançon de ce pragmatisme, école dont se réclame ce sociologue. Ainsi le lien effectué entre le protestantisme et le capitalisme n’est pas aussi simpliste, dans le texte wébérien, que la présentation des manuels de sociologie. Tout est dans les nuances.
La présentation de Grossein, à partir d’un choix de textes, sous le titre « Concepts fondamentaux de sociologie » (Tel/Gallimard) permettra, peut-être, de le lire au plus près de sa pensée.
Sous le titre « Leçons de méthode wébérienne », le traducteur essaie de saisir méthode et concepts de cette théorisation des sociétés. Tout en notant, avec un peu d’ironie, « le caractère déroutant de la terminologie wébérienne ». Il réussit pourtant à dérouler, malgré la pédanterie du propos, une sorte de fil directeur tout en soulignant les difficultés mêmes de la traduction. Il insiste particulièrement sur « la conceptualisation idéaltypique » comme base de la méthode du sociologue. Weber insiste sur la nécessité de l’Histoire et de la psychologie pour appréhender les phénomènes sociaux. Il voudrait construire – ce fut là son échec – une théorie globalisante des sociétés.
Hormis les textes retraduits souvent par ses soins, Jean-Pierre Grossein propose un « Glossaire raisonné » et un « Lexique franco-allemand ». Un outil essentiel pour comprendre, analyser, critiquer cette œuvre importante et qui a une influence marquante dans la sociologie.
Nicolas Béniès.
« Concepts fondamentaux de sociologie », Max Weber, Tel/Gallimard, Paris, 2016.

Atlas quand tu nous tiens…

Trois « Atlas »…

qui visent à décrire la réalité du basculement du monde via les crises et les guerres d’un nouveau genre.
atlas-du-moyen-orient_9782746735859« Atlas du Moyen-Orient » explicite les raisons des conflits dans cette région du monde mais, surtout, les auteurs décrivent la mosaïque des peuples et des communautés qui se partagent cette terre riche d’histoires. Pierre Blanc et Jean-Paul Chagnollaud mettent en évidence les facteurs politiques et économiques à l’origine de ces nouvelles guerres. Ils esquissent, par une carte, les scénarios possibles d’une paix possible. Paix qui s’éloigne de jour en jour sous les coups de butoirs d’une politique d’extrême droite d’un gouvernement israélien qui a besoin de la guerre pour rester au_ pouvoir faute de politique économique favorable au plus grand nombre, faute aussi d’une vision du monde qui dépasse cette gestion à la petite semaine qui fait la part belle à la corruption et aux maffias, russe en particulier. Actuellement, et les auteurs l’indiquent aussi, Israël fait office du bon élève dans la lutte contre le terrorisme, un vocabulaire qui permet de faire disparaître les droits des Palestiniens, acceptant de fait la rhétorique du gouvernement actuel. Une belle victoire de DAESH, il faut aussi le reconnaître. Cette organisation qui prétend défendre les Palestiniens, les enfonce davantage…
atlas-de-l-am-rique-latine_9782746743571« Atlas de L’Amérique latine », de Olivier Dabène et Frédéric Louault, sous titré « Les démocraties face aux inégalités » fait le point sur les conséquences de l’entrée dans la crise systémique en août 2007 sur les économies de ces pays. Ces « émergents » n’ont pas réussi à lutter contre les inégalités et la corruption provoquant une crise politique majeur… Les nouvelles pages de cette 3e édition sont consacrées à Cuba et à son ouverture récente. Quels sont les enjeux ? Comment résister aux États-Unis ? Quelle politique mettre en œuvre ? Comment faire vivre des idéaux issus de cette révolution de 1959 ?
atlas-des-tsiganes_9782746742710« Atlas des Tsiganes », de Samuel Delépine, sous titré « Les dessous de la question rom », décrit la réalité loin des clichés qui ont la vie dure depuis que Sarkozy les a désignés comme « ennemi principal ». Qui sont-ils ? D’où viennent-ils ? Ces populations sont diverses et mêler les 20 000 migrants Roms aux 400 000 Tsiganes de France, principalement Gitans – et un peu Manouches – est une erreur grave.
Nicolas Béniès

Atlas nécessaires publiés aux éditions Autrement.

JAZZ, il faut aussi le lire…

Réflexions.
Le jazz est, il faut le rappeler, une musique sans nom dont les contours ne sont pas définis avec précision. Son identité est mouvante et ses frontières extensives sauf pour quelques « Ayatollahs » incapables d’être de leur temps. Le « champ jazzistique » n’est pas réductible à des dogmes. Il est en constante évolution et suppose de rompre avec la tradition, avec les « grands ancêtres » tout en les connaissant, tout en jouant avec les mémoires pour construire une mémoire de l’avenir.
Polyfree, Outre MesurePhilippe Carles et Alexandre Pierrepont ont voulu, à l’aide de contributeurs divers, dessiner une « carte au trésor » du jazz contemporain pour essayer de l’appréhender dans le contexte d’une interrogation générale sur la place de la culture et des anti-arts. Ils compilent des réflexions récentes – les années 1970-2015 – pour indiquer que la critique reste active. « Polyfree » est le titre de cette « terra incognita » que les auteurs nous invitent à découvrir. Le résultat, au-delà de sa curiosité, de son étrangeté lié à la diversité des points de vue et des affluents nouveaux du jazz, permet à la fois de s’interroger sur les mystères du jazz et sur sa place dans les anti-arts de ce 21e siècle. Une interrogation qui part du jazz pour s’élargir à l’ensemble des disciplines artistiques.
Nicolas Béniès.
« Polyfree », sous la direction de Philippe Carles et Alexandre Pierrepont, Editions Outre Mesure

Comportements barbares.

Un travail de mémoire.

Raphaëlle Branche la torture et l'armée pendant la guerre d'AlgérieRaphaëlle Branche, dans « La torture de l’armée pendant la guerre d’Algérie, 1954-1962 », a épluché les archives enfin ouvertes de cette période et a recueilli des témoignages de « survivants » qui commencent seulement à parler. Jusque là, cette guerre qui n’a jamais dit son nom, a été enterrée pour éviter le bilan des gouvernants. Ils ont ainsi tué la mémoire. L’auteure livre un travail qui tient autant de l’anthropologie que de l’histoire politique tout en donnant de la place à celle des mentalités pour expliquer l’acceptation de la torture. Elle situe cette guerre non pas dans la continuité de la Résistance – contradictoirement – mais dans celle de la guerre d’Indochine. Les mêmes méthodes se retrouvent. Le fonctionnement de l’Institution militaire s’entremêle avec les comportements individuels et la violence de la guerre pour arriver à faire voler en éclats les barrières de la conscience et de notre humanité. Une analyse qui permet de comprendre la guerre d’Algérie, le silence coupable des survivants, la haine inscrite dans les affrontements, la vengeance… Une guerre coloniale qui se traduit par le racisme, l’exclusion, le sentiment de supériorité de cette armée chargée de la répression et l’oubli de cette affreuse barbarie voulue et organisée par les pouvoirs en place.
En même temps, cette description est universel. Toutes les guerres ont les mêmes conséquences. Les civils ne veulent pas reconnaître leur responsabilité, celle d’avoir laissé faire et laisse sur le bord de la vie les soldats chargés d’une mission barbare… pour gagner une guerre qu’ils ne pouvaient que perdre…
Pour retrouver la mémoire…
N.B.
« La torture de l’armée pendant la guerre d’Algérie, 1954-1962 », Raphaëlle Branche, Folio/Gallimard.

Formes d’émancipation

La question noire aux États-Unis.

« Les êtres humains font leur propre histoire dans des conditions qu’ils n’ont pas librement déterminées », avait conclu Marx au terme d’une argumentation serrée pour à la fois démontrer que le déterminisme n’existe pas, que la décision individuelle structure notre vie, que le champ des possibles peut-être immense même s’il est limité par les structures de la société héritées du passé, par le mode de production.
Aline HeigAline Helg, historienne, met en pratique cette dialectique pour dresser une sorte d’inventaire des voies et des moyens mis en œuvre par les esclaves africains pour se sortir de leur condition, pour s’émanciper. Elle combat les préjugés. Le premier voudrait que les Africains déportés sur le sol américain pour travailler comme esclaves aient attendu l’abolition de l’esclavage, après la guerre de Sécession (1861-1865), pour devenir des hommes libres et le deuxième, à l’opposé, de se révolter contre l’oppresseur pour s’auto-libérer collectivement.
On sait les voies de la Providence impénétrable, ceux de l’émancipation le sont tout autant. Revenant à la « découverte » de l’Amérique en 1492 – en fait Christophe Colomb cherche la route des Indes et atterrit du côté de l’Amérique latine -, elle passe en revue tous les chemins qui ont permis la libération. Jusqu’en 1838, année où les différentes Assemblées coloniales britanniques abolirent définitivement l’esclavage » résultat à la fois de l’évangélisation des esclaves, de leurs révoltes qui partent de Saint-Domingue, que Bonaparte ne pourra réprimer, pour s’étendre à toutes les Amériques et d’une convergence de revendications entre les luttes des esclaves et celles des abolitionnistes blancs. Aline Helg montre, à travers le cheminement des acteurs, que les révoltes proviennent d’une faille dans la domination des planteurs qui permet d’espérer la victoire ainsi que, en deçà de ces mouvements collectifs, l’existence de stratégies individuelles pour échapper à cette condition d’esclave.
Des villes ont été construites par d’anciens esclaves soit des « marrons » – ceux et celles qui se sont enfui(e)s et n’ont pas été repris(e) – soit des hommes libres qui ont acheté leur liberté. Son travail, pionnier, permet de se rendre compte de la lutte pour la dignité, avec des limites. Elles tiennent aux structures sociales qui freinent la capacité d’initiative individuelle. « Plus jamais esclaves ! » est un de ces romans « vrais » qui à la fois permettent de comprendre la mémoire de ces Etats-Unis et, plus généralement des Amériques et une saga de ces hommes et de ces femmes décidé-es à s’émanciper. Le sous-titre dit bien le souffle qui anime l’historienne : « de l’insoumission à la révolte, le grand récit d’une émancipation (1492-1838) ». » Continuer la lecture

Sur la littérature américaine

De Philip Roth aux révoltés d’aujourd’hui

Philip Roth, né le 19 mars 1933 – au moment où Roosevelt pris ses fonctions de Président -, a décidé, en 2015, d’arrêter d’écrire. Une décision salutaire. Beaucoup de romanciers n’arrive pas à quitter la scène à temps. Tout le monde n’a pas la chance de mourir jeune et de conserver une image positive pour les générations futures…
Claudia Roth Pierpont, journaliste et sans lien de parenté avec l’écrivain – il lui aurait dit « Vous ai-je épousé sans m’en souvenir ? » – en a profité pour l’interroger longuement. Le résultat, un essai biographique, « Roth délivré, un écrivain et son œuvre » pour mêler réalité et fiction, faits réels et leur transformation dans l’imagination d’un romancier à l’ironie et à l’humour féroce. Chaque intitulé de chapitre est une référence au titre d’un roman. L’auteure utilise la technique rothienne. Cette distance renforce l’argumentation de la biographe spécialiste du monde de Roth. Continuer la lecture

Retour du « Califat » ?

Contre toutes les oppressions, la démocratie.

Du despotismeAbd al-Rahmân al-Kawâkibî, Syrien (1849-1902), ne jouit sans doute pas, dans nos contrées, d’une grande reconnaissance ni même d’une connaissance. Son essai, « Du despotisme », publié en 1902 au Caire, vient juste d’être traduit. Il faut lui reconnaître le statut d’un grand texte fondateur. Avec d’autres, il défend la venue du nationalisme arabe, la construction d’Etat-Nation, Etats de droit, pour combattre l’asservissement des populations qui prive le monde arabe de la force vive de l’intelligence et de la réflexion. L’argumentation qu’il utilise est étrange pour l’Occidental laïque. Il s’appuie sur les sourates du prophète, qu’il veut débarrasser de ses exégèses, pour justifier la nécessité de mettre fin à la tyrannie qui s’appuie sur une lecture du Coran qui permettrait de la justifier. Dans le même mouvement, il s’appuie sur les philosophes français, des « Lumières », pour indiquer un chemin, pour le monde arabo-musulman, d’entrée dans la modernité. Il s’oppose, de ce fait, au « panarabisme » pour permettre les avancées démocratiques et sociales. Continuer la lecture