Le jazz dans toutes ses facettes.

Actualités du livre sur le jazz

Coltrane encore et toujours.
Coltrane est mort en juillet 1967. Plus de 50 ans. Et son tombeau est resté ouvert. Sa musique fraternelle, universelle laisse tomber des gouttelettes pour fertiliser un sol qui en a besoin. Il a su faire reculer le gris qui a tendance à envahir le monde. Le « jeune homme en colère » – comme la critique le qualifiait au début des années soixante – s’est transformé en esprit mystique et facétieux, un génie venu habituer notre monde temporairement. Personne ne s’en est vraiment remis. La parution d’un double album miraculeusement retrouvé de 1963 vient, une fois encore, en faire la démonstration. « Both Directions at Once » a été le titre choisi par Universal pour refléter La nouvelle direction prise par Coltrane.
Jean Francheteau, aujourd’hui organisateur de concert, s’est arrêté sur « La décennie fabuleuse », 1957-1967, de « John Coltrane », titre de sa quête. Il passe en revue les enregistrements du saxophoniste, d’abord chez Prestige, puis chez Atlantic et enfin Impulse. Sur ce dernier label, Bob Thiele l’a beaucoup sollicité, au-delà de ce que demandaient les propriétaires. Heureusement. Après la mort de Trane – comme tout le monde l’appelle -, les sorties d’albums posthumes ont permis de le garder vivant. Continuer la lecture

Samuel Blaser et le blues

Trombone qui rit, qui pleure, qui vit !

« Early In The Morning » – titre de l’album du tromboniste Samuel Blaser – est un tic de langage du blues. Tôt le matin, mal réveillé, la gueule de bois après avoir partagé sa couche avec « Mr Blues », les bleus à l’âme se traduisent par du noir et la perte de tout espoir. Tellement dans le 36e dessous qu’il ne reste plus qu’à en rire pour commencer une nouvelle journée qui s’annonce semblable à la précédente. Pourtant, la vie est là « simple et tranquille », la vie qui envahit l’espace pour indiquer un nouveau chemin, celui d’un autre monde.
Le blues ne se résume dans les 12 mesures qui semble s’être imposées depuis Robert Johnson, unificateur des blues en 1936/1937. Le blues, c’est plutôt un état d’esprit, une manière de raconter le monde, de narrer son environnement en langage codé. En ce sens, le blues est immortel. La moitié environ des standards est basée sur le blues, sur son architecture.
Samuel Blaser renoue avec les racines, les mémoires du jazz qui passent par le combat permanent pour la dignité, contre le racisme, pour la fraternité et la sororité. Continuer la lecture

A une femme libre : la baronne Nica de Koenigswarter

Pour le jazz

Le jazz a son aristocratie construite sur le sol mouvant des reconnaissances collectives. Un Comte (Basie), un Duc (Ellington), une Impératrice (Bessie Smith), une Reine (Dinah Washington), un Président (Lester Young), une Lady (Billie Holiday et même un génie tutélaire, Louis Armstrong pour former une sorte de firmament étoilé, une succession de constellations, une tempête de sang bleu. Mais pas de Baronne – même s’il y a un Baron autoproclamé, Charles Mingus – du jazz. Non, la Baronne est une vraie, du monde « réel », loin des légendes apparemment, venue d’Europe, née Rothschild qui plus est, devenue par le mariage avec un Jules – c’est son prénom – de Koenigswarter. Rien ne la prédestinait à rencontrer sauf le jazz, sauf son amour de l’aventure, de la liberté et la lutte contre l’antisémitisme et le racisme.
Pour le monde du jazz, elle sera Nica ou Pannonica et pour l’éternité. Un film de Charlotte Zwerin, « Straight No Chaser », permettait de la voir aux côtés de Thelonious Monk. Sa petite fille, Nadine, avait contribué à la sortie d’un recueil étrange, « Les trois vœux des musiciens de jazz » (Buchet-Chastel) composé de photographies prises au Polaroid par Nica, assorties d’interviews de musiciens, les fameux trois vœux, qui permettaient d’éclairer des personnalités et de découvrir des musiciens oubliés. Continuer la lecture

UNE VIE DANS LE SIÈCLE. Compléments au « souffle de la révolte »

Pionnière de la littérature féministe, noire-américaine.

Le nom de Zora Neale Hurston ne dit sans doute rien au lecteur. Pourtant, Toni Morrison fait clairement référence à son autobiographie, Des pas dans la poussière, dans son dernier roman, Paradis,1 qui se déroule dans une petite bourgade du Sud des Etats-Unis gérée et habitée par des Africains-Américains ressemblant à celle où est née Zora. Alice Walker, l’auteure de La Couleur Pourpre, a fait placer une pierre tombale à l’endroit approximatif où elle repose.2 Toutes les romancières américaines paient leur dette à cette pionnière qui a payé le prix élevé de cette liberté, de cette volonté de construire sa propre vie, son œuvre.
Sa vie fut un combat pour se faire reconnaître comme auteure à part entière, comme anthropologue, pour vivre de sa plume. Ce qu’elle n’a pas réussi à faire. Elle mourra pauvre en 1960. Elle jouera un rôle de premier plan dans le mouvement des années 20 qui se construit autour de la «négritude », mouvement dont se réclamera Senghor, affirmation de la culture spécifique des Africains-Américains, partant de Harlem. A cette époque le ghetto brille des mille feux du jazz, de la photographie – Van Vechten en sera un des animateurs -, de la danse, de la littérature, avec Langston Hughes comme animateur principal. C’est LE lieu à la mode. Elle refusera, avec quelques raisons ce concept de négritude, pour faire pénétrer dans la littérature ce langage particulier, cette langue qu’est «l’Anglais noir » comme le «double-entendre » – comme disent les Américains – propre aux opprimés voulant communiquer devant le maître blanc. Zora l’utilise dans cette autobiographie publiée en 1942 alors qu’elle se dispute et avec ses mécènes et avec ses éditeurs. Être une femme dans ce monde d’hommes, y compris dans la communauté africaine-américaine, est une gageure qu’elle relève.
Au-delà de cette vie qui se reflète dans son écriture, c’est une véritable écrivain. Avec un style qui lui appartient, avec cette manière, héritée du blues, douce-amère de parler de soi, d’inverser les situations en pratiquant un humour et une ironie permettant à la fois de faire sourire et de faire réfléchir. Rien ici ne ressort d’une véritable autobiographie, et tout est autobiographique.
Il est temps sans doute de découvrir Zora Neale Hurston et ce faisant de faire un saut dans l’inconnu dans une culture spécifique née de la déportation des Africains sur cette terre américaine. Pour appréhender plus facilement ce continent, le livre de Robert Springer, bien que d’un style par trop universitaire, Les fonctions sociales du blues,3 sera un guide bienvenu.
NICOLAS BENIES.
DES PAS DANS LA POUSSIÈRE, de Zora Neale Hurston, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Françoise Brodsky, Éditions de l’Aube, La Tour d’Aigues (84), 1999, 320 pages,

A Crest pour le festival et une série de conférences sur deux villes, Kansas City et Detroit

Bonjour,

Comme chaque année – depuis trop longtemps qui fait que je ne compte plus et quand on aime… – Crest Jazz Vocal organise son festival et son concours de jazz vocal – comme c’est curieux – dans un environnement superbe, celui de la Drôme. Un festival organisé par une association autonome de la Mairie.
Comme chaque année aussi, je donne une série de conférences du mardi au samedi.
Le mardi 31 juillet, tout commence par un film, comme d’hab. « Singin’ in the Rain », Chantons sous la pluie, de Stanley Donen et Gene Kelly, avec Gene Kelly – surprise – et Debbie Reynolds alors âgée de 17 ans, sans oublier Donald O’Connor qui fait le spectacle. Ce film de 1952 est un hommage aux comédies musicales et au cinéma muet. Il vient comme une conclusion du thème des conférences de l’an dernier autour des débuts du jazz, thème de mon dernier livre, « Le souffle de la révolte » qui vient juste de sortir chez C&F éditions. Finalement.
Les jours suivants verront la reprise de la saga inaugurée en 2015 sur « Les villes du jazz ». Après Chicago, Philadelphie et Pittsburgh, ce sera la visite de Kay-Ci (Kansas City, Missouri) qui fait partie de l’histoire du jazz, celle des années 30, après la dépression dite « crise de 1929 ». K.C fut une sorte de chaudron où tous les jazz se donnaient rendez-vous, tous les jazzmen et jazzwomen. La lave allait permettre au jazz de re-naître en cédant la place à Charlie Parker, né dans cette ville en 1920.
Nous poursuivrons notre chemin vers la Motor City, la ville de l’automobile, Detroit, ville française à l’origine, ville de naissance de tous les « hard » à commencer par le « hard bop » qui marquera le milieu des années cinquante. Une ville en train de se transformer actuellement.
L’auteur de polar, Elmore Leonard en sera le chantre. Il racontera les changements, les ruptures dus à la crise fondamentale qui frappera l’industrie automobile. Il décrira les musiques qui naîtront de ces métamorphoses et d’abord de la déstructuration totale, de la pauvreté, de la désertification et un quasi retour de la nature qui touchera la ville.
Une des familles clé de Detroit, la famille Jones : l’aîné, Hank sera pianiste, le cadet Thad, trompettiste puis tromboniste après un accident, chef d’orchestre du Thad Jones Mel Lewis orchestra, styliste accompli, sa place dans les mondes du jazz a été très sous estimée et le petit dernier, Elvin, batteur génial qui se découvrira avec John Coltrane.
N’hésitez pas si vous êtes par là, la médiathèque où a lieu toutes les conférences – demain ce sera exceptionnellement à 14h30 ensuite à 15h – possède la clim. Un argument imparable.
Nicolas.

Compléments au « souffle de la révolte »

Bonjour,

Le livre, « Le souffle de la révolte », sort des presses, c’est confirmé, fin juillet et pourra être commandé dés début août dans toutes les librairies ou directement chez l’éditeur C&F éditions, sur le site.
Avec le livre un CD pour avoir une idée de cette musique sans nom – le jazz – est train de se construire. James Europe et son orchestre comme l’ODJB – Original Dixieland Jass (sic) Band pour celles et ceux qui l’ignoreraient encore – ou, Louis Armstrong bien évidemment ou Bix Beiderbecke…
Un CD n’est évidemment pas suffisant.
Ci-dessus vous trouverez quelques références supplémentaires pour construire votre propre CD : Continuer la lecture

Jazz peut-être pour une musicienne aux influences multiples

Musicienne de notre temps.

Marjolaine Reymond fait partie d’une génération de vocalistes qui sont aussi compositeure et arrangeure qui ne connaissent pas les frontières – pour le moins étrange – qui ont marqué les mondes de la musique. Elle se sert aussi bien de sa technique vocale acquise dans le cadre de la musique contemporaine que dans celui du jazz, découvert plus tard. Elle s’inspire autant des bréviaires du Moyen-Âge, « Le Bestiaire » qui forme le livre I de cet album, que des « Métamorphoses » – livre II -, « l’Odyssée » de Homère – livre III – ou de « l’Exode » de l’Ancien Testament pour forger des images de notre monde, un monde bestial, en train de subir des métamorphoses, qui refuse toutes les odyssées – y compris celle d’« Ulysse » de James Joyce – même s’il vit au rythme des exodes successifs. Continuer la lecture

La saga du siècle, du jazz et de Louis Armstrong, volume 15


Les incidences d’une grève.

Pour mémoire : Louis Armstrong est né le 4 août 1901, quasiment avec le siècle. Il incarne le jazz dont il fut le génie tutélaire. Daniel Nevers s’est lancé dans cette grande aventure de l’intégrale qui ne peut être exhaustive. Il n’est pas vraiment possible, ni intéressant de reprendre tous les enregistrements publics des groupes, Big Bands conduits par le trompettiste, génie incandescent puis grande vedette du show biz. La carrière de Sidney Bechet, soit dit en passant, suivra la même trajectoire. Tel que, les 15 volumes parus à ce jour permettent à la fois de suivre les évolutions de sa musique, de revenir sur la chronologie du 20e siècle et d’apercevoir les changements sociaux et sociétaux des États-Unis. Louis Armstrong a façonné les références culturelles de la première moitié du siècle dernier et laissé sa marque sur toutes les musiques dites de variété.
L’après seconde guerre mondiale le verra accéder au rang de star, traînant sa gouaille et sa voix, un peu moins la trompette – mais ce n’est pas le cas en cette année 1948 – sur toutes les scènes du monde, utilisé par le Département d’État américain comme ambassadeur. Au début des années 1960, Dizzy Gillespie sera lui aussi un « ambassadeur » de la diplomatie américaine. Une manière de se payer, de nouveau, un grand orchestre.
L’année 1948 avait commencé, avec le volume 14. Satchmo, comme tout le monde l’appelle et comme il se présente « Louis, Satchmo Armstrong » en oubliant Daniel son deuxième prénom – s’était tourné vers les petites formations. L’ère des Big Band tiraient à sa fin. Il fallait trouver un autre format. Le volume 14 montrait les premiers pas de la formule présentée notamment au festival international de jazz de Nice sous l’égide de Hughes Panassié. En juin 1948, pour des émissions de radio à Chicago et à Philadelphie, le « All-Stars » – le nom est adopté après des hésitations comme le raconte Daniel Nevers dans le livret – se met en place. Continuer la lecture

Un intitulé étrange, « Jazz From Carnegie Hall »

Un concert exceptionnel

Le Carnegie Hall, sis à New York City, est des hauts lieux des concerts d’abord classiques, symphoniques même si des vedettes de la chanson française comme Charles Aznavour s’y sont produites. Il avait ouvert ses portes, entrouvert serait plus juste au jazz dés 1932 pour accueillir Benny Goodman et son orchestre en 1937 et les concerts organisés par John Hammond en décembre 1938 et 1939, « From Spiritual To Swing ». Une histoire qui aurait pu être d’amour mais il n’en fut rien, du moins en cette fin des années cinquante.

Kenny Clarke au premier plan

Pourquoi, en tenant compte de cette mémoire, appeler une série de concerts et de tournées qui prenaient exemple sur les « Jazz At The Philharmonic » – JATP pour les intimes – « Jazz From Carnegie Hall » ? Une idée du britannique Harold Davison confondant volontairement tous les philharmoniques pour bénéficier de la renommée du lieu. Le titre n’a sans doute pas plus d’importance qu’anecdotique mais il est révélateur des méconnaissances de l’époque de la vie aux Etats-Unis. Il faudrait faire une étude des relations du jazz et des salles de concert exception faite de ces JATP voulus par Norman Granz pour faire reconnaître le jazz, les musicien-ne-s et casser les codes des frontières entres les branches de la musique et lutter contre le racisme. Continuer la lecture

En attendant « Le souffle de la révolte », des compléments

La préhistoire du jazz.

L’Histoire commencerait avec l’écriture, dit-on. Il est donc des peuples sans Histoire, des peuples cachés, heureux. Les ethnologues combattent cette idée en insistant sur l’oralité.
Curieusement, le jazz ne sait pas quoi répondre concernant son histoire qui s’inscrit dans l’Histoire. il ne se refuse ni à l’écrit, la partition, ni à l’oralité qui forge le propre de son originalité. Mémoire orale, il s’apprend par l’écoute. Répétons que c’est la raison pour laquelle l’enregistrement est essentiel. Continuer la lecture