Le coin du polar. Aller retour futur/passé

Dans un avenir indéterminé.
La trilogie de Ezekiel Boone des araignées venues du fond des temps mangeuses d’êtres humains se termine avec « Destruction », après « Éclosion » et « Infestation ». Les gouvernements entourés d’experts – des militaires ! – n’ont d’autre réponse que l’utilisation des armes nucléaires dites tactiques pour réduire à néant le danger et les êtres humains. Belle leçon. Les discussions au sein du groupe restreint qui, autour de la Présidente américaine, discute du sort du monde donne l’impression de donner la parole à un Trump transformé en général pour anéantir le monde.
Destruction, Ezekiel Boone, traduit par Jérôme Orsoni, Exofictions/Actes Sud

Londres 1885
Faut-il être poète pour se livrer à cet art merveilleux qui est celui du conte via les thèmes du polar ? Steven Price donne dans « L’homme aux deux ombres » une réponse positive. Il nous enchaîne à ces deux personnages à la recherche de « Shade », une ombre. L’un est le films de Pinkerton, l’agence de détective qui a fait fonction de police fédérale dans les débuts de la constitution de l’État fédéral américain, l’autre un arnaqueur révolté par la misère qui touche autant les grandes villes américaines que Londres. Deux américains débarqués dans Londres rendue fantomatique par un smog persistant. Des personnages étranges se rencontrent, les petites filles sont centres de sagesse et la description de Londres fait penser à la fois à Dickens, London et Orwell. Du grand art.
« L’homme aux deux ombres », Steven Price, traduit par Pierre Ménard, Folio/Policier

New York 1977, avec Miles Davis.
Michaël Mention, dans « Manhattan Chaos », s’est inspiré à la fois de l’autobiographie de Miles Davis – le « je » de ce roman – et de la machine à explorer le temps de H.G. Wells. Il fait vivre à un Miles au bout du rouleau qui ne se voit aucun avenir des aventures qui nous font visiter Manhattan à différentes époques du 20e siècle profitant de la panne d’électricité qui touche la Ville le 13 juillet 1977. La mémoire de ces temps anciens est nécessaire et l’auteur sait situer les moments où le racisme se fait assassin n’hésitant pas à évoquer Trump, le père du président actuel. Faire une fin n’était pas facile…
« Manhattan chaos », Michaël Mention, 10/18.

Partir au front.
Hugues Pagan est un ancien prof de philo devenu policier pour finir auteur de polar. Curieux parcours qui interroge et épaissi le mystère autour de cet auteur. Il n’hésite pas à frôler le fantastique ou faire référence à des théories ou même au jazz – à Satchmo en particulier – pour décrire le monde absurde qui nous entoure. « Mauvaises nouvelles du front » annonce-t-il sans retenue pour ce recueil qui mêle des époques diverses de son écriture et des destinations de ces nouvelles. Il faut s’enfoncer dans Pagan pour prendre de la distance et voir la société comme elle est.
 « Mauvaises nouvelles du front », Hugues Pagan, Rivages/Noir.
Nicolas Béniès

Du côté des polars…

Voyages

Le passé gris de l’Allemagne

La RDA La République Dé­mo­cratique Allemande a été longtemps considérée comme une des réussites des pays de l’Est, comme on disait à l’époque, pour s’apercevoir, à la chute du Mur de Berlin, que les retards étaient considérables. Les traces de ce passé demeurent actuelles. L’unification de l’Allemagne ne peut réduire les différences profondes entre les deux « pays ». Dave Young s’est lancé dans la recréation de l’ambiance de cette Allemagne de l’Est via les enquêtes du lieutenant Karin Müller. Stasi Block se déroule à l’été 1975 dans la ville nouvelle « Halle-Neustadt » dans laquelle les rues sont des numéros. La corruption rôde, partout les bouches se ferment… et la Stasi – la police secrète – fait peser tout son poids pour conserver les secrets. L’enquêtrice se perd dans tous ces dédales pour trouver quand même les coupables. Une évocation réussie.

Notre monde moderne
Hugues Pagan a un drôle de parcours. Prof de philo à policier. Ce voyage demanderait. Les traces sont dans le recueil de nouvelles, Mauvaises nouvelles du front, un mélange de fantastique quotidien, de réflexions et de références jazzistiques – « Qui écoute encore Satchmo ? », demande-t-il et on hésite à répondre. A la lecture de ces portraits, le lecteur s’interroge sur la réalité. Où est la frontière avec le rêve ? Le réel est-il aussi tangible que prétendu ? Des nouvelles qui proviennent de demandes diverses, nous dit l’auteur et de dates différentes. Pourtant elles forment un tout mais un tout sous forme d’un puzzle, images de notre monde éclaté qui ne sait plus se situer et bascule en tout sens.

Moscou aujourd’hui
Sergey Kutznetsov, pour son premier roman, a choisi le Noir. Pouvait-il en être autrement lorsqu’il est question de Moscou ? La peau du papillon tient d’une intrigue minimum : une jeune journaliste, Xénia, adepte de pratiques sexuelles étranges, sado-maso, rencontre, via le Net, un tueur en série. Les deux fantasmes se heurtent pour offrir un récit psychanalytique. Visiblement, et c’est l’intérêt du livre, l’auteur a pris plaisir à décrire lieux et personnages qui s’agitent, pleurent, rient, dans cette Russie en proie à un fantasme collectif qui n’a pas encore trouvé son Dr Freud.

Un conte ensablé entre futur et passé
Hugh Howey possède ce talent rare, celui du conteur, pour nous entraîner dans des contrées étranges, en un futur non défini où les luttes entre riches et pauvres sont définies par des lieux différents. Outresable – une trouvaille subtile du traducteur – décrit un monde envahi par le sable. Il a tout recouvert. Pour circuler, il faut se vêtir de combinaisons qui permettent aussi de plonger à la re­cherche de mondes disparus pour survivre. Les puissants vivent dans un No Man’s Land interdit aux pauvres. La bombe atomique fait partie de ce combat. Qui sera détruit et pour combien de temps ? Ouvrez la première page et vous serez happé jusqu’à la dernière par l’histoire de cette famille.
N. B.
Stasi Block, David Young, traduit par Françoise Smith, 10/18 ; Mauvaises ­nouvelles du front, Hugues Pagan, Rivages/Noir ; Outresable, Hugh Howey, traduit par Thierry Arson, Actes Sud ; La peau du papillon, Sergey Kutznetsov, traduit par Raphaëlle Pache, Série Noire/Gallimard.