Hypothétique Jack l’Éventreur
« Jack, The Ripper » a défrayé la chronique londonienne dans les années 1898. Un tueur en série de prostituées qui éventrait ses victimes dans les bas fonds de la capitale britannique, le district de Whitechapel pour être exact. Toutes les hypothèses ont trouvé leurs défenseurs. Robert Bloch en avait dressé, en 1943, un portrait resté dans les annales. Beaucoup d’autres se sont risqué dans la recherche de son identité, des explications de la la mise en scène macabre en relation avec les secrets des sectes, le personnage résistant à ce flot d’encre. Les thèses les plus intéressantes, du point de vue de l’histoire, sont celles qui mettent en relation ses vices la société réactionnaire victorienne qui craignait plus le sexe que la peste.
Fallait-il en rajouter ? C’est la question qui se pose devant ce nouvel opus, « La légende de Jack » que Hervé Gagnon a voulu faire resurgir. L’idée de départ : projeter le personnage à Montréal, au Québec avec le même mode opératoire. Est-ce le même ? Un imitateur ? Il fait surgir deux agents de Scotland Yard, un inspecteur et une inspectrice, à la poursuite de leurs rêves/cauchemars pour liquider un passé insupportable. Savoir pour étrangler la haine, le regret, le remord et faire renaître l’amour.
L’affaire, au départ, est dévoilée par un journaliste, un peu alcoolo, qui cherche à sortir de sa condition, réussir pour vaincre une enfance orpheline et les sévices des bons prêtres, pour avoir sa place au soleil. Il n’en suffit pas plus pour être convaincu de l’utilité de cette nouvelle histoire. L’intrigue prend, ensuite, de curieuses proportions dans la Pax Britannica qui régente le monde dans la fin du 19e, pour s’introduire dans les arcanes du pouvoir victorien et le combat entre les Francs-maçons et les sectes.
La survie de Jack est assurée et la légende pas prête de s’éteindre.
Nicolas Béniès
« La légende de Jack », Hervé Gagnon, Grands détectives/10/18
Peut-on tuer pour l’Europe ?
Une députée européenne, Sandrine Berger, écologiste, a été assassinée le jour où elle devait présenter un rapport sur les scandales du moteur Diesel. Point de départ d’une enquête qui fait découvrir les arcanes de l’Union Européenne, la manière dont elle fonctionne, les places respectives du Parlement, de la Commission et des Conseils des chefs d’Etat et de gouvernement ou des ministres concernés par un problème spécifique. Résumé de cette manière, ce polar peut sembler rébarbatif et tomber du côté du manuel du parfait parlementaire européen. Il n’en est rien. Pourquoi avoir assassiné cette députée qui n’a pas de caractéristiques particulières a priori sinon le rapport qu’elle devait présenter le matin de sa mort ? Tous les personnages interrogés pour découvrir la vérité sont à la fois des stéréotypes – tellement Bruxelles formate les individus – et vivants. Leur fonction les définit et ils sont aussi des personnages. Ce n’est pas le moindre mérite de ce roman « vrai ».
Les causes de l’assassinat sont-elles à rechercher dans la vie personnelle de la député ? En relation avec le rapport ? Quels sont ses liens avec son attaché parlementaire qui sert de narrateur ? Avec le responsable des Verts qui encadre l’ensemble des député-es de son courant politique et celui qui travaille réellement ? Des questions qui guident l’enquête dans un décor construit sur les crises qui secouent l’Union Européenne.
Les auteurs, Maxime Calligaro et Eric Gardère, connaissent bien les coulisses de la construction européenne. Ils ont été des « Insiders », des travailleurs de cette construction qui, parfois, tient plus du fantôme que de la réalité. « Les compromis » était le seul titre possible tellement le fonctionnement journalier de ces institutions repose sur la nécessité de se mettre d’accord pour que la décision européenne soit possible. Une raison supplémentaire du titre est lié à l’assassinat lui-même qui a quelque chose à voir avec l’UE elle-même. Une lecture salutaire.
Nicolas Béniès
« Les compromis », M. Calligaro et E. Cardère, Rivages/Noir.