Les comédies musicales ne sont plus ce qu’elles étaient.
Elles ne disent plus Noël ou Bonne année. Elles ont arrêté le temps pour nous faire entrer dans une époque révolue, disparue, engloutie. Elles ne nous parlent plus, elles s’agitent encore mais vainement. La recrudescence actuelle de ces « musicals » n’est que bouffonnerie. Ce « retour » exprime la tare de notre époque, le « c’était mieux avant ». Avant quoi, on ne le saura jamais. Avant aujourd’hui qui est déjà hier.
Le passé décomposé et recomposé touche tous les domaines. Sur le terrain culturel, la répétition ne se fait ni en farce ni en tragédie mais sous le règne intransigeant de la marchandise. Elle exige la répétition. La culture, la création semble avoir déserté pour laisser le champ libre au raisonnement capitaliste, celui du retour sur investissement. Pour parler vulgairement, il faut que « ça » rapporte. La culture sait résister via le raisonnement de service public. Il ne suffit pas. Il faut ouvrir les portes, les fenêtres pour laisser entrer l’air frais du large. Paris, comme capitale culturelle mondiale avait su capter tous les talents, réunir génies de la peinture, de la littérature et de la musique – en particulier le jazz. Paris le devait à sa capacité d’accueillir tous ces exilés, tous ces migrants.
Notre monde refuse les migrants, ne comprend pas l’intérêt du choc pacifique des cultures pour faire vivre la création. la chance de la culture française ce fut, pendant longtemps d’avoir la capacité de se confronter à d’autres cultures pour se dépasser, pour être vivante. Une culture qui se repli sur soi, sur ses soi-disant fondamentaux – même en se réfugiant derrière une laïcité étrange provenant de l’héritage colonial – ne peut que mourir. Avant de disparaître, elle rétrécit notre regard et nous em^pêche de voir la réalité d’un monde en train de basculer.
Le début du 21e siècle fait un peu de surplace, apparemment. En fait, tout bouge, tout se transforme. Une sensation de vertige saisit, prend à la gorge. L’explication est là de ce retour du passé. dans la peur d’un avenir non prédictible. La recherche du connu s’explique. Conserver s’avère nécessaire mais pas recopier.
Les films de ces « musicals » restent. Ils sont notre patrimoine. Notre présent est fait de notre passé, en partie. Ces films, contrairement aux « remake » actuels conservent la grâce d’origine. Il faut rechercher le « Zeitgeist » d’une époque. Ce sont des documents, des traces de cette histoire culturelle nécessaire pour comprendre l’Histoire.
Nous regardons Fred Astaire ou Gene Kelly défier les lois de la pesanteur,
séduits, nous suivons les évolutions de Ginger Rogers ou les ébattements de Grace Kelly partagé entre le vieux Bing Crosby et le séduisant – et pauvre dans le film, « High Society », 1956 – Frank Sinatra ou encore la sirène, Esther Williams – championne de natation à 17 ans, morte à 93 ans le 7 juin 2013 -, de ces « musicals » ou toutes ces filles des Ziegfeld Follies (sic), des films qui ne regardaient pas à la dépense. Tellement que tous ces spectacles firent faillite. La rentabilité, recherchée malgré tout, n’était pas le seul but. Le spectacle – le show – était central. « Beautiful Girls » chantait-on dans la plupart des films. Notamment dans « Singin’ in the Rain », sorte de testament de tous les films comédies musicales qui l’ont précédé. On ne pouvait aller plus loin. Les débuts du cinéma avec les « silent movies », des débuts pas glorieux – « Dignity » s’obstine à répéter le personnage interprété par Gene Kelly – et l’arrivée du cinéma parlant qui changea toute la donne. Michel Leiris en parlera avec justesse. Les surréalistes sont les contemporains de toutes ces révolutions dans lesquelles ils joueront aussi un rôle majeur. Ils ouvriront le champ des possibles.Michel Leiris sera l’un des révélateurs – au sens photographique – de toutes ces transformations dans un siècle – le 20e – qui n’en manqua pas. Ami de Breton et de Bataille, il deviendra ethnologue, anthropologue, spécialiste du continent africain, anti colonialiste après avoir été transporté par le jazz. Le jazz comme entrée dans le siècle…
Le texte qui suit est un hommage sous forme de courte nouvelle à l’un de ces littérateurs qui, à l’instar de Bob Dylan, aurait dû avoir le Prix Nobel de littérature, Lorenz Hart.
Était-ce Noël, le Jour de l’an, Pâques – ou d’autres îles pas forcément sur la carte mais à découvrir ? Le ciel était bleu, la nuit jeune et je ne savais plus quelle heure il était, mais c’était le moment de tomber dans l’amour sans savoir où s’arrêterait la chute. En tout cas, la plus belle fille du monde était là devant moi. « Amoureuse » lui demandai-je ? Elle ne répondit pas, me regardant. « Je vous attendais en déambulant sur la 10e avenue en pensant que vous étiez trop belle pour me regarder moi, en train de devenir amoureux une fois encore, ensorcelé que je suis, même s’il me faudra payer 10 cents la danse ». A une question – elle me la posa ou quelqu’un d’autre le fis, je ne sais plus, Jean était peut-être là – je répondis non, je n’ai jamais rencontré Miss Jones. J’aurais dû ? Qui est Miss Jones ? Viendra-t-elle dîner ce soir ?
C’est si facile de s’en rappeler, mais le problème est de savoir quoi se rappeler pour dire où et quand. Je n’arrive pas à me souvenir de l’heure. Qu’importe. Je te transporterai, si tu veux bien me suivre, sur cette montagne repeinte en vert.
Je pourrai en écrire un livre dans lequel tu t’appellerais « Mimi » pour tes orteils qui battrais la mesure; des orteils indépendants si bien habillés, très smart, un peu dans l’air du temps.
Ma romance ne peut s’arrêter là. Est-ce l’amour ma rieuse valentine, fausse Lady, vrai routière, le pouce en l’air pour aller voir ailleurs – de la Californie à New York – si autre chose y est. Dans ce petit hôtel où tu t’étais reposée, il ne reste que des souvenirs ma petit fille bleue comme le ciel ou comme ces airs déjà entendus, ces blues qui inondent notre vie. N’est-ce pas romantique cette chambre elle aussi bleue ? Je n’oublierai jamais cette rencontre. Mais ton départ ne peut faire partie de ma mémoire, départ qui me fait crier le blues dans cette ville trop petite pour le contenir.
Impro sur des thèmes de Rodgers and Hart, dans l’ordre choisi par Ralph Sharon pour son album « The magic of Richard Rodgers »