Mémoire de 1999 (suite)

Le Duke, centième ! Action !

Edward Kennedy Ellington dit le Duke pour ses habits bien coupés aurait eu 100 ans le 29 avril. Il a été fêté aux États-Unis. C’est une reconnaissance. DownBeat, la première revue de jazz américaine lui a consacré sa couverture. C’est logique. Il avait construit un univers prenant place dans cette mosaïque appelée jazz. Le mystère Ellington demeure 25 ans après sa mort, en 1974 donc. Il avait réussi à marier des sons pour rendre des couleurs inédites et qui le sont restées. Wynton Marsalis, à la tête de l’orchestre du Lincoln Jazz Center – les albums sont disponibles chez Columbia, distribué par Sony Music – a beau multiplier les hommages et à jouer les partitions comme le Duke – et Billy Strayhorn son alter ego, qu’il ne faut jamais oublier – les avait écrites, il y manque ce quelque chose, ce je-ne-sais-quoi – pour citer Jankélévitch – qui fait l’essentiel. Boris Vian en était un des visiteurs de ce monde merveilleux. Dans « l’Écume des Jours », Chloé – le personnage – provient directement de l’univers ellingtonien et des grandes compositions des années 40. Ces jours de juin se fêtera le 40éme anniversaire de sa mort. Fayard en profit pour rééditer/éditer ses œuvres complètes. Trois volumes parus à ce jour, dont Les chroniques de jazz…
Pour s’en rendre compte, écouter Ellington est une nécessité. Qui n’est pas réservée aux seuls amateurs de jazz. Pas besoin d’être un « pur » pour goûter la cuisine ellingtonnienne. Il faut être juste un gourmet. Pour entendre les voix de ce 20éme siècle. Les « hommes d’Ellington » – peu de femmes, sauf les chanteuses et Mary Lou Williams, pianiste et arrangeure – sont aussi des magiciens. La plupart ont besoin de l’orchestre pour affirmer leur talent (comme Ray Nance), d’autres non (comme Johnny Hodges). Sous la direction de Claude Carrière – ellingtonien s’il en fut -, la collection Masters Of Jazz (distribué par Média 7) publie un coffret de 13 CD inaugurant un classement thématique. C’est la première fois. Une idée originale et finalement évidente. Le voyage se fait avec des arrêts sur « Ballads », « Blues », « Dance », « Friends », « Ladies », « New York », « Pianist », « Swing », « Vocal » pour en citer quelques-uns uns en reprenant les œuvres de l’orchestre de 1924 à 1947 soit la période la plus créatrice du compositeur. Les années 1940-47 étant les années de chef d’œuvre absolus.
Beaucoup de choses fausses ont été dites sur Duke. Sur France Inter un « musicologue » dont je n’ai retenu le nom affirmait que la famille du Duke était aristocratique… De quoi parlait-il ? Sans doute de la notion d’aristocratie ouvrière ? Vu que le père était majordome… Beaucoup aussi d’à peu près. Par exemple Alain Pailler, qui a écrit un essai sur « Plaisir d’Ellington » (Actes Sud) intelligent et sensible, se laisse aller dans ses notes pour le livret – sous le même titre, « Plaisir d’Ellington » – d’un double CD1 (Frémeaux et associés, distribué par Night & Day) en parlant d’Ellington autodidacte. Il avait suivi des cours de piano, de composition en suivant des études d’art décoratif. Il sera très influencé par les pianistes stride de Harlem – qui sera son quartier, plus que Washington où il était né – notamment par Willie « The Lion » Smith, et donnera toujours une dimension sociale à sa musique. Jamais il n’oubliera sa double nature d’Afro-Américain. Il le rappellera à tous les moments. Par ses suites, la « Black, Brown and Beige » – donnée à Carnegie Hall en 1944 pour la première et unique fois – jusqu’à « My People » sous la forme d’une comédie musicale où il reprenait le thème de « Come Sunday » de cette Black, Brown and Beige. Le « Beige » représentant l’espoir d’intégration après la victoire commune contre le nazisme. Espoirs déçus. Raison pour laquelle il ne la rejouera plus en entier, mais seulement la partie Brown… Il faudra encore d’autres luttes, celles des années 60 pour les droits civiques.
Nicolas BENIES.

Une correspondance avec Alain Pailler avait suivi cet article et nous sommes tombés d’accord sur le fait que Duke est un autodidacte en ce qui concerne la composition. Là se trouve une des explications de son originalité. Personne ne lui avait dit que ce qu’ilo faisait ne se faisait pas.