Compléments au « souffle de la révolte »

Bonjour,

Le livre, « Le souffle de la révolte », sort des presses, c’est confirmé, fin juillet et pourra être commandé dés début août dans toutes les librairies ou directement chez l’éditeur C&F éditions, sur le site.
Avec le livre un CD pour avoir une idée de cette musique sans nom – le jazz – est train de se construire. James Europe et son orchestre comme l’ODJB – Original Dixieland Jass (sic) Band pour celles et ceux qui l’ignoreraient encore – ou, Louis Armstrong bien évidemment ou Bix Beiderbecke…
Un CD n’est évidemment pas suffisant.
Ci-dessus vous trouverez quelques références supplémentaires pour construire votre propre CD :

CD (2),
l’indication (2) provient du fait que, au départ, nous avions l’intention – l’éditeur et moi – de mettre deux Cd ou une clé USB mais le prix à payer était trop élevé et le prix du livre s’en serait ressenti.
Vous trouverez quelques indications supplémentaires sur les compléments qui ont précédés la parution du livre.
Vous trouverez ci-après les références les plus complètes possibles pour vous y retrouver. La plupart des listes – c’est la mode, cf. le dernier Jazz Mag daté de août 2018 – font l’impasse sur cette période. C’est dommage pour l’histoire de cette musique dont la construction s’effectue aussi dans sa « préhistoire » qui pour nom souvent le ragtime mais aussi les Minstrels. Ces prolégomènes anarchiques partant de tout côté non codifié sont des moments de sauvagerie créative. Une partie a certes vieilli – à cause aussi des procédés d’enregistrements mal « formatés » pour nos oreilles – alors qu’une autre surnage. Préhistoire et histoire s’inscrivent dans la mémoire du jazz. Bien souvent les « standards d’aujourd’hui viennent de là, de ce temps des comédies musicales à Broadway, du cinéma parlant pour les années 30, ces années de profonde dépression économique.
Je vous propose, dans ces compléments, un « work in progress » pour parler anglais permettant de faire vivre cette musique, le livre et notre mémoire.
Nicolas.

1.Pour ce deuxième CD, il fallait bien faire entendre celle que Sartre avait portée aux nues : Sophie Tucker. Le premier enregistrement de « Some Of These Days » date dans années 1910-1911. Donc, comme le dit Sartre dans « La Nausée », on pouvait entendre ce thème sifflé par des soldats pendant la Première guerre mondiale. Le premier enregistrement répertorié – à ma connaissance – date de 1911. Et comble du comble, il est disponible en CD.
La version entendue par Roquentin, selon toute vraisemblance, est celle enregistrée en 1927 avec l’orchestre de Ted Lewis.

« Some of these days » (Brooks), Sophie Tucker with Ted Lewis Orchestra, 1927

Frémeaux et associés a consacré un double album à Joséphine

2. En 1925, pour « La Revue Nègre », on a écrit que Joséphine Baker était « accompagnée » par Claude Hopkins, alors que c’est Joséphine qui a été engagée par l’agent de l’orchestre.
En guise de pied de nez, Claude Hopkins & his Cotton club orchestra avait enregistré le 18 octobre 1935, les thèmes de la comédie musicale alors en vogue « Singin’ in the rain », composée par Arthur Freed et Nacio Brown, thème qui servira de titre à la comédie musicale de 1952, « Singin’ in the rain », avec Gene Kelly qui raconte les premiers temps du cinéma parlant. Un film signé Stanley Donen et Gene Kelly.
Un orchestre reconnu : Ovie Alstom, Albert Snaer, Sylvester Lewis (tp) ; Fred Norman, Fernando Arbello (tb) ; Hilton Jefferson, Gene Johnson (as) ; Edmond Hall (cl, bar), Bobby Sands (ts) ; Claude Hopkins (p, arr.), Walter Jones (g), Henry Turner (b)Pete Jacobs (dr)

« Singin’ in the rain » (Freed – Brown), Claude Hopkins and his Orchestra, 18 octobre 1935

3. A Paris, le 29 avril 1930, Gregor et ses Grégoriens enregistraient cette même composition, en français : « Je chante sous la pluie » chantée par Gregor lui-même. La chanson fait partie d’un film musical de 1929, « Hollywood Revue of 1929 ».
Gaston Lapeyronnie, André Picot (tp) ; Guy Paquinet, Léo Vauchant (vraisemblable) (tb) ; Roger Fisbach, Coco Kiehn, Charles Lisée (cl, s) ; Raymond van der Notte (tuba) ; Stéphane Grappelli, Sylvio Schmidt et inconnu (violons) ; Lucien Moraweck (p et arrangement), Edmond Massé (g) Raymond Allan (dr)

« Je chante sous la pluie », Gregor est ses Grégoriens, 29 avril 1930

Note : la plupart des ces musiciens prendront leur place dans le « Making of Jazz » en France.

4. Bennie Moten et le son de Kansas City. Un des thèmes composé par les frères Moten, Bennie & Buster, « Moten Swing » est devenu un standard du jazz. La première version a été enregistrée à Camden où se trouvent les studios de RCA Victor le 13 décembre 1932.
« Hot Lips » Page, , Joe Keyes, Dee Stewart (tp) ; Dan Minor, Eddie Durham (tb) ; Eddie Barefield (cl, as), Jack Washington (as, bar), Ben Webster (ts) ; Count Basie (p), Leroy Berry (g), Walter page (b), Willie McWashington (dr).

« Moten Swing » (Moten – Moten), Bennie Moten and his Orchestra, 13 décembre 1932.

5. Un autre orchestre de Kansas City commence à franchir aussi le mur du son, Andy Kirk and his Twelve Clouds of Joy dans lequel brille de tous ses feux de joie et d’artifices la pianiste, compositeure et arrangeure, Mary Lou Williams, née Scruggs en 1910 (date contestée mais acceptée grosso modo par sa biographe Linda Dahl, non traduit).
Le 30 avril 1930, à Chicago, enregistrement de « Mary’s Idea », sous le label Brunswick, composition et arrangement de Mary Lou. Benny Goodman l’enregistra un peu plus tard.
La version de référence de l’orchestre de Kirk date de 1938, c’est celle là que l’on, trouve dans toute les compilations.
Mis à part Andy Kirk, chef d’orchestre et bassiste, ici une basse à vent et Mary Lou (p, arr et compo), Edgar Battle, Harvey Lawson (tp) ; Allen Durham (tb) ; John Harrington (cl, as), John Williams (as, bar) – l’époux de la dame à l’époque -, Slim Freeman (ts) ; Claude Williams (violon) ; William Dirvin (bjo, g), Edward McNeil (dr).

« Mary’s Idea » (Mary-Lou Williams), Andy Kirk and his Twelve Clouds of Joy, 30 avril 1930

6. Blanche Calloway, sœur aînée de Cab, s’est battue contre sa famille pour permettre au cadet de devenir chanteur, amuseur et chef d’orchestre. Elle lui a appris l’essentiel et il a fait carrière. Les femmes sont trop souvent les grandes oubliées. Il faut donc écouter Blanche qui, comme beaucoup d’autres, s’est fait voler par ses époux et conseillers.
Le 27 août 1934, elle enregistre à Chicago pour Banner, sous le nom de « Blanche Calloway and her Joy Boys », un nom qui provient du fait que ses premiers enregistrements ont été réalisés avec l’orchestre de Andy Kirk et le concours de Mary Lou Williams. Il reste quelque chose des 12 nuages de joie.
Henry Mason, Arche Johnson, Clarence Smith (tp) ; Alton Moore, Vic Dickenson (tb) ; Ernest Purce, Roger Boyd (as), Charlie Frazier (ts) ; Egbert Victor (p), Earl Baker (g), Abbie Baker (sb, soubasophone), Walter Conyers (dr). Blanche, vocal, cheffe d’orchestre.

« Growlin’ Dan » (Calloway – Hart), Blanche Calloway and her Joy Boys, 27 août 1934

7. Cab Calloway aidé par sa sœur engage un orchestre déjà constitué et qui a déjà enregistré, « The Missourians ». Le succès est au rendez-vous. « Minnie the Moocher », sera sa chanson fétiche, une histoire qu’il racontera dés 1931.
Ce thème, « Zaz, Zuh, Zaz » deviendra célèbre en France pour ses onomatopées, enregistré le 2 novembre 1933 à New York pour Victor.
Cab Calloway and his Cotton Club Orchestra :
Edwin Swayzee, Lamar Wright, Doc Cheatham (tp) ; De Priest Wheeler, Harry White (tb) ; Eddie Barefield (cl, as, bar), Arville Harris (cl, as), Andrew Brown (bcl, as, bar), Walter Thomas (cl, ts), Benny Payne (p), Morris White (bjo, g), Al Morgan (sb), Leroy Maxey (dr)

« Zaz, Zuh, Zaz » (Cab Calloway), Cab Calloway and his Cotton Club Orchestra, 2 novembre 1933

8. Don Redman, arrangeur, saxophoniste alto pour Fletcher Henderson, a participé aux McKinney Cotton Pickers comme directeur musical, et avait monté son orchestre au début des années 30. Il jetait les bases d’une curieuse manière de s’approprier les paroles, proche du slam, mi-parlée mi-chantée, comme un griot harlémite raconteur d’histoires.

« Shakin’ the African » (Don Redman), Don Redman and his Orchestra, pour Brunswick, le 15 octobre 1931 à New York.

Don Redman and his Orchestra, très proche de la sonorité des McKinney Cotton Pickers, et pour cause, les musiciens sont, à quelques exceptions prés, les mêmes : Leonard Davis, Langston Curl, Henry Allen (tp) ; Claude Jones, Fred Robinson, Benny Morton (tb) ; Don Redman (as, vcl), Ed Inge, Rupert Cole (cl, as), Robert Carroll (ts) ; Horace Henderson (p), Talcott Reeves (bjo/g), Bob Ysaguire (b), Manzie Johnson (dr)

Note : McKinney, le chez d’orchestre ne manque pas d’ironie pour appeler son orchestre les cueilleurs de coton…

9. Jimmy Lunceford conduit un orchestre qui bat des records de popularité et sera aussi engagé au Cotton Club. Un rythme fait pour les danseurs portés par la musique. Aujourd’hui encore, l’orchestre fait cet effet. Philippe Baudoin, dans les notes qui accompagnent le volume 2 de la « Complete édition » que le label Masters of Jazz a dédié à Lunceford, commente : « L’orchestre – grâce surtout aux arrangements de Sy Oliver – exploita si parfaitement un tempo intermédiaire entre le medium et le lent que l’on n’hésita pas à le qualifier de « tempo Lunceford ».
Jacques Lubin, responsable de cette édition, à propos de « Rhythm is our Business » enregistré à New York le 18 décembre 1934 pour Decca nous fait partager le credo de l’orchestre, le rythme c’est notre affaire.
Edwin Wilcox, le pianiste est l’arrangeur du morceau, Willie Smith, saxophoniste alto et chanteur présente quelques membres de l’orchestre : le batteur Jimmy Crawford – « Crawfie’s on them drums » dit Smith -, Joe Thomas, le saxophoniste ténor, Moses Allen bassiste et le trompettiste Tommy Stevenson – « Steve blows on the trumpet » dit encore Willie Smith.
Le premier solo de trompette est pris par « Sy » – pour psychologist – Oliver.
La composition est signé Lunceford, Samuel Cahn et Samuel Chaplin. Cahn et Chaplin – sans rapport avec Charlot – sont deux célèbres compositeurs de comédies musicales.
Le reste de l’orchestre qui bénéficie d’une remarquable stabilité – ceci explique cela – Eddie Tompkins (tp), Henry Wells, Russell Bowles (tb), LaForest Dent (as, cl), Earl Carruthers (cl, bar), Al Norris (g).

« Rhythm is our Business » (Lunceford – Cahn – Chaplin), Jimmy Lunceford and his Orchestra, 18 décembre 1934

10. Jimmy Lunceford vers la fin de sa période faste qu’on datera de la fin de 1939 avec le départ de Melvin « Sy » Oliver, engagé par Tommy Dorsey.
« Ain’t she Sweet » composé par M. Ager et J. Yellen, est, en 1927, un charleston interprété notamment par « The Dixie Stompers » – Joe Smith, Tommy Ladnier (tp) ; Benny Morton (tb) ; Buster Bailey, Don Redman (cl, as), Coleman Hawkins (cl, ts) ; Fletcher Henderson (p, arr), Charlie Dixon (b), Kaiser Marshall (dr) soit l’orchestre de Fletcher à cette époque.
« Sy » Oliver fait un arrangement qui met en valeur « Trummy » Young – aussi tromboniste de l’orchestre – accompagné par le trio vocal que « Sy » forme avec Willie Smith et Eddie Tompkins.

« Ain’t she Sweet » (M. Ager – J. Yellen), Jimmy Lunceford and his Orchestra, 1939

11 Benny Goodman ne démérite en rien. Il sait, pour son orchestre trouver le tempo idéal. En plus, il a engagé comme arrangeur Fletcher Henderson. Le 1er juillet 1935, alors que le succès ne l’a pas encore touché de sa baguette magique, il enregistre, pour Victor, ce « King Porter Stomp ». D’autre versions suivront mais celle-là semble bien être la première.Le trompettiste qui ouvre le bal, « Bunny » Berigan qui est aussi « lead trumpet », celui qui conduit la section des trompettes, futur chef d’orchestre. Helen Oakley, une des plus importantes écrivaines de jazz et militante dans les années 1930 – suivant Loren Schoenberg, un des auteurs du livret qui accompagne le livret de la réédition en un coffret de 3 CD, BMG, 1991, l’autre George T. Simon – ne tarit pas d’éloges sur Berigan, à juste raison, dans les premières livraisons de la revue de jazz américaine « DownBeat ». Il faut souligner, comme le montre le livret, que Benny a réussi à conserver les mêmes musiciens.
Bunny Berigan, Pee Wee Ervin, Ralph Muzillo (tp), Red Ballard, Jack Lacey (tb) ; Benny Goodman (cl), Toots Mondello, Hymie Schertzer (as), Art Rollini, Dick Clark (ts) ; Frank Froeba (p), George Van Eps (g), Harry Goodman (b) Gene Krupa (dr).
Krupa est l’un des grands batteurs de ce temps. La synergie qu’il entretient avec le clarinettiste chef d’orchestre galvanise tout l’orchestre. Lui aussi deviendra chef d’orchestre.

« King Porter Stomp ».(Jelly Roll Morton), Benny Goodman and his Orchestra, 1er juillet 1935

12 Un concerto pour guitare électrique et orchestre, Charlie Christian et l’orchestre de Benny Goodman, le 4 mars 1941, New York, pour Columbia, « Solo Flight ».
Alec Fila, Jimmy Maxwell, Irving Goodman, « Cootie » Williams (tp) ; Lou McGarity, Cutty Cutshall (tb) ; Benny Goodman (cl), Skippy Martin, Gus Bivana (as), Georgie Auld, Pete Mondello (ts), Bob Snyder (bar) ; Johnny Guarnieri (p), Artie Bernstein, Dave Tough (dr).

« Solo Flight » (Goodman- Christian), Benny Goodman and his Orchestra, 4 mars 1941

13. L’orchestre de Chick Webb avait installé ses quartiers au « Savoy », un « Ballroom » très fréquenté. Tous ces orchestres se livraient des « Cutting Contest » et Chick Webb les remportaient plus qu’à son tour. Il a mis du temps à adopter la cymbale charleston dont il ne voyaut pas l’utilité. Un grand batteur qui a influencé jusqu’à Art Blakey. .
Sur « Stompin’ at the Savoy » – une composition collective signée Edgar Sampson (aussi l’arrangeur), Benny Goodman, Andy Razaf (sans doute pour les paroles), Chick Webb -, on entend sa manière de conduire l’orchestre.
Mario Bauza, Reunald Jones, Taft Jordan (tp) ; Sandy Williams (tb) ; Pete Clark (as, cl), Edgar Sampson (as, arr), Elmer « Skippy » Williams (cl, st) ; Joe Steele (p), John Truehart (bjo, g), John Kirby (b), Chick Webb (dr). New York, 18 mai 1934
Solos de Mario Bauza et Reunald Jones pour les trompettes, Elmer Williams pour les « Reeds » comme on dit dans le langage du jazz, pour les anches.

« Stompin’ at the Savoy », Chick Webb and his Orchestra, 18 mai 1934

14. « Liza », une composition des frères Gershwin et de Gus Kahn, un des grands succès de l’orchestre de Chick Webb et un chef d’œuvre, bénéficie d’un arrangement signé Benny Carter et s’ouvre par un violent solo de batterie. New York, le 3 mai 1938 pour Decca.
Mario Bauza, Taft Jordan, Bobby Stark (tp) ; Sandy Williams, Nat Story, George Matthews (tb) ; Garvin Bushell (cl, as), Teddy McRae (s), Wayman Carver (ts, fl) ; Tommy Fulford (p), Bobby Johnson (g), Beverly Peer (b), Chick Webb (dr)
Pour la petite histoire, Wayman Carver avait gravé le premier solo de flûte, sur « Sweet Sue, Just You », avec le « Negro Orchestra » monté par le Britannique Spike Hughes qui avait bénéficié des arrangements de Benny Carter notamment. Une curiosité dans le jazz qui en compte de multiples.

« Liza », (Gershwin – Gershwin – Kahn), Chick Webb and his Orchestra, 3 mai 1838

15. Je ne voudrai pas donner l’impression d’oublier Ella Fitzgerald. Mais, à cette époque – jusque la fin des années 1930 – elle n’est pas la grande vocaliste qui renversera tous les publics. Elle est la « chanteuse de l’orchestre ».
Je vous propose un extrait qui date de la fin de l’orchestre et d’une chanteuse qui essaie de trouver sa spécificité.
« Undecided » – un thème qui lui va comme un gant. Elle est tellement dans l’indécision qu’elle reprendra la direction de l’orchestre à la mort de Chick Webb alors quelle n’est pas faite pour ce rôle.
New York, 17 février 1939 toujours pour Decca.
Dick Vance, Bobby Stark, Taft Jordan (tp) ; Sandy Williams, Nat Story, George Matthews (tb) ; Wayman Carver, Hilton Jefferson, Garvin Bushell, Teddy McRae (reeds), Tommy Fulford (p), Bobby Johnson (g), Beverly Peer (b), Chick Webb (dr)

« Undecided » (C. Shavers) Ella Fitzgerald and her Orchestra, 17 février 1939

16. Bunny Berigan (tp) obtiendra un succès pour un arrangement sur « I can’t get started », composé par Vernon Duke et Ira Gershwin (pour les « lyrics »). Des paroles totalement inscrites dans l’atmosphère de la crise dite « de 1929 », avec des allusions au crash des marchés financiers en octobre de cette année 1929 et le conflit en Espagne. La chanson a été introduite à Broadway par Bob Hope. Un thème très populaire dans ces années 1930. Dans cette liste des chansons les plus connues figure « These Foolish Things » qui développe des changements d’accord similaires
La progression d’accords qui ouvre le thème sera, plus tard, reprise par le Rhythm and Blues et les débuts du rock.
Curieusement, c’est la version de Berigan qui, en 1937, s’inscrira dans les « charts » et celle de Billie Holiday, avec Lester Young, dans le cœur des passionné-e-s du jazz.
« Dizzy » Gillespie, pour un de ses premiers enregistrements, le reprendra début 1945, incluant dans son arrangement un passage de « Round About Midnight. En 1946, Lennie Tristano, pianiste, compositeur, arrangeur, éducateur, pour son premier disque sous son nom offre une sublime interprétation du thème que Gunther Schuller hissera au même range que le « West End Blues » de Louis Armstrong. Peu d’années après, Paul Bley lui aussi, pour ses premiers pas en leader, s’attaquera à ce même standard. (Pour toutes ces informations, Ted Gioia « The jazz Standard », opus cité, pp 156-158).
ProArte, un label canadien, propose deux versions de « I can’t get started », celle connue du 7 août 1937 – que je vous propose -, enregistré pour Victor et une autre datée du 13 avril 1936 uniquement pour la radio et qui n’a jamais été éditée en 78 tours. Il est en compagnie de Artie Shaw (cl), Jack Teagarden (tb), Joe Bushkin (p) et Eddie Condon (g). Les collectionneurs prétendent – c’est logique pour valoriser leur acquisition – que c’est la meilleure. Pour nous, dans le cadre de la problématique de ce livre, il est plus intéressant de connaître ce qui est écouté.
Quelques mots de bio, « Bunny » est né Rowland Bernard Berigan, le 2 novembre 1908 à Hilbert, dans le Wisconsin. Famille de musicien. Comme tout le ponde, il commence par des études de violon et, en 1927, son grand-père chef d’orchestre lui fait découvrir la trompette. Avant d’avoir 20 ans, Bunny joue dans des orchestres locaux avant de trouver un engagement dans l’orchestre de Hal Kemp en 1930. Avec cet orchestre, Bunny visite la Grande-Bretagne et l’Europe cette année là. Il est donc plus connu en Angleterre qu’aux Etats-Unis. Une des raisons, peut-être, de sa sous estimation par la critique américaine qui le considère comme un « produit de la swing Era ». Le succès de « I can’t get started » a participé de ce dénigrement dont il a été la victime.
Il participera aussi aux orchestres de Paul Whiteman, Benny Goodman (voir ci-dessus) et Tommy Dorsey mais jamais trop longtemps.
En 1935, il gagne la reconnaissance du public par l’intermédiaire de l’émission de radio « Saturday Night Swing Session. Cette même année, il enregistre sous son nom, « Bunny Berigan and his Blue Boys », en décembre.
En 1937, Tommy Dorsey – qui n’a pas que de mauvais côtés – l’aide à monter son Big Band. En dépit du succès de « I can’t get started », l’orchestre aura une courte vie. Non seulement, Bunny n’est pas un homme d’affaires mais, en plus, l’alcool aidant, l’orchestre rassemble des chevaux fous à commencer par le leader. L’orchestre, curieusement, est apprécié à Harlem pour son swing particulier. Après la faillite de son orchestre, il retourne chez Dorsey. Il fera une ultime tentative en 1942, il meurt d’un mélange de pneumonie et de cirrhose le 2 juin. Il avait 33 ans. (Informations provenant à la fois des notes de pochette du CD ProArte, « Bunny Berigan. I can’t get started » et du CD ASV/Living Era, « Portrait of Bunny Berigan ».
« I can’t get started » du 7 août 1937, Bunny Berigan and his Orchestra : Bunny (tp, vcl, leader), Irving Goodman, Steve Lipkins (tp) ; Al George, Sonny Lee (tb) ; Mike Doty, Joe Dixon (as, cl), Clyde Rounds, Georgie Auld (ts) ; Joe Lippman (p), Tom Morgan (g), Hank Wayland (b), George Wettling (dr)

« I can’t get started » (Vernon Duke), Bunny Berigan and his Orchestra, 7 août 1937

17. Teddy Wilson, pianiste, spécialiste des accords de 10e, a engagé Billie Holiday et a été engagé par Billie pour des enregistrements restés dans toutes nos annales. Le 5 septembre 1937, il constitue un quartet avec « Red » Norvo au xylophone, lui aussi chef d’orchestre avec comme grande vocaliste, son épouse de « sang mêlé », Mildred Bailey – ils sont tous les deux passés par l’orchestre de Paul Whiteman – et John Simmons à la basse.
« Just a mood », composition de Teddy – qui, rappelons-le, participe aux trios et quartets de Benny Goodman. Harry James, le trompettiste vedette de l’orchestre de Benny Goodman – qui deviendra chef d’orchestre à son tour et le premier employeur de Frank Sinatra – fait office de quatrième larron et réalise un de ses plus beaux solos enregistrés.
Les deux faces de 78 tours ont été nécessaire pour contenir cette improvisation sur le blues de 12 mesures.

« Just a mood » (Teddy Wilson), Teddy Wilson quartet, 5 septembre 1937

18. A partir de cette année 1937, le label Victor donne carte blanche à Lionel Hampton qui s’en donne à cœur joie et se permettra même de chanter. Surtout, il invite la plupart des saxophonistes ténors qui marquent le temps, à l’exception – on ne sait pour quelles raisons – de Lester Young.
Le 5 avril 1939, pour « Shufflin’ in Hollywood », Leon « Chu » Berry est la vedette en compagnie de Lionel au vibraphone, Clyde Hart (p), Alan Reuss (g), Milt Hinton (b), « Cozy » Cole (dr).

« Shufflin’ in Hollywood » (L. Hampton – A. Reuss), Lionel Hampton and his Orchestra, 5 avril 1939

19. Earl Hines, « Fatha », a constitué son orchestre et se produit au Grand Terrace Ballroom à Chicago, sous l’égide de Al Capone. Il y reste 8 ans jusqu’à sa fermeture le 24 janvier 1937. Année étrange qui voit se succéder les chefs d’œuvre, la mort de Bessie Smith, de Robert Johnson – le fédérateur du Blues – et de George Gershwin, l’arrivé à New York de l’orchestre de Andy Kirk, avec Mary-Lou Williams et l’apparition de Louis Armstrong dans un film de Raoul Walsh, « Artists and Models ». A Paris, le Moulin Rouge accueille la revue du Cotton Club, naissance des disques « Swing », l’exposition universelle et Django…
Le 7 mars 1938, Earl Hines enregistre pour Vocalion ce « Tippin’ at the Terrace », Freddie Webster, George Dixon (tp), Ray Nance (tp, violon, vocal) – il rejoindra deux ans plus tard le Duke (Ellington) – ; Louis Taylor, Kenneth Stuart, Joe McLewis (tb) ; Leroy Harris (cl, as), Budd Johnson, William Randall, Leon Washington, (cl, ts) ; Claude Roberts(g), Quinn Wilson (sb), Oliver Coleman (dr), Jimmy Mundy est l’arrangeur.
Budd Johnson est l’un des saxophonistes ténor qui comptent.

« Tippin’ at the Terrace » (E. Hines), Earl Hines and his Orchestra, 7 mars 1938

20. Le Boogie Woogie dont les premières manifestations enregistrées dateraient de 1927-28 à Chicago. Pinetop Smith est désigné comme le précurseur. Pourtant son « Pinetop’s Boogie Woogie » est daté du 29 décembre 1928 alors que Meade « Lux » Lewis a (mal) enregistré son « Honky Train Blues » en 1927. Peu importe, le boogie s’impose comme le rythme de ces années 30, des années d’errance.
Je vous propose une version plus tardive, mieux enregistrée, du « Honky Train Blues », Meade « Lux » Lewis, réalisée à Chicago, le 7 mars 1937 pour le label Victor.
Il n’est pas possible de faire entendre tous ces pianistes. Albert Ammons, Jimmy Yancey, Pete Johnson font partie des plus connus. Ils ont été invités par John Hammond aux « From Spiritual to Swing » et leur « Cavalcade of Boogie » qui réunit Albert, Meade et Pete est enthousiasmant.

« Honky Train Blues », (Meade Lux Lewis), Meade Lux Lewis, 7 mars 1937

21. Sidney Bechet vit une période sombre lorsqu’il revient aux Etats-Unis à la fin de l’année 1929 après avoir purgé une peine relativement légère dans les prisons françaises – il a blessé deux personnes – due sans doute à l’impossibilité de déterminé qui a tiré, qui, des deux protagonistes, a blessé les passantes. Il a passé 9 ou 11 mois en prison suivant les sources. Aux Etats-Unis peu de gens se souviennent de lui. Seul Noble Sissle l’engage en 1930-31. Il reconstitue en 1932-33 les « New Orleans Feetwarmers » avec Tommy Ladnier à la trompette. Fin 1937, il sera redécouvert dans la vague qui commence du Revival. Une fois encore, c’est Noble Sissle qui l’engagera de nouveau avant que Sidney ne rejoigne la cohorte des Anciens dont Bunk Johnson.
Il faut rappeler que Sidney commence à enregistrer dés 1923 – pour « Wild Cat Blues », avec Clarence Williams – et qu’il a participé aux groupes de Jelly Roll Morton. Très tôt reconnu par ses pairs et par Ansermet comme un clarinettiste soliste de première importance. Lorsqu’il adopte le saxophone soprano, après un premier essai infructueux à Londres, il devient leader quelle que soit le contexte. Dans l’orchestre de Noble Sissle au début des années 30. L’histoire qui se raconte, et pas du tout invraisemblable, se passe un soir dans un club où Sidney arrive en retard. Un brouhaha terrifiant. Noble Sissle ne sait plus quoi faire pour réduire au silence cette meute aboyante. Sidney embouche son saxophone soprano et dit : « Tu vas voir » et se lance dans un solo d’une force, d’une vitalité qui laisse la meute la langue pendante et le silence s’installe pour écouter ce phénomène.
« Dear Old Southland », Noble Sissle and his orchestra featuring Sidney Bechet – il est ici mis en vedette, New York le 14 avril 1937, pour Columbia.
Wendell Culley, Demas Dean, Clarence Brereton (tp) ; Chester Burrill, George Matthews (tb) ; Sidney Bechet (cl, ss), José Madera, Jerome Pasquall (cl, as), James Tolliver (ts, arr), Gil White (ts) ; Erskine Butterfield (p), Jimmy Miller (g), Jimmy Jones (b), Wilbert Kirk (dr) ; Billy Banks, vocal.

« Dear Old Southland » (Henry Creamer – Layton Turner), Noble Sissle and his Orchestra 14 avril 1937

22. Cette année 1937 ne serait pas complète sans le quintet du Hot Club de

Cette photo étrange de Django a servi de pochette aux disques Vogue pour leur 10e anniversaire

France et ce « Minor Swing » qui reste dans toutes les oreilles une fois entendu. Une composition de Django. Stéphane Grappelli au violon, Joseph Reinhardt, Eugène Vées (g), Louis Vola (b), Paris le 25 novembre.

« Minor Swing » (Django Reinhardt – Stéphane Grappelli), Quintet du Hot Club de France, 1937

23. « Fats » Waller est au zénith de sa popularité avec son combo en cette même année 1937. Une grande partie de son répertoire tient dans la reprise colorée par son ironie des grands succès de Broadway. Justement, ce 14 avril 1937, c’est la première de la comédie musicale « Babe in Arms » de Rodgers & Hart. « My Funny Valentine » Where or When », « The Lady is a Tramp » viennent de là mais seront utilisés comme matériaux après le seconde guerre mondiale.
L’autre partie du répertoire de Fats est constituée de scènes de la vie quotidienne de Harlem. Des chansons qu’il écrit en compagnie d’Andy Razaf. C’est le cas le 7 octobre, pour Victor, « Fats Waller and his Rhythm » grave « The Joint is Jumpin’ ». Une histoire de loyer à payer. Pour avoir l’argent nécessaire, les locataires invitent à une « Party ». Les voisins se plaignent et les flics arrivent et fats de terminer sur ce « Ne donnez pas votre vrai nom »…
Herman Autrey (tp), Gene Sedric (cl, st), Fats Waller (p, vcl), Al Casey (g), Charles Turner (b), Slick Jones (dr)

 The Joint is Jumpin’ » (Waller – Razaf), Fats Waller and his Rhythm, 7 octobre 1937

24 A la fin des années 1920, Bluebird a voulu lancer un trompettiste pour combattre l’aura de Louis Armstrong. Or, Jabbo Smith – c’est son nom – s’inspire de Louis. Il aura une carrière en dents de scie. Oublié après un succès relatif en 1929, il est redécouvert dans les années 60 et fera même une tournée en France. Un CD reprend quelques-uns des enregistrements de cette période, le titre est tout un programme, « Hidden Treasure », trésor caché, qui date de juin 1961.
Ses débuts, le 27 mars 1928, il fait partie des Louisiana Sugar Babes dirigé par le pianiste et compositeur James P. Johnson. A leur côté, « Fats » Waller à l’orgue, un élève de James P., Garvin Bushell (reeds), Camden, Victor. Jabbo joue du cornet sur ce « Thou Swell » que Stan Getz reprendra en 1951 .
Il est très présent dans l’année 1929. Un CD, Retrieval/Challenge, édité en 2006, propose « 1929 – The Complete set », « Jabbo Smith & his Rhythm Aces ».

« Thou Swell » (Richard Rodgers), Louisiana Sugar Babes, 27 mars 1928

25. Pour finir, et « boucler » la séquence 1929/1943,un extrait de la musique entendue dans le film « Stormy Weather » (1943), « Moppin’ & Boppin’ », une composition collective signée Fats Waller, Benny Carter, Ed Kirkeby.
Benny Carter surnommé « The King », est ici à la trompette et non pas, comme à son habitude au saxophone alto, Alton « Slim » Moore (tb), Gene Porter (cl, ts), Thomas « Fats » Waller (p), Irving Ashby (g), « Slam » Stewart contrebassiste jouant à l’archet et chantonnant un octave au-dessus, connu pour ses duos avec le guitariste Slim Gaillard, sous le nom de « Slim & Slam », des numéros burlesques qui cachent le travail de mise en place, et « Zutty » Singleton qui donne une leçon de batterie d’avant l’invention de la cymbale charleston.

« Moppin’ & Boppin’ », (Fats Waller, Benny Carter, Ed Kirkeby), Fats Waller and his friends, 1942 vraisemblablement

Arrivée au terme de ces 50 extraits, il me reste des regrets. Je ne vous pas fait entendre ni Ray Ventura, ni Charles Trenet pour la France, ni de ces musicien-ne-s qui ont participé aux fondations du jazz à commencer par Lovie Austin et « Red » Nichols ou les batteurs…
Ce sera pour la suite des compléments…