Le coin du polar : Elmore James

Detroit (USA) dans toutes ses beautés automobiles

Elmore Leonard est le chroniqueur de la ville de Detroit, longtemps capitale de l’automobile. Dans cette ville sont nés à la fois le « hard bop », un retour aux sources du gospel, et le « hard rock » musique qui collait à la déstructuration de la ville due à la perte de son industrie principale. Les histoires de Leonard s’inscrivent directement dans celles de la ville, jusqu’à la représenter. « Swag » – le butin du voleur mais aussi, plus récemment, arrogance – est, d’après Laurent Chalumeau – auteur de la présentation -, le premier grand roman de l’auteur.
Deux voleurs à la tire veulent voler plus haut que leur ULM et se retrouvent dans la panade. Au prix de leur prise de conscience, ils arrivent péniblement à comprendre leur situation. Frank Ryan et Ernest Stickley Jr – prénoms choisis pour le titre de départ « Frank and Ernest », franc et honnête – sont des braqueurs de petits commerces. Ils réussissent dans ce business. Ils voudraient faire un gros coup et… vous aussi connaissez la suite.
L’intérêt réside dans le contexte urbain, dans la description de l’environnement social dans lequel baignent les deux voleurs. Ainsi que dans la musique qui les entoure, les enveloppe. L’empathie avec ces « losers » est quasi totale. Leur destin n’est pas maîtrisé, il dépend tout entier des rencontres et d’une ville en train de subir les débuts de la crise économique qui détruira l’industrie automobile et obligera Detroit à se transformer.
Nicolas Béniès
« Swag », Elmore Leonard traduit par Elie Robert-Nicoud, préface de Laurent Chalumeau, Rivages/Noir

Polar ? Grande littérature ? Pour Naples !

Ceci est une chanson d’amour.

Maurizio De Giovanni habite son commissaire, Ricciardi aux yeux verts étranges et au comportement qui l’est plus encore, et sa ville, Naples avec ses baisers de feu bien connus. Le fil conducteur est une initiation à la manière de jouer, de la mandoline bien entendu, pour accompagner une chanson d’amour et de désespoir rempli d’espérances, pour faire partager ces sentiments contradictoires face à l’être aimé.e. « Tu vas me faire souffrir mais comment t’échapper ? » Continuer la lecture

Le coin du polar (2)

Paris, 1923

La saga des sœurs Izner dans ce Paris des années 20, étrange, secoué par le jazz, les comédies musicales, Cocteau, les surréalistes, la révolution russe… se poursuit dans ce troisième opus, « La poule aux œufs d’or ». Le narrateur, pianiste de jazz, américain, Jeremy Nelson – il a rencontré, dans l’ouvrage précédent « La femme au serpent », la famille de Victor Legris pour relier des histoires du 20e et du 19e siècle – se transforme en enquêteur tout en nous faisant visiter certains lieux du Paris «qui « jazze ». Dans cette troisième enquête, il est engagé par le… cinéma. C’est une des grandes bizarreries du cinéma muet : la musique est nécessaire pour mettre les acteurs dans l’ambiance. La musique et le cinéma opérait déjà leur histoire d’amour/haine.
« La poule aux œufs d’or » – un titre qui ne s’explique pas totalement – raconte surtout les trajectoires de « russes blancs » qui ont refusé la révolution en choisissant l’exil pour se retrouver loufiat, chauffeur de taxi ou autre métier à la qualification empirique. Le choix était limité pour la plupart d’entre eux et plus encore pour elles. Certain-ne-s n’étaient pas partis sans rien. C’est le cas ici. La chasse au trésor s’ouvre. Ici, l’auteure prend pour personnage une professeure de diction. Les actrices de cinéma pensent au théâtre, à Sara Bernhardt et à ses funérailles nationales, pour devenir des « vrais » comédiennes. Les débuts du cinéma parlant, comme le raconte le film de Stanley Donen et Gene Kelly, « Singin’ in the rain », leur donneront du travail. Continuer la lecture

Le coin du polar (1)

Hypothétique Jack l’Éventreur

« Jack, The Ripper » a défrayé la chronique londonienne dans les années 1898. Un tueur en série de prostituées qui éventrait ses victimes dans les bas fonds de la capitale britannique, le district de Whitechapel pour être exact. Toutes les hypothèses ont trouvé leurs défenseurs. Robert Bloch en avait dressé, en 1943, un portrait resté dans les annales. Beaucoup d’autres se sont risqué dans la recherche de son identité, des explications de la la mise en scène macabre en relation avec les secrets des sectes, le personnage résistant à ce flot d’encre. Les thèses les plus intéressantes, du point de vue de l’histoire, sont celles qui mettent en relation ses vices la société réactionnaire victorienne qui craignait plus le sexe que la peste.
Fallait-il en rajouter ? C’est la question qui se pose devant ce nouvel opus, « La légende de Jack » que Hervé Gagnon a voulu faire resurgir. L’idée de départ : projeter le personnage à Montréal, au Québec avec le même mode opératoire. Est-ce le même ? Un imitateur ? Il fait surgir deux agents de Scotland Yard, un inspecteur et une inspectrice, à la poursuite de leurs rêves/cauchemars pour liquider un passé insupportable. Savoir pour étrangler la haine, le regret, le remord et faire renaître l’amour. Continuer la lecture

Dans Paris libéré

Enquêter au cœur du tumulte et de la barbarie

Hervé le Corre nous fait pénétrer « Dans l’ombre du brasier », le brasier du Paris de mai (les 18 et19 pour être exact) 1871. La Commune vit ses derniers instants. Les combattant.e.s veulent encore y croire pour construire une société fraternelle, libre. En face, les Versaillais. Thiers est aux commandes d’une armée vaincue par les Prussiens mais qui se retourne contre les siens. Sainte-Alliance des possédants contre les rêves, les utopies d’une population qui se bat pour toute l’humanité. Pas de suspense. Les massacres seront à la hauteur des peurs de ces bourgeois étriqués. La barbarie régnera en maîtresse exigeante.
Dans ce contexte de guerre, l’auteur place une intrigue policière : une jeune fille a été enlevée quasiment en pleine rue. Caroline est son nom. Infirmière bénévole, elle nous a fait entrer dans l’hôpital de fortune dans lequel meurent tous ces soldats de circonstances, assassinés par des tirs de canons qui sonnent le glas de toutes les espérances.
Ces journées de mai sont les dernières de la « racaille » comme disaient ces bourgeois petits et grands, assoiffés d’ordre. Hervé Le Corre nous enferme dans l’ombre pour décrire la macro barbarie et la violence individuelle du mal.
L’enquête à la fois atténue les descriptions horribles des assassinats commis par les Versaillais, des tueries de masse sans limite et construit un fil conducteur pour suivre l’enchaînement des événements avec un peu de distance pour éviter d’être transis par le bain de sang. Le scénario est plausible. Pendant les massacres la vie se poursuit. Les conflits récents en apportent la preuve tous les jours, comme la Commune donnait un avant goût des éclatements à venir.
Toutes les figures de la dépravation se sont données rendez-vous : l’argent, le sexe – le viol de fillettes – le goût du sang mais aussi les révolutions techniques – la photographie notamment – et… la volonté de se battre pour une société qui, enfin, sorte du capitalisme pour que les êtres humain.e.s vivent et non pas survivent. Un message qu’il ne faudrait pas oublier !
Hervé Le Corre, Dans l’ombre du brasier, Rivages/Noir, 22,5€
Nicolas Béniès

Le coin du polar.

Histoires napolitaines

Naples, sale et attirante, pleine de nostalgie, d’histoires étranges inscrites dans un passé jamais dépassé, ville qui ne se rassasie pas de son passé fasciste. Les traces architecturales – le bâtiment de La Poste notamment – présentes et niées tout à la fois ne se voient pas comme lieux de mémoire. Le nom même de Mussolini n’est jamais prononcé mais il reste comme une ombre, celle de ses réalisations et des références inscrites dans le sol.
« Le Noël du commissaire Ricciardi » est celui de l’année 1931. Neuf ans que le fascisme exerce sa loi tout en respectant les traditions surtout religieuses. La Crèche de Noël en fait partie. A quoi correspond-elle ? Quelles sont les légendes autour de chacun des personnages ? Le rôle de Joseph, figure paternelle sans avoir lui-même procréé ? Maurizio de Giovanni raconte ces mythes pour comprendre le meurtre d’un douanier fasciste qui fait son beurre sur la population de pêcheurs et de sa femme, tous les deux égorgés chez eux, dans leur bel appartement. Une plongée dans la psychologie collective et une leçon d’histoire religieuse pour comprendre les ressorts des assassinats. Sans oublier Naples, Noël, « une émotion » écrira l’auteur qui ne dédaigne pas les apartés poétiques ni le contexte politique.
Nicolas Béniès.
« Le Noël du commissaire Ricciardi », Maurizio de Giovanni traduit par Odile Rousseau, Rivages/Noir

Londres 1381
Paul Doherty poursuit les aventures et les enquêtes de Frère Athelstan dans « Pèlerinage mortel » qui se situe à l’été 1381 après la Grande Révolte qui a ensanglanté Londres. La révolte des Hommes Justes a été balayée et la paix armée du Roi est impitoyable pour les pauvres.
Frère Athelstan qui a protégé ses ouailles assiste à une multiplication de meurtres par étranglement sans que les victimes ne donnent de signes de résistance. Il faudra toute la sagacité du Frère pour faire la lumière sur ces mystères qui ont quelque chose à voir avec la politique, la guerre et la diplomatie. L’auteur s’appuie ici sur une réalité historique. Dans ces années une nouvelle donnée surgit : des tueurs professionnels affublés d’un statut de diplomates… A découvrir.
Nicolas Béniès.
« Pèlerinage mortel », Paul Doherty, traduit par Christiane Poussier et Nelly Markovic, 10/18

Portrait de femme
« La face cachée de Ruth Malone » est une quasi enquête sociologique des Etats-Unis du milieu des années 1960. Ruth, 26 ans, mère célibataire de deux enfants, voudrait être reconnue. Comme arme, elle possède son physique et l’art de se maquiller, pas seulement son corps mais aussi son esprit. Mal dans sa peau artificielle, elle est ivre tous les soirs en changeant de partenaire. Elle a quitté son mari qui reste souvent à l’épier. Elle habite un petit appartement dans le Queens, un quartier de New York.
Un mauvais jour ses enfants disparaissent. Ils ont été assassinés. Elle est soupçonnée et emprisonnée. Seul un journaliste amoureux d’elle croît encore à son innocence.
Emma Flint a saisi tous les clichés, tous les préjugés d’une époque qui ne voit les femmes que pute ou mère et refuse une mère célibataire incapable, de ce fait, d’élever ses enfants. La face cachée de Ruth c’est d’être une mère aimante malgré et contre le monde. Une plongée dans un univers pas si éloignée du nôtre. Une grande réussite.
Nicolas Béniès
« La face cachée de Ruth Malone », Emma Flint, traduit par Hélène Amalric, 10/18