Les mots pour le croire

La religion libérale

« La novlangue néolibérale » reparaît augmentée pour tenir compte du renouvellement (faible), du discours dominant depuis l’entrée dans la crise systémique du capitalisme en août 2007. Une nouvelle interrogation surgit. La crise a totalement discrédité les théories néo-classiques sur lesquelles s’appuie le néolibéralisme. Après le temps du choc, elles restent présentes, latentes souvent, références moins affirmées des politiques économiques. Les justifications changent un peu mais les croyances comme autant de fétiches restent. Alain Bihr construit des explications sur cette résistance. Stimulantes.
N.B.
« La novlangue néolibérale. La rhétorique du fétichisme capitaliste », Alain Bihr, coédition Page 2/Syllepse.

Jazz, Un continent oublié

Les dames du jazz.

Les femmes, d’une manière malheureusement un peu trop générale, sont les grandes oubliées de toute histoire et de l’histoire culturelle en particulier. C’est le cas dans les mondes du jazz mais il est trop facile de mettre en cause le « machisme » du blues comme du jazz pour expliquer cet ostracisme. Les exemples sont multiples ailleurs. Ce rejet a des causes sociales et politiques bien mises en lumière dans l’essai de Roland Pfefferkorn, « Genre et rapports sociaux de sexe », coédition Syllepse/Page deux.
Il fallait bien tenter de remédier à cette absence, la combler pour commencer un travail de mémoire absolument nécessaire. Oublier les femmes c’est se priver d’une partie du patrimoine de l’Humanité, c’est une amputation volontaire et sans excuse. Heureusement chercheurs et chercheuses ont permis de redécouvrir une partie de ces créatrices. Il en reste par trop.
Pour le jazz, le travail avait commencé avec un double CD du label Jass Records intitulé simplement « A double disc feminist restropective », « Forty Years of Women in Jazz » qui permettait de découvrir toutes ces musiciennes laissées de côté par les maisons de disques comme ce grand orchestre « The International Sweethearts of Rhythm » ou la trompettiste Dolly Jones et beaucoup d’autres. Depuis cette parution, d’autres ont suivi moins virulents dans leur présentation pour continuer à découvrir ces trésors cachés.
Encore aujourd’hui, les femmes dans le jazz sont difficilement reconnues. Sauf les chanteuses qui ont droit, dans la plupart des histoires du jazz, à leur chapitre à part comme si elles ne faisaient pas partie intégrante de cette construction culturelle. Bizarre, et d’autant plus bizarre que chacune de ces chanteuses est une musicienne accomplie. Il est possible de démontrer que Bessie Smith – dite l’impératrice du blues – n’a pas seulement influencé les autres chanteuses mais aussi les musiciens. Bud Freeman, saxophoniste ténor contemporain de Bix Beiderbecke, le reconnaissait affirmant toute son admiration à la chanteuse. Billie Holiday a eu une influence profonde sur tous les instrumentistes qui ont suivi…
Pour dire que ce coffret de trois CD, « Jazz Ladies », vient renforcer à la fois notre connaissance et rafraîchir la mémoire défaillante de cette société qui n’arrive pas à présenter son patrimoine culturel. Jean-Paul Ricard, auteur du livret dans lequel il donne les renseignements nécessaires sur chacune des musiciennes, propose une lecture en trois parties. D’abord les pianistes où brillent Lil Hardin Armstrong et Mary Lou Williams, ensuite les autres instrumentistes – les femmes jouent de tous les instruments y compris de la batterie au grand dam des « machistes » – et, enfin les groupes uniquement composés de femmes, les « All Girls Band » dont celui cité plus haut ou ceux réunis par Beryl Booker, pianiste engagée par Billie Holiday pour sa tourné en Europe au début des années 1950…
Les découvertes sont au rendez-vous. Je suis sur que vous ne connaissez pas la trompettiste Clora Bryant ou la pianiste Pat Moran… Ouvrez ce coffret, un double plaisir vous y attend, celui de la surprise et celui de l’écoute…
Nicolas Béniès.
« Jazz Ladies. 1924-1962 », présenté par Jean-Paul Ricard, coffret de trois CD, Frémeaux et associés.

Note : ce coffret vient illustrer un article ancien que j’avais commis sur « les femmes du jazz » que vous trouverez sur ce site.

Réflexion : en regardant sur Google en faisant « Ladies of Jazz », on tombe surtout sur des chanteuses. les clichés ont la vie dure.

Université populaire Economie le 6 juin 2017

Bonjour,

Pour ce 73e anniversaire du débarquement,,je vous rappelle mon livre « Le souffle de la liberté » sur le jazz de cette époque, 1944 et un peu avant, pour répondre à la question quel jazz en 1944-45, aux éditions C&F. Pas de rapport ,avec l’économie ? Pas tout à fait. La Libération voit la (re)naissance d’un Etat qui s’incarne dans une nouvelle forme. Le libéralisme est, pour un temps, abandonné. Dans « La grande transformation », Karl Polanyi écrira que le grand mérite de notre époque est d’avoir rompu avec le libéralisme responsable de la profondeur de la crise de 1929 et, ajoutons, surtout de l’aveuglement des dirigeants incapables de comprendre la crise. Continuer la lecture

La France à un goût de rock

Le rock américain débarque… à l’Olympia forcément.

Octobre 1958. La guerre d’Algérie provoque des traumatismes durables dans une grande partie de cette jeunesse partie combattre pour conserver une colonie sous la direction de généraux et de colonels qui ont perdu le sens de l’honneur. Le Général de Gaulle arrive comme le Sauveur. Il est présenté ainsi par le Président René Coty qui ne nomme, après un coup d’État – au moins un ! – Président du Conseil. Début octobre, un référendum constitutionnel permet l’avènement de la Ve République. La guerre se poursuit et le Général dira, en une formule ambiguë : « Je vous ai compris ». Il n’avait pourtant pas compris les aspirations d’une jeunesse en train de trouver un langage commun, une musique générationnelle de tous ces ados, ces « teens » comme on disait de l’autre côté de l’Atlantique, le « rock and roll » déjà bien installé aux Etats-Unis avec Elvis Presley, Gene Vincent et beaucoup d’autres.
En France cette musique était dénigrée par les amateurs de jazz dont Boris Vian et Henri Salvador qui avaient fait des tubes de rock « comiques » à leur grand étonnement. Continuer la lecture

Musiques Noires

Une somme.

Jérémie Kroubo Dagnini, auteur d’une thèse sur les musiques jamaïcaines, a voulu interroger les musiques noires pour comprendre leur origine, leur place et leur devenir. Il a fait appel, à des sociologues, ethnologues, philosophes, musiciens… pour évoquer leur diversité. Toutes ont en commun la culture des esclaves déportés lors de ces criminelles « traites négrières », porteurs de ces tambours capables de parler. Le verbe est premier, associé au rythme. Les contributions parlent de jazz, de reggae, de la « dub poetry », du hip-hop, du rap, du gwoka, du zouk… tout en évoquant des questions clés comme le féminisme et la révolte. Révolte contre l’ordre établi, révolte contre l’oppression qui donnent à ces musiques la capacité d’être des musiques de la jeunesse. Continuer la lecture

Sur une théorie de l’Esthétique

Réflexions, à partir de Adorno et du jazz

Les rapports Adorno et le jazz sont marqués du sceau de l’incompréhension. Il est de notoriété publique – il n’est que de lire le témoignage de Leonard Feather – que le philosophe fréquentait, lors de son exil aux États-Unis, à New York, les clubs de jazz et connaissait une partie de cette musique en train de se faire. Il a refusé au jazz toute analyse…

Erreur d’analyse
Adorno n’avait donc pas l’excuse de l’ignorance contrairement à la thèse défendue par son biographe, Stefan Müller-Doohm. D’autant qu’il était aussi compositeur.(1) Mais, pour lui, le jazz ne fait pas partie de la musique. C’est du bruit.(2) C’est son point de départ. Il n’écoutera que les musiciens qui le confortent dans son hypothèse. En fait, il ne prend en compte que les orchestres de danse existants en Grande-Bretagne à ce moment-là, sauf à citer Duke Ellington et les Revellers – deux groupes qui n’ont rien à voir. Pour le moins, sa démonstration manquait de consistance d’autant qu’il concluait que « le jazz aurait une affinité avec le fascisme. » Il en déduisait que l’interdiction du jazz – non respectée (3) – en Allemagne était une erreur des autorités. Continuer la lecture

Université populaire Jazz, le 8 mars 2017

Bonjour,

Surprise ! Dans le cadre du thème de cette année, la « West Coast », les projecteurs sur les femmes de ce style qui n’existe pas, allant des chanteuses aux instrumentistes ou l’inverse.
Exceptionnellement, nous démarrerons à 18h15 pour finir à 19h45.

Les femmes du jazz west coast participent de la même épopée des autres femmes du jazz et d’ailleurs. Certaines peuvent être très connues de leur vivant mais, une fois mortes, elles disparaissent de tous les cadrans.
Je citais, dans un texte que vous trouverez sur ce blog, le cas de Augusta Holmes, une anglo-française qui composa l’ode à la révolution française en 1889, des chansons… Une fois morte, au début du 20e siècle, elle a disparu de toutes les anthologies et autre histoire de la musique. Elle a été re découverte récemment.
Pour la west coast, les chanteuses eurent leur heure de gloire. Une fois disparue qui connaît encore Lucy Ann Polk, Frances Faye, June Christy, Chris Connor et même Anita O’Day, inspiratrice des deux dernières citées et de la west coast rêvée…
Les instrumentistes sont, sans doute, encore moins bien lotie pour ce qui est de la mémoire. Qui se souvient de ce Big Band uniquement de femmes : International Sweethearts Of Rhythm dans le quel jouait du piano Lorraine Walsh devenu Geller de par son mariage avec le saxophoniste alto, de le côte ouest, mais parkérien en diable, Herb Geller ? Qui connaît encore Clora Bryant, trompettiste et chanteuse ?
Qui se souvient du scandale provoquée par Mae West dans ce Hollywood coincé des années 30. Sa conduite, libre – comme un homme ! – suscita le courroux de ces mêmes hommes ? Qui se souvient aussi que Mae West (je n’ai pas eu le temps de vous la faire écouter) avait enregistré avec l’orchestre de Duke Ellington en 1934, pour la radio, ce « My Old Flame », un des thèmes des « Musicals » notamment « Gay Divorcee » avec Fred et Ginger

Et toutes celles, oubliées dont personne ne se soucie, celles qui, pourtant, forment le patrimoine, la moitié, de l’humanité, du jazz pour ce qui nous concerne ?
Plus encore, toutes celles qui se sont – ou ont été – effacées par leur mari, leur compagnon, où sont elles ? Comment les découvrir ?
Les rapports de domination de sexe ont des conséquences dramatiques pour notre propre histoire, pour notre mémoire.
Il est nécessaire de réévaluer cet apport et pas seulement un jour de l’année. Reconnaissons que c’est difficile. Le mâle tend à prendre toute la place…
(à suivre. J’essaierai de mettre après notre rendez-vous quelques extraits musicaux)

D’abord cet orchestre (Big Band) uniquement féminin « International Sweethearts of Rhythm », en 1941 ou début 42
Don’t get it Twisted

Lorraine Geller, née Walsh, qui a participé au Sweethearts of Rhythm, le groupe qui a succédé au précédent. Morte à 30 ans
Everybodys-Blues a été enregistré en 1954

Betty Bennett, chanteuse, n’a pas beaucoup de trace sur le net… Pourtant…
Treat me rough

Une autre grande chanteuse qui a eu beaucoup de succès sur cette West Coast quoique née à Brooklin (NYC),
Frances Faye
Its allright with me

Lucy Ann Polk fut la chanteuse de l’orchestre de Les Brown où elle succédé à Doris Day. Ici en 1958, avec Marty Paich (p) et Howard Roberts (g)
Wrap-Your-Troubles-in-Dreams

Clora Bryant, trompettiste et chanteuse, ici en 1957
Man-With-The-Horn

Peggy Lee, et son grand succès, « Fever » de 1959 avec James Bond (b) et Al « Tootie » Heath (dr)

Chanteuse et siffleuse, Debby Moore, en 1959, avec Harry Edison (tp)
Why Dont You Do Right


Nicolas.

Voir : Les femmes du jazz.

PHILOSOPHIE DE LA CONTRE REFORME

Note introductive : cet article, je l’ai écrit en 2003, au temps du quinquennat de Jacques Chirac, élu, il faut s’en souvenir, avec plus de 80% des suffrages. De ce score inédit – et tout a été inédit dans cette élection – Chirac n’en a rien fait. Comme Hollande, il voulait juste devenir président sans programme, sans vision. Une remarquable continuité…
Le mouvement social cité à la fin fait référence à la mobilisation contre la remise en cause des retraites… Déjà!
Je n’ai pas changé une virgule. Je crois même avoir laissé quelques fautes d’origine. Je le publie en janvier 2017 pour deux raisons. D’abord pour mes archives et conserver la mémoire, enfin pour porter à la connaissance des analyses nécessaires pour appréhender cette période. Pour donner aux historiens des éléments de ce temps d’avant la crise systémique…

En mémoire

Le gouvernement actuel s’attaque à tous les acquis sociaux construits tout au long du 20e siècle, remettant en cause le « compromis social » de la Libération, synthèse des droits des salariés acquis dans les luttes sociales et dans la forme de reconstruction de l’Etat après la collaboration des classes dominantes avec le nazisme. Cet Etat, appelé « Etat providence » avait deux aspects principaux, il était national et social.
Aujourd’hui, il s’agit, via les politiques d’inspiration libérale, de déstructurer cette forme d’Etat et imposer de nouvelles règles du jeu. Les services publics, de manière générale, sont dans le collimateur.
Une partie d’entre eux pourrait être facilement « marchandisée ». C’est le cas des Télécommunications, de l’Électricité, du Gaz… et de l’enseignement supérieur. D’ores et déjà, au sein de l’OMC – Organisation Mondiale du Commerce – se discutent les « demandes » des Universités américaines d’ouverture à la concurrence de l’enseignement supérieur européen. L’échec de la conférence – « assemblée générale » – de Cancun tenue au milieu de septembre des 146 pays signataires n’empêche pas la poursuite des négociations dans les salons feutrés de l’Organisation à Genève loin des caméras et des représentants des pays du tiers monde venus perturber le consensus traditionnel qui se réalise entre les pays de la Triade, les Etats-Unis, l’Union Européenne (représentées par le commissaire européen, Pascal Lamy) et le Japon. Ce consensus là n’a pas été possible. De ce fait l’OMC est en crise et devrait déterminer d’autres modalités de fonctionnement. Elle ne peut accepter la transparence. L’ombre est propice à toutes ses décisions. Qui sont pourtant de l’ordre du politique. Les décisions de l’OMC deviennent autant de règles, de lois que les Etats doivent respecter. C’est le sens de la ratification du traité de Marrakech (1994) créant à la fois l’OMC et définissant ses prérogatives. Continuer la lecture

Revenu universel, utopie et réalité

Penser le contexte pour des solutions sociales et collectives

Le revenu universel, dit aussi revenu de base – pendant un temps on parlait du revenu citoyen – repose, apparemment, sur un scénario simple. Chaque individu reçoit le même revenu ; sans tenir compte de son niveau de richesse. A partir de là, les orientations divergent. Les libéraux fixent le niveau de ce revenu à celui des minima sociaux existants pour lutter contre la « paperasserie » qui bouffe des richesses et pensent le financer par les économies ainsi réalisées. Comme souvent, ils s’appuient sur une réalité. Le RSA d’aujourd’hui est versé à conditions de faire la preuve que la personne est « réellement » pauvre et pour le démontrer il faut remplir un long questionnaire. Se déclarer pauvre est pire encore que d’être pauvre raison pour laquelle, suivant les estimations, un tiers de ceux et celles qui pourraient y avoir droit n’en font pas la demande. Notre société est une société du mépris… On comprend que cette idée d’un revenu universel sans conditions puisse séduire…
La suppression des minima sociaux remplacés par un revenu universel financé par le budget – ou les départements ou les régions, on ne sait pas – pourrait ouvrir la porte à la remise en cause de l’ensemble de la protection sociale. En Finlande, pour rappel, lors de la première mise en œuvre, la proposition était d’un revenu de 800 euros et la suppression de toute la protection sociale. Le gouvernement est ensuite revenu sur cette première mouture pour tester un revenu universel de 600 euros et la protection sociale existante. Continuer la lecture

Exercice de style. A propos des comédies musicales. Réflexions sur la culture

Les comédies musicales ne sont plus ce qu’elles étaient.

Elles ne disent plus Noël ou Bonne année. Elles ont arrêté le temps pour nous faire entrer dans une époque révolue, disparue, engloutie. Elles ne nous parlent plus, elles s’agitent encore mais vainement. La recrudescence actuelle de ces « musicals » n’est que bouffonnerie. Ce « retour » exprime la tare de notre époque, le « c’était mieux avant ». Avant quoi, on ne le saura jamais. Avant aujourd’hui qui est déjà hier.
Le passé décomposé et recomposé touche tous les domaines. Sur le terrain culturel, la répétition ne se fait ni en farce ni en tragédie mais sous le règne intransigeant de la marchandise. Elle exige la répétition. La culture, la création semble avoir déserté pour laisser le champ libre au raisonnement capitaliste, celui du retour sur investissement. Pour parler vulgairement, il faut que « ça » rapporte. La culture sait résister via le raisonnement de service public. Il ne suffit pas. Il faut ouvrir les portes, les fenêtres pour laisser entrer l’air frais du large. Paris, comme capitale culturelle mondiale avait su capter tous les talents, réunir génies de la peinture, de la littérature et de la musique – en particulier le jazz. Paris le devait à sa capacité d’accueillir tous ces exilés, tous ces migrants. Continuer la lecture