Contre toutes les oppressions, la démocratie.
Abd al-Rahmân al-Kawâkibî, Syrien (1849-1902), ne jouit sans doute pas, dans nos contrées, d’une grande reconnaissance ni même d’une connaissance. Son essai, « Du despotisme », publié en 1902 au Caire, vient juste d’être traduit. Il faut lui reconnaître le statut d’un grand texte fondateur. Avec d’autres, il défend la venue du nationalisme arabe, la construction d’Etat-Nation, Etats de droit, pour combattre l’asservissement des populations qui prive le monde arabe de la force vive de l’intelligence et de la réflexion. L’argumentation qu’il utilise est étrange pour l’Occidental laïque. Il s’appuie sur les sourates du prophète, qu’il veut débarrasser de ses exégèses, pour justifier la nécessité de mettre fin à la tyrannie qui s’appuie sur une lecture du Coran qui permettrait de la justifier. Dans le même mouvement, il s’appuie sur les philosophes français, des « Lumières », pour indiquer un chemin, pour le monde arabo-musulman, d’entrée dans la modernité. Il s’oppose, de ce fait, au « panarabisme » pour permettre les avancées démocratiques et sociales.
Les chapitres s’organisent autour des tares du despotisme dans tous les domaines. Cette dénonciation n’appartient pas totalement au passé. Tous les régimes dictatoriaux se reconnaîtront. Les « printemps arabes » pourraient trouver dans ce livre de quoi alimenter leur volonté démocratique. Al-Kawâkibî ne prône pas la sécularisation mais la séparation de la religion et de l’Etat tout en reconnaissant une place à la « société civile » comme on dit aujourd’hui. Il propose que, à l’image de la papauté, le Califat soit relégué dans une enclave sans peser sur les gouvernements.
Ce fantasme du Califat revient en force avec Daesh, acronyme de l’« Etat Islamique en Irak et au Levant ». Le 29 juin 2014, le monde a découvert le nouveau calife, sous le nom de « Ibrahim » pour indiquer un lien de parenté avec Mahomet. Le « Califat » remonte aux premiers temps de l’Islam, après la mort du Prophète. Pour les « monarques » de ces temps, il fallait trouver une source de légitimation. La seule possibilité était la référence au religieux. Comme partout. Le Roi de France était aussi l’oint du Seigneur. Au cours de l’Histoire, la notion même de Califat et son contenu ont évolué pour s’arrêter à l’Empire Ottoman. Sa fin officielle a été proclamée en 1929 par Mustapha Kemal. Nabil Mouline, dans « Le Califat, histoire politique de l’Islam », propose une analyse qui s’inscrit à la fois dans « le cadre de la sociologie historique et de l’histoire sociologique », comme dans celui de « l’histoire connectée » pour appréhender la place de cette utopie. Il reprend aussi tous ces penseurs qui, comme al-Kawâkibî, ont défendu, à la fin du 19e siècle, une conception de la démocratie. Il insiste particulièrement sur le wahhabisme comme idéologie justifiant tous les intégrismes et barbaries… Un ouvrage de référence.
Nicolas Béniès
« Du despotisme », Abd al-Rahmân al-Kawâkibî, traduit par Hala Kodmani, préface et postface de Salam Kawakibi, Sindbad/Actes Sud
« Le Califat, histoire politique de l’Islam », Nabil Mouline, Flammarion collection Champs/Histoire