JAZZ, Henri Texier

L’ancien dans le nouveau.Et vice versa

Henri Texier a eu envie, après les concerts pour le 30e anniversaire du Label bleu, de reprendre quelques-unes de ses anciennes compositions, celles du temps de Salhani. Pour ce faire, redonner vie à ces musiques, il a structuré un nouveau groupe. Sébastien Texier est toujours au saxophone alto et clarinette et Manu Codjia à la guitare – qui semble chez lui – mais Vincent Lê Quang ajoute son saxophone ténor et son soprano aux fureurs des deux précédents pour les forcer dans des retranchements qui se sont construits jour après jour, concert après concert, comme Gauthier Garrigue sa batterie. Ce nouveau quintet pour sortir de toutes les ornières ou essayer. « Amir » semble dévoiler de nouvelles facettes, pourtant l’ensemble reste baigné dans les deux précédents albums. Les compositions anciennes y gagnent une nouvelle vigueur tout en laissant l’auditeur dans une atmosphère inchangée. Pour qui n’a pas fréquenté Henri Texier depuis ses débuts, n’est pas sensible aux changements de « feeling » de ces compositions. La cause se trouve, étrangement, dans les nouvelles compositions – « Sand Woman » qui donne aussi son titre à l’album, « Hungry Man », « Indians » – qui ne tranchent pas avec l’atmosphère des albums précédents.
On attend de Texier tellement que, lorsque la rupture n’est pas évidente, la déception affleure. Il reste le plaisir. Celui d’entendre un groupe homogène capable de dépasser souvent ses propres limites pour crier au monde qu’il temps que cesse la barbarie.
Nicolas Béniès
« Sand Woman », Henri Texier, Label Bleu distribué par l’Autre Distribution.

JAZZ, Théo Ceccaldi


Un violon sur le gaz et…

Théo Ceccaldi, violoniste, a fait sensation. Et il continue. Je me souviens de la première fois que je l’ai vu au festival Jazz sous les Pommiers à Coutances. J’étais sceptique. Un violoniste ! Oui mais quel violoniste. Le bruit et la fureur, la révolte, la sauvagerie de la musique. Tout ne passe pas sur le disque, bien sur. Comme souvent. Mais il en reste quelque chose.
« Freaks » – le terme était utilisé dans les « cirques » pour désigner des personnes anormales quelle que soit l’anormalité, un film porte ce titre – convient bien à l’histoire de Amanda Dakota qui sert de fil conducteur à cette musique composée par le violoniste. Continuer la lecture

JAZZ, Cholet & Darche

Poulenc, le jazz et la suite

« Le tombeau de Poulenc », le titre de cet album interroge. La réponse se trouve dans les notes de pochette pour apprendre que « dans la période baroque, le tombeau était composé en hommage à un grand personnage ou un collègue musicien, aussi bien de son vivant qu’après sa mort(…) ». Il s’agit donc ici de faire revivre Poulenc non pas en interprétant ses œuvres mais en s’inspirant de son écoute pour composer des thèmes jamais joués. Jean-Christophe Cholet, pianiste, Alban Darche, saxophoniste et Mathias Rüegg, chef d’orchestre sans Vienna Art Orchestra se sont associés et unis, pour les deux premiers, leurs groupes pour réaliser cet ouvrage. Continuer la lecture

JAZZ, De Bechet à Jaspar

Mémoires.

La mémoire du jazz se conjugue souvent au pluriel. Quelque fois même elles se télescopent pour faire surgir un futur qui le fait paraître totalement différentes. C’est une des raisons pour lesquelles les rééditions sont nécessaires. Pas n’importe lesquelles. Celles qui font l’objet d’un travail de mémoire, de poètes pour expliquer, mettre en scène le passé et en faire un lieu de possibles.
Jouer avec la mémoire, les mémoires, c’est le propre du jazz qui n’oublie rien. L’oubli est un gouffre. Là git sans doute la difficulté du jazz, l’inclure dans le murmure du temps.
La collection Quintessence dirigée par Alain Gerber nous propose deux plongées dans cette mémoire, Sidney Bechet d’abord, Bobby Jaspar ensuite, pour faire des rapprochements étranges et porteurs d’avenirs. Continuer la lecture

Le coin du polar

Amour et haine rancis.

Est-il possible de vivre confiné dans un seul endroit, une seule maison ? Les sorties hors du domicile familial sont des fêtes rares et racontées plus d’une fois. C’est le pont de départ de ce roman noir de Sarah Schmidt, Australienne, bibliothécaire qui a été saisi par ce drame : le 4 août 1892 à Fall River (Massachusetts), Lizzie Borden découvre son père et sa belle-mère massacrés à coups de hache. Cet assassinat passionne les Etats-Unis depuis plus d’un siècle. « Les sœurs de Fall River » ne se veut ni enquête journalistique, ni enquête policière mais plongée dans l’intimité d’une famille pour expliquer les comportements, l’amour et la haine souvent mêlées. Un assassinat en vase clos. Une intrigue qui doit remonter à Edgar Allan Poe sans l’humour ni l’ironie qui sied au poète créateur du roman policier. Dans le même temps, elle fait la critique d’une société misogyne qui ne peut pas croire qu’une femme soit responsable de meurtres aussi horribles.
Comme c’est un peu la mode ces derniers temps, Sara Schmidt fait parler tous les protagonistes. Emma, la sœur aînée qui a quitté le nid, Lizzie – Élizabeth – qui est restée, Bridget la domestique et Benjamin un témoin extérieur pour rendre compte de l’étouffement résultant de cette maison sans vie.
« Les sœurs de Fall River », un best-seller en Australie et en Grande-Bretagne, sera adapté au cinéma et la télévision. Il souffre pourtant d’un manque d’oxygène. A force de rester entre soi, la lecture devient presque irrespirable. Le défaut de la qualité de cette histoire.
Nicolas Béniès
« Les sœurs de Fall River », Sarah Schmidt, traduit par Mathilde Bach, Rivages.

Mi gran passion
Ariana Franklin, l’auteure de cette série qui met en scène la médecin de Palerme, Adelia, désormais au service du roi anglais Henri II Plantagenet, nous a quittés en 2011 mais son héroïne vit toujours et continue ses aventures. Dans « La prière de l’assassin », Adelia, en 1178, est chargée d’accompagner Jeanne, la sœur cadette du roi – elle a 10 ans -, pour son mariage avec le roi de Sicile, un Normand. Elle se trouve en butte avec l’amant du « Loup », un personnage qui apparaît et disparaît tué par Excalibur, l’épée, dit la légende, du roi Arthur maniée par Adelia. Avec le fidèle Mansur, elle subit les conséquences de tous les préjugés du temps. Elle risque la mort et le bûcher.
Dans ce voyage, la géographie a du bon, elle passe le sud-ouest de la France actuelle marquée par la montée de l’hérésie – aux yeux de l’Église – cathare. Déjà, pointe le retour d’une Inquisition qui veut préserver le pouvoir de la seule Église de Rome. Les massacres qui suivront – beaucoup plus tard – pourront être qualifiés de génocide.
Il est difficile de résister à Adelia. Son charme s’envole de ses pages. Comme O’Donnell, l’amiral, on tomberait facilement amoureux de cette femme médecin. Une sorte d’alchimie bizarre. On se prend à rêver, contre toute attente, une suite sans fin.
Nicolas Béniès.
« La prière de l’assassin », Ariana Franklin, traduit par Jean-François Merle, 10/18, Grands détectives.

Europajazz, Jazz sous les Pommiers

Le Jazz complètement à l’Ouest.

L’Europa Jazz, connu aussi par sa ville de naissance Le Mans où le festival se termine en apothéose, essaie de ne pas trop regarder les chiffres pour éviter les pièges du « retour sur investissement ». Pas toujours facile.
Pour cette 39e édition qui a commencé le 15 mars par des conférences musicales dans les lycées, collèges et CFA – comme quasiment tous les festivals de jazz désormais et c’est une bonne chose -, les invités ont nom Émile Parisien, présent aussi à Jazz sous les Pommiers (avec Joachim Kühn), qui sera « dans tous ses états », Médéric Collignon que vous avez raté, Paolo Fresu avec Omar Sosa dans les « rendez-vous du printemps » agrémentés de « nuits » du jazz manouche, des fanfares et de la salsa. Le final, au mois de mai comme d’habitude dans la lignée du 1er mai et dans la collégiale, sera illuminé par, entre autres, Craig Taborn, Linda Olah, Bill Frisell, Barre Phillips, Joëlle Léandre, Stéphane Courtois, Dominique Pifarély… pour participer à la grande fête des jazz.
Les organisateurs proposent de soutenir Europajazz en devenant un mécène, une promotion autrefois réservée uniquement aux entreprises et qui devient par une sorte de démocratisation accessible à toutes et à tous.
Ce festival se terminera le 6 mai au moment où Jazz sous les Pommiers à Coutances (Manche) vivra sa deuxième journée. Certaines zones seront encore en vacances qui permettra une petite visite de cette ville surplombée par sa cathédrale qui verra quelques concerts en son sein. Le soleil, c’est promis, sera de la partie notamment le dimanche pour la journée des fanfares, réunion traditionnelle familiale.
Pour cette 37e édition, deux vedettes attireront vraisemblablement les curieuses et curieux. Kamasi Washington tout d’abord, saxophoniste ténor, qui s’est fait remarquer dés son premier album constitué de trois CD où il se permet de revisiter une grande partie de l’histoire du jazz tout en faisant la place aux sons d’aujourd’hui. Ce coffret lui a valu l’honneur de deux pages du « New York Times », une sorte de consécration rapide. Trop peut-être. Il a attendu d’avoir plus de 30 ans avant de commettre cet enregistrement. Il vient de publier un nouvel album…
La deuxième est l’artiste en résidence, Anne Pacéo, batteure et une de celle qui compte. Elle proposera plusieurs rendez-vous dont une création.
Les autres invités ne seront pas en reste. Le duo Joe Lovano, saxophoniste ténor, Dave Douglas, trompette avec leur quintet fera des étincelles. Leur album chez Universal est un must qu’il faut entendre. Raphaël Imbert, saxophoniste, proposera plusieurs rendez-vous dont l’un, « Bach/Coltrane » aura lieu dans la Cathédrale, Hélène Labarrière et Hasse Poulsen proposeront une relecture des succès plus ou moins récents, Paolo Fresu, poursuivant sa route de l’Ouest, sera aussi présent avec Richard Galliano, le grand orchestre de Christian McBride… sans compter les musiques cousines comme d’habitude ou le blues le mardi soir.
Comme toujours, les concerts de midi et demie au Magic Mirror sont des instants souvent privilégiés. Les découvertes sont nombreuses, les coups de coeur aussi. Il ne faut pas hésiter à les fréquenter. L’horaire n’est pas forcément adapté mais, si vous en croyez mon expérience – malheureusement un peu trop longue – ils réservent les surprises qui enchanteront vos souvenirs. Je regrette quelque fois qu’il n’y ait pas eu – à ma connaissance – d’enregistrements de certains. Mais, comme le disait justement Keith Jarrett « le swing n’est pas toujours sur la bande » pour dire la force spécifique, originale d’un concert. Les déceptions sont nombreuses de ce passage du « live » à l’objet.
Il faudra aussi aller à la rencontre de certains groupes pas encore trop connus comme celui de Eric Séva, saxophoniste. « Body and blues » est un album issu de ses rencontres avec le blues. Une musique du corps et de l’âme. (voir ma recension de l’album sur ce blog)
Les deux festivals proposent aussi des programmes gratuits, des animations, des découvertes qu’il ne faut pas craindre d’aller voir, pour faire connaître « Sa Majesté le Jazz », même si le pluriel est nécessaire. Une majesté qui suppose une armée de bénévoles qu’il faut remercier. Sans eux et elles rien ne serait possible.
Nicolas Béniès.
Le Mans Jazz Festival, du 15 mars au 6 mai 2018, rens. tel 02 43 23 78 99 www.europajazz.fr
Jazz sous les Pommiers, du 5 au 12 mai, rens. www.jazzsouslespommiers.com