Chic, c’est la rentrée. (2)

Comme chaque année, et malgré tous les prophètes – qui ne savent prévoir que le passé disait Canetti – de la fin du papier, les sorties sont au-delà des forces d’un être humain raisonnable. Pour choisir, il faudrait lire toute la production, soit plus de 500 romans sans compter les essais et autres récits… Moins de publications, pourtant, que l’an dernier suivant les comptables. Les présentations ci-après n’ont pas d’autre but que faire la preuve de la diversité des imaginations. Continuer la lecture

UNE VIE DANS LE SIÈCLE. Compléments au « souffle de la révolte »

Pionnière de la littérature féministe, noire-américaine.

Le nom de Zora Neale Hurston ne dit sans doute rien au lecteur. Pourtant, Toni Morrison fait clairement référence à son autobiographie, Des pas dans la poussière, dans son dernier roman, Paradis,1 qui se déroule dans une petite bourgade du Sud des Etats-Unis gérée et habitée par des Africains-Américains ressemblant à celle où est née Zora. Alice Walker, l’auteure de La Couleur Pourpre, a fait placer une pierre tombale à l’endroit approximatif où elle repose.2 Toutes les romancières américaines paient leur dette à cette pionnière qui a payé le prix élevé de cette liberté, de cette volonté de construire sa propre vie, son œuvre.
Sa vie fut un combat pour se faire reconnaître comme auteure à part entière, comme anthropologue, pour vivre de sa plume. Ce qu’elle n’a pas réussi à faire. Elle mourra pauvre en 1960. Elle jouera un rôle de premier plan dans le mouvement des années 20 qui se construit autour de la «négritude », mouvement dont se réclamera Senghor, affirmation de la culture spécifique des Africains-Américains, partant de Harlem. A cette époque le ghetto brille des mille feux du jazz, de la photographie – Van Vechten en sera un des animateurs -, de la danse, de la littérature, avec Langston Hughes comme animateur principal. C’est LE lieu à la mode. Elle refusera, avec quelques raisons ce concept de négritude, pour faire pénétrer dans la littérature ce langage particulier, cette langue qu’est «l’Anglais noir » comme le «double-entendre » – comme disent les Américains – propre aux opprimés voulant communiquer devant le maître blanc. Zora l’utilise dans cette autobiographie publiée en 1942 alors qu’elle se dispute et avec ses mécènes et avec ses éditeurs. Être une femme dans ce monde d’hommes, y compris dans la communauté africaine-américaine, est une gageure qu’elle relève.
Au-delà de cette vie qui se reflète dans son écriture, c’est une véritable écrivain. Avec un style qui lui appartient, avec cette manière, héritée du blues, douce-amère de parler de soi, d’inverser les situations en pratiquant un humour et une ironie permettant à la fois de faire sourire et de faire réfléchir. Rien ici ne ressort d’une véritable autobiographie, et tout est autobiographique.
Il est temps sans doute de découvrir Zora Neale Hurston et ce faisant de faire un saut dans l’inconnu dans une culture spécifique née de la déportation des Africains sur cette terre américaine. Pour appréhender plus facilement ce continent, le livre de Robert Springer, bien que d’un style par trop universitaire, Les fonctions sociales du blues,3 sera un guide bienvenu.
NICOLAS BENIES.
DES PAS DANS LA POUSSIÈRE, de Zora Neale Hurston, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Françoise Brodsky, Éditions de l’Aube, La Tour d’Aigues (84), 1999, 320 pages,

Ne pas perdre la mémoire…

Mémoires imaginaires ?

« Celui qui disait non » est présenté comme un premier roman. Premier sans doute mais roman ? L’histoire de cet homme, August, qui décide un jour de 1936 de ne plus faire le salut nazi. Il aime Irma que les nazis considèrent comme juive. Cette détermination de « juive » permet un passage dans les textes administratifs du régime nazi. Un examen surréaliste qui compile tous les critères pour permettre de conclure qu’une personne est juive. Le rire est proche du drame.
L’amour, c’est la conviction de l’auteure, conduit à la révolte et, dans le contexte, au camp de concentration. Adeline Baldacchino ne raconte pas, elle vit cette rencontre imaginaire, alimentée par les témoignages des descendantes, les filles du couple comme une polarisation face à la mémoire et à son travail nécessaire. L’une ignore et l’autre se plonge dans son passé. L’objectif de l’auteure dépasse cette histoire pour devenir plus personnelle. Elle voudrait, par cette histoire à la fois d’amour et de filiation mieux cerner… son père qui devient soudain le personnage principal.
Un récit qui touche au plus profond de nous-mêmes. Comment communiquer avec ses ascendants et ses descendants ? Adolescent, la mémoire, le murmure du temps nous laissent indifférents, après, il est souvent trop tard. C’est une des raisons pour laquelle ce récit ne peut laisser indifférent. Personne ne peut sortir intact de la rencontre avec ce couple, avec leurs enfants… et avec l’auteure qui s’est faite enquêtrice d’une mémoire collective.
NB
« Celui qui disait non », Adeline Baldacchino, Fayard

La renaissance de Harlem

Redécouvrir Langston Hughes

Christine Dualé propose, dans « Langston Hughes et la renaissance de Harlem », une véritable fresque du Harlem des années 1920, véritable centre culturel qui irradie le monde et influence écrivains, essayistes, photographes, musicien-ne-s. Harlem, sous la pression des Antillais fête même le 14 juillet. Elle n’oublie pas les grandes littératrices comme Zora Neale Hurston. Elle parle des voix de Harlem comme « une nouvelle tradition littéraire noire » mêlant jazz, blues – Langston Hughes n’aura de cesse de rendre toute sa place à la poésie des blues -, révolte et revendication de dignité. La « Negro Renaissance », la négritude comme on dira quelque fois en France pour valoriser cet apport, est partie intégrante de ces « années folles », « Roaring Twenties », « Âge du jazz » suivant les auteurs pour dire la libération des corps, l’appel désespéré à une autre société, l’espoir fou que le monde bascule sur ses bases pour faire place à un monde solidaire sans guerre. Le féminisme est partie prenante de toutes ces libérations.
Christine Dualé rappelle ce contexte et le le lien entre Harlem, Paris, les Antilles. Aimé Césaire ou Senghor feront partie de ce mouvement de fierté noire.
Elle propose ensuite une plongée dans la vie et les œuvres de Langston Hughes pour le rendre vivant. « Émergence d’une voix noire américaine » est le sous titre pour qualifier la place de ce poète globe trotter et militant des droits civiques. Influencé par le gospel, le blues et le jazz, ses poèmes sonnent la révolte. Il veut faire reconnaître les anti-arts que sont jazz et blues comme partie prenante du patrimoine de l’Humanité. L’influence de ces musiques est indéniable sur la littérature, la peinture et la poésie. Ce livre incite à (re)découvrir tous et toutes ces écrivain-ne-s liés à la Renaissance de Harlem qui rythme les années 1920, les années Jazz.
NB
« Langston Hughes et la renaissance de Harlem », C. Dualé, L’Harmattan.

Cadeaux à faire et à se faire

Le temps de lire…
« Correspondance Albert Camus, Maria Casarès »

Maria Casarès, tragédienne, ne peut pas s’oublier. Sa voix un peu enfumée laisse des traces dans toutes les mémoires. Comédienne totale, vraie, elle se laissait emporter par les passions de son personnage devenues les siennes. Il est impossible de l’imaginer sans emportements, sans colères et sans amour. Libre surtout face aux contraintes de ce temps, les années cinquante, intransigeantes de morale imbécile. Fille d’un Président du Conseil de la deuxième République espagnole, exilé à Paris en 1936, Maria Casarès a débuté sa carrière d’actrice en 1942. Elle a vingt ans. Deux ans plus tard, elle rencontre Albert Camus chez Michel Leiris – homme lige de ce 20e siècle – et… ce n’est pas le début de l’amour. Elle mettra fin à cette liaison. Il faudra attendre le 6 juin 1948 – comme un anniversaire – pour que commence réellement cette liaison tourmentée mais aussi belle comme seule sait rendre la vie surréaliste et fantastique un amour fou.
Albert Camus a déjà publié « L’étranger » et le « Mythe de Sisyphe » en 1942. Après la guerre, sa reconnaissance est assurée. Il multiplie les liaisons en marge de Maria Casarès. Maria, sans doute, laisse aussi parler son corps et son esprit lorsqu’elle joue au TNP avec ses compagnons de fortune. C’est le temps de la décentralisation culturelle. C’est le temps des troupes de théâtre, c’est le temps de la culture considérée comme un service public. Continuer la lecture

Modèle de destruction

Une histoire américaine

« The Carpenters », Karen et Richard frère et sœur, représente le groupe phare des années Nixon, le moment où les populations veulent oublier la guerre du Viêt-Nam et même leur président. Une musique sirupeuse sauvée par la voix étrange de Karen. Un peu grosse, elle erre de régime amaigrissant en régime amaigrissant. Anorexique, elle mourra à 33 ans d’un arrêt cardiaque ouvrant la porte à la dévotion des fans. Clovis Goux évoque cette Amérique étrange qui connaîtra la vague hippie à la fin des années 60. « La disparition de Karen Carpenter » raconte la descente aux enfers d’une jeune femme trop de son temps et en acceptant toutes les figures de la publicité. Une écriture qui tient à distance son sujet tout en faisant preuve de délicatesse, de pudeur. Ce critique de rock devrait faire romancier.
N. B.
« La disparition de Karen Carpenter », C. Goux, Actes Sud/Rocks

Histoires des Etats-Unis et de France.

« Toute histoire est vraie ».

John Edgar Wideman n’écrit pas vraiment des romans. Plutôt des contes qui se passent souvent dans les ghettos noirs de Pittsburgh ou de Philadelphie. Il fait de ses histoires, autobiographiques, biographiques, rêvées ou réelles peu importe, la trame de ses récits. La mémoire est le lieu principal qu’il visite encore et encore. Une mémoire à la fois individuelle et collective. Les Africains-Américains vivent sous le joug de leurs rapports avec les Blancs et sont le centre de cette société américaine qui fait du racisme une de ses composantes essentielles. Encore aujourd’hui, en 2017. Continuer la lecture

Quelques réflexions sur la question culturelle

« Le souffle de la révolte » veut appréhender le jazz et le contexte de 1917 et la suite…

En finissant mon prochain livre sur le jazz, « Le souffle de la révolte », à paraître chez C&F éditions (comme les deux précédents), me sont venues quelques réflexions qui ne pouvaient tenir dans le livre que je vous livre ci-après.
En même temps, il peut s’agir d’une introduction pour deux cours d’économie l’an prochain qui porteront sur l’économie de la culture – un oxymore…
Deux cours en lien avec le Panta théâtre pour le 30e anniversaire de la décentralisation culturelle, qui n’a rien à voir avec la décentralisation qui se met en place dans le milieu des années 1980 et qui va voir la création de nouvelles entités administratives.
La décentralisation culturelle avait le but de fournir à toute le pays, la possibilité d’avoir des spectacles.
Une bonne idée.
Dans les lignes qui suivent, il s’agit d’abord de comprendre le lien entre tradition et rupture, entre le passé et le futur pour construire un présent. Réflexions liées aux thèses de Walter Benjamin – un auteur de moins en moins oublié, le travail de Daniel Bensaïd a été bénéfique – et à celle de Adorno.
Deux parties, « Révolution » ? et une réflexion sur « la modernité ».
Ce sont des essais qu’il faut contester pour continuer l’élaboration.
Nicolas Béniès. Continuer la lecture

Une évocation du Paris des années 1920

Robert McAlmon comme figure clé et oubliée.

« La nuit pour adresse », un titre que l’auteure Maud Simonnot a emprunté à un poème de Louis Aragon, est aussi une sorte de devise pour tous ces Américains installés à Paris en ce début des années 20. Ces jeunes gens, filles et garçons, baignent dans un océan d’alcool tout créant, comme autant de bouteilles à la mer, des œuvres dans tous les domaines. Tout ce monde vit la nuit, fréquente les boîtes à la mode, se retrouvent chez Bricktop qui tient un club de jazz et s’enivre de cette musique qui fait ses premiers pas. Continuer la lecture

Shakespeare en Russie

Une tueuse en série.

« La Lady Macbeth du district de Mtsensk » est sans doute plus connu comme opéra de Dmitri Chostakovitch (1934) que comme l’œuvre d’un grand auteur russe des années 1860, concurrent direct de Léon Tolstoï, Nicolaï Leskov. Son héroïne tient à la fois de Shakespeare, Jean-Jacques Rousseau mais aussi à la tradition orale russe. Cette nouvelle publiée en 1865 se situe dans le contexte du mouvement pour l’émancipation des femmes. Une tueuse en série, grande amoureuse du sexe est, pour la première fois mise en scène. La présentation de Catherine Géry permet de replacer Leskov dans son environnement.
Nicolas Béniès.
« La Lady Macbeth du district de Mtsensk », N. Leskov, édition bilingue de Catherine Géry, Classiques Garnier.