Coin du polar (3)

Israël comme il faut le voir.

Terminus Tel-AvivDécouvrir un nouvel auteur est un plaisir sans partage. Surtout lorsqu’il est israélien et fait découvrir Tel-Aviv telle que les brochures touristiques ne la vantent pas. Tel-Aviv est la ville israélienne par excellence, la véritable capitale du pays. Elle est le microcosme de tout Israël.
Liad Shoham, c’est le nom de cet auteur, y vit et pratique le métier d’avocat. Il au centre de la machine juridique. « Terminus Tel-Aviv » est son deuxième opus publié en France. « Tel-Aviv suspects » l’avait précédé.
Tel-Aviv suspectsIci, il nous précipite dans l’actualité la plus brûlante. Les réfugiés, les migrants qui viennent d’Afrique – l’Érythrée et le Soudan en l’occurrence – et leur accueil en Israël. Il met en scène un député de la Knesset, l’Assemblé nationale, Réguev qui a bâti sa carrière politique sur la chasse aux Africains. On n’a pas besoin de se forcer pour imaginer son discours. Il entraîne avec lui des procureurs. Se dresse contre cette profonde exclusion, moralement et économiquement déplorable, des associations qui se battent pour la défense des droits de ces immigrés. C’est le cas d’une jeune femme Michal Poleg que l’on retrouve assassinée. Une jeune femme, lieutenant de police, Anat Nahmias, est chargée de cette enquête. Elle passe dans les quartiers où vivent ces populations, dans des squats insalubres. La description ce Tel-Aviv n’est pas le seul intérêt de ce roman. Un vrai polar avec ce qu’il faut de révolte, de dévoilement d’une réalité cachée, de volonté de faire prendre conscience de la nécessité de lutter, de combattre les préjugés.
Ne rater pas Liad Shoham !
Nicolas Béniès
« Terminus Tel-Aviv », Liad Shoham, traduit par Jean-Luc Allouche, 10/18. « Tel-Aviv suspects » est disponible dans la même collection.

Le coin du polar (2)

Polar métaphysique

ake EdwardsonSi ce « Rendez-vous à Estepona » n’avait pas été signé par Ake Edwardson – créateur du commissaire Erik Winter et de ces enquêtes dans la Suède d’aujourd’hui renouvelant l’art d’un Henning Mankell, Mankell qui vient de nous quitter en ce début du mois d’octobre 2015 -, je ne vous en aurai pas parlé tellement cette absence d’intrigue soit laisse sur sa faim, soit fait rigoler un peu jaune soit dévoile la fin de l’écrivain Edwardson.
Un publicitaire suédois semble rattrapé par un passé dont on saura peu de choses sinon que c’est l’histoire d’un amour, « éternel et banal » chantait Dalida en reprenant une chanson mexicaine et d’une vengeance d’un de ses amis basque. Il part en Espagne – sur la Costa del Sol quand même – avec sa femme, Rita. S’ensuit un jeu de masques qui se dévoile à la fin sans que le lecteur y participe.
Une des lectures possibles est celle des interrogations d’Ake. Qu’est ce que la fiction ? La réalité ? Où s’arrête la puissance de création de l’auteur ? Les personnages se relèvent-ils à la fin comme au théâtre ou au cinéma ? Comment rendre compte de la réalité de notre monde ? Faut-il le faire ou se réfugier dans un monde métaphysique dans lequel la peur, l’angoisse n’existent pas ?
Ce questionnement, plutôt métaphysique, aurait pu faire l’objet d’un essai mais pas d’un polar. L’auteur voulait perdre – et sans doute se perdre aussi – le lecteur dans un labyrinthe où la voix du narrateur pouvait servir de faux guide et il n’arrive qu’à lasser le spectateur. La scène est vide et les masques n’ont pas besoin de tomber pour aller voir ailleurs si le soleil ne s’est pas levé sur un autre auteur.
Nicolas Béniès
« Rendez-vous à Estepona », Ake Edwardson, traduit par Rémi Cassaigne, 10/18

JAZZ, Sylvain Beuf


Un son de saxophone pour un art de la composition.

beufSylvain Beuf, compositeur, fait la démonstration avec « Plénitude » – un titre justifié par la musique – de sa palette. Il écrit visiblement pour son groupe en prenant en compte les spécificités de ses compagnons, Manu Codjia, guitare, lui aussi atteint par le syndrome « plénitude », Philippe Bussonnet, basse électrique, Julien Charlet, batterie et un invité Laurent Coulondre, piano et orgue. Le saxophoniste ténor et soprano qu’est aussi Sylvain Beuf continue de privilégier le son au détriment quelque fois du rythme. Un son de saxophone qui tient beaucoup de l’école française de cet instrument.
Le compositeur ne se refuse rien. Ni le binaire, ni le rock ni aussi les incursions dans le modal ou les modes de John Coltrane. C’est quasiment un tour d’horizon des musiques que l’on pourrait entendre aujourd’hui, y compris ces fameuses « musiques du monde » si les programmateurs avaient un peu de liberté et n’étaient soumis au régime « il faut faire de l’audience » et satisfaire les goûts du public, un public souvent pris pour des imbéciles.
Dans le marasme économique actuel, Sylvain Beuf a été obligé de créer son propre label, Impro Primo Records à qui on souhaite une longue vie…
Il reste qu’il manque le « je-ne-sais-quoi » qui fait la différence. Pas grand chose. Le plaisir est entier mais on aimerait plus de folie, de lâcher les amarres pour s’envoler vers d’autres cieux…
Nicolas Béniès.
« Plénitude », Sylvain Beuf, Impro Primo Records distribué par Socadisc

JAZZ, Jean Loup Longnon

Un enragé du Big Band… et du scat

longnonJean Loup Longnon est trompettiste et puise dans les trésors enfouis de tous ses prédécesseurs à commencer par « Dizzy » Gillespie dont il la faconde. Plaisir aussi chez lui de jouer et de jouer avec d’autres. Surtout, il adore à la folie les sons d’un grand orchestre qu’il dirige d’une main de maître. Pour son dernier opus « Just Time », produit par l’« Association Longnon Big Band », il s’est résolu à constituer un quintet sans renoncer pour autant aux sections de grand orchestre pour certaines de ses compositions ou standards. Il n’a pas craint de récréer le sirtaki des Enfants du Pirée en bossa. Un retour à l’enfance est le signe des compostions et arrangement de cet homme qui a toutes les apparences du bon vivant. Le scat est son autre territoire qu’il arpente avec délice, faisant découvrir aux auditeurs son jardin d’éden.
Quintet donc pour ce « à l’heure » ou juste dans le temps ou le tempo pour des musiques dites « mainstream » autrement dit dans le courant principal du jazz. Il évite les rivages du free jazz cheminant dans les systèmes d’accords allant jusqu’au-delà du be-bop. Des terres déjà visitées qu’il arpente avec gourmandise. Pascal Gaubert, saxophone ténor, Ludovic Allainmat, piano, Fabien Marcoz, contrebasse et Frédéric Delestré, batteur participent pleinement au son de cet album faisant d’un quintet, un grand orchestre. Ils sont aidés par une pléiade d’invités.
Cette musique est faite pour être aimée. Et on l’aime. Malgré tout, quelque chose d’inachevé empêche d’y adhérer pleinement. Sans doute la faute à pas assez d’argent.
Tel que, visiter ces jardins. L’air qu’on y respire n’est pas pollué et la joie de vivre, d’exister y règne en maîtresse…
Nicolas Béniès.
« Just Time », Jean Loup Longnon quintet, Association Longnon Big Band, www.longnon.com

JAZZ, Antonio Sanchez

Images complexes

sanchezAntonio Sanchez, batteur et compositeur, sort d’une nouvelle expérience. Il a composé la musique du film « Birdman », la dérive de Michael Keaton dans Broadway, et a voulu se servir de cette vision pour construire, avec son groupe « Migration » – une déclaration politique par les temps qui courent -, un film imaginaire sous la forme de méridiens qui s’entrecroisent. Seamus Blake, saxophone ténor et EWI, un instrument électronique utilisé d’abord par Michael Brecker, John Escreet, piano et Fender Rhodes, Matt Brewer, contrebasse et basse électrique participent pleinement à cette construction comme les invité(e)s, Thana Alexa, vocaliste et Adam Rogers, guitariste. Il faut ajouter les sons électroniques voulus par le compositeur pour construire une musique de nos temps modernes et barbares. Une musique en phase à la fois avec les jazz et les musiques actuelles. Il n’en faudrait pas plus pour faire de cet album, celui d’une génération…
« The Meridian suite » mêle le rythme, l’harmonie et la mélodie en un enchevêtrement qui doit beaucoup à Ornette Coleman tout en maintenant une lisibilité étrange grâce à l’énergie déployée par tous les membres du groupe. Sans oublier évidemment les influences du rock et de la pop music pour dessiner un monde étrange, le nôtre, à la réalité mouvante et changeante. Il reste aussi le rêve d’un autre monde, de celui qui verra, sur les décombres de l’ancien, renaître la fraternité. La musique sans nom qu’est le jazz dans toutes ses composantes permet d’inviter au rêve.
Le batteur se trouve libéré par le compositeur et ne craint pas de déployer les sons d’un instrument qui a encore des capacités inexplorées. L’album le plus abouti – en attendant le prochain – de Antonio Sanchez qui réussit à nous perdre dans ces mélanges de méridiens indiquant, dans le même temps, la complexité d’un monde en forme de labyrinthe.
Nicolas Béniès.
«  The Meridian Suite », Antonio Sanchez & Migration, CamJazz distribué par Harmonia Mundi.

Regarder la France

Voir la France d’un œil étonné.

Deux « Atlas » publiés par les éditions Autrement permettent de regarder notre curieux pays différemment. « Atlas de la France incroyable » dessine un espace géographique inédit de la part de Olivier Marchon – un nom qui sonne comme un pseudo, trop près de son sujet en quelque sorte. Sans répéter la préface de François Morel qui parle d’un Atlas indispensable et inutile mais fait pour rêver, il faut dire que les découvertes sont multiples. La première carte intitulée « La France est un pays » donne le ton. France des géographes où il fait bon vivre en solitaires (ou pas), pour reprendre les légendes de cette carte. 36 681 communes recensées dans les quelles le préfixe « Saint » est le répandu, aux noms exotiques comme « Plaisir », « Bidon », « Oz » – on cherche le magicien – « Chatte » ou d’une simplicité dévastatrice comme « Montville ». Voilà pour les territoires. Pour l’Histoire, la France ne fut pas toujours hexagonale. Elle a subi des invasions et deux guerres mondiales qui l’ont transformée. Toutes les autres parties sont à l’avenant. Il faut découvrir cet Atlas.
Il faut le compléter par un autre. « Atlas de la France mystérieuse », sous titré « 40 histoires vraies qui font vaciller la raison » réunies par Fabrice Colin, par ailleurs auteur de fantasy et de Science-Fiction. Il a repris des histoires dont les causes sont inexpliquées dont cette « Dame Blanche qui débute de recueil. Un cas qui se rencontre dans toutes les localités comme si cette « fantaisie » faisait partie des histoires partagées. Les hallucinations collectives existent, chacun d’entre nous les a rencontrées. 40 sujets de romans à venir ?
Nicolas Béniès
« Atlas de la France incroyable », Olivier Marchon ; « Atlas de la France mystérieuse », Fabrice Colin, Autrement.

JAZZ, un, deux… festivals de jazz et d’autre

En automne, les festivals de jazz fleurissent

Le soleil, on le sait, se couche à l’Ouest et la Bretagne est aux premières loges. Penn Ar Jazz, membre du Syndicat des Musiques Actuelles (SMA) ; organise pour la 12e année son « Atlantique Jazz Festival » qui se déploie de Brest à Quimperlé. Chicago est la ville de référence du jazz – et de la mafia mais aussi des syndicats, de l’architecture, de la sociologie et de bien d’autres choses encore – et elle se transporte en Bretagne pour fêter les 50 ans de l’AACM, une association qui veut promouvoir la créativité des musicien(ne)s. Le groupe le plus connu en France fut l’Art Ensemble of Chicago… Aujourd’hui la scène est en train de changer. Le label « RogueArt », sous l’impulsion de Alexandre Pierrepont, permet de suivre les créations de ces jeunes musicien(ne)s. Ils et elles seront présent(e)s de même que les groupes de l’Ouest de la France. Une nouvelle version de la conquête de l’Ouest…
De l’Ouest au Nord le pas est vite franchi. 29 ans désormais que va exister le festival « Tourcoing Jazz » pour une programmation qui fait la part belle à la fois aux groupes de jazz français et aux nouveaux venus de la scène du jazz comme « Snarky Puppy » ou Hugh Colman ainsi qu’aux têtes d’affiche comme Manu Katché ou Lee Konitz sans oublier le blues de John Mayall ou d’Otis Taylor. Au-delà de cette programmation, se met en place des initiatives multiples notamment avec les élèves des écoles pour faire connaître cette musique trop souvent qualifiée d’intello, insulte suprême.
29e édition aussi pour le « D’Jazz Nevers Festival » qui nous oblige – c’est tout relatif – à descendre un peu vers le sud. Les musicien(ne)s de jazz français sont ici bien mis en valeur même si les « vedettes » s’appellent Jack DeJohnette (avec Ravi Coltrane), Enrico Rava, John Scofield en compagnie de Joe Lovano (ou l’inverse) et, de nouveau, Hugh Colman. Une programmation prometteuse pleine de surprises et de découvertes. Des tables rondes sont organisées, des séances de cinéma, des conférences pour faire comprendre l’importance de cette musique et son aura.
« Jazz au fil de l’Oise » fête, lui, son 20e anniversaire, un bel âge. Stéphane Kérecki – « Nouvelle vague » sera amputé de son pianiste John Taylor mort quasi sur scène cet été – viendra, tout comme Henri Texier, de Nevers pour se produire dans les villes du Val d’Oise qui s’ouvriront aussi aux Big bands de Laurent Mignard et de Michel Pastre pour un hommage conjoint à Duke Ellington et Count Basie. Comme souvent désormais, les musiques dites du monde seront présentes. Yom, superbe clarinettiste, pour la musique Klezmer et Ibrahim Maalouf qui servira la musique de la grande chanteuse égyptienne, Oum Kalthoum. Il ne faudra par rater le « Sacre du Tympan » ou Renaud Garcia-Fons ou Avishai Cohen…
Nicolas Béniès.
Atlantique Jazz Festival, du 2 au 18/10, rens. 02 29 0040 01, www.penn-ar-jazz.com
Tourcoing Jazz Festival, du 10 au 18/10 www.tourcoing-jazz-festival.com
D’Jazz Nevers Festival, du 6 au 14/11 rens. 03 86 57 00 00, www.djazznevers.com
Jazz au fil de l’Oise, du 6/11 au 13/12, rens. 01 34 48 45 03, www.jafo95.com

MUSIQUES DU MONDE
Pour la 16e édition du « Festival villes des musiques du monde », la Seins Saint Denis se transforme en « Andalouses » pour une rencontre de cultures. Les musiques andalouses proviennent de plusieurs sources. Elles sont à la fois judéo-espagnol – Isabelle la Catholique avait décidé d’expulser tous les Juifs d’Espagne à la fin du 15e siècle mais les traces sont restées -, arabo-andalouse, gitane pour faire la démonstration que le créer ensemble est la seule façon de nourrir les cultures. Sinon, elles disparaîtraient. C’est une leçon d’espoir dans un monde en train de basculer. Le flamenco aujourd’hui se trouve, comme la plupart des autres musiques, obligé de se refonder, se servir de la tradition pour la bousculer, faire naître une autre manière d’entendre le monde.
N.B.
« Les Andalouses », Bals, concerts, Ateliers, Repas, Croisière musicale… Seine Saint-Denis, Paris, Andalousie, du 10/10 au 8/11, rens. 01 48 36 34 02, www.villesdesmusiquesdumonde.com

Minifest 10e (2)

Un petit format de festival… pour rencontres et découvertes.

minifest2015Jean-Benoît Culot est batteur… de jazz. Ce n’est pas là le moindre de ses défauts. Il est aussi, et depuis 10 ans désormais révolus, organisateur d’un « Minifest » en compagnie du saxophoniste ténor Nicolas Leneveu.
Ce « Minifest » est aussi conçu comme un lieu de rencontres – des « jam sessions », des « bœufs » en français concluent chacune des 5 journées – et de découvertes de musiciens encore inconnus mais qui ne demandent qu’à pulvériser la scène du jazz et le jazz lui-même. Pour lui faire répondre à sa définition, s’outrepasser une fois encore.
C’est encore le cas cette année avec le « Brothers trio » du bassiste français Géraud Portal dans la lignée à la fois de Jimmy Garrison – le contrebassiste du quartet historique de John Coltrane -, de Charles Mingus et aussi de toute l’école actuelle new-yorkaise et de Chicago, en lien avec le pianiste Matthew Shipp et la bassiste William Parker. Étienne Deconfin, pianiste qui se reconnaît les mêmes influences – rajoutons, pour faire bonne mesure, McCoy Tyner – que son ami bassiste et le jeune batteur, 23 ans, Kush Adabey complètent ce trio capable de soulever des vieilles pierres pour y trouver des trésors insoupçonnés. Un batteur qui provient d’une lignée de batteurs et qui a commencé à étudier la musique, comme il se doit, à 5 ans.
Kush-Abadey-Promo-Shot-11Un batteur de jazz qui rompt avec la pléiade des batteurs d’aujourd’hui plus percussionnistes que batteurs. Il sait ce que la tradition veut dire. Il a écouté tous les grands batteurs et il en fait son quotidien. Une puissance de feu qui fait plaisir à entendre. Noter bien son nom, il fera d’autres étincelles et mettra des feux à d’autres plaines.
Les deux autres ne s’en laissent pas compter. Le plaisir de jouer ensemble est perceptible. Ils réchauffent la flamme. Ils ne sont pas là pour « faire le job » mais pour enchanter le public en s’enchantant – ne pas oublier « chantant » – eux-mêmes. Des compositions originales dues à la plume des trois énergumènes pour terminer avec un hommage à Coltrane autour de « Naïma ».
BrothersIls viennent de sortir un CD, « Brothers » (Jazzia Prod) à écouter…

Merci à Jean-Benoît pour ce moment intense de musique et de fraternité partagée.

Ce n’était pas la seule découverte pour beaucoup de ces nombreux – relativement au lieu, petit, de la cave de ce café « El Camino » – spectateurs. Le saxophoniste alto et soprano Baptiste Herbin a fait, une fois encore – je l’avais vu à Coutances et j’en étais ressorti ébloui -, la preuve de son désir de jouer et de jouer encore. A la manière de Roland Kirk, il ne craint de souffler dans ces deux saxophones à la fois pour faire entendre une section de saxophones. A lui seul, les morts vivant qui peuplent trop souvent nos univers ont intérêt à bien se tenir. Il pourrait les réveiller pour leur faire découvrir un autre monde.
Il a mûri tout en conservant un enthousiasme mâtiné sans doute de désillusions. La reconnaissance de son talent se fait attendre. Si les programmateurs n’étaient par trop obnubilés par la nécessité de la réussite à tout prix, ils auraient mis en avant ce musicien qui ferait – et a fait – un tabac, comme on ne dit plus depuis que fumer est interdit dans les lieux publics. Ce soir là, vendredi 2 octobre, il était en compagnie de Jean-Benoît Culot à la batterie obligé de se dépasser fouetté qu’il était par ce jeune homme sympathique et « qui en veut », Rénald Fleury à la contrebasse poussé à crier le blues et le reste et Emmanuel Dupré pianiste réputé même s’il semble sous estimé, assisse nécessaire pour que les trois autres s’évadent.
Le public sort de là épuisé tout en redemandant, en voulant achever les musiciens en s’achevant soi-même.
Ces soirées, ces musiciens laissent un peu dans l’ombre les autres participant(e)s de ces rendez-vous. Ce serait un tort. Priscilia Valdazo, contrebassiste, chanteuse et, pour l’occasion de son solo, pianiste a présenté un florilège de chansons argentines, espagnoles et brésiliennes pour parfaire sa définition. Dans les mondes du jazz, elle est surtout reconnue comme bassiste. Un répertoire qui demande à être peaufiné. La reprise des « petits riens » de Gainsbourg pourrait faire l’objet d’un spectacle…
François Chesnel, en piano solo, sait faire visiter quelques thèmes un peu trop oubliés comme « The Peacoks » de Jimmy Rowles (que Jimmy avait enregistré en duo avec Stan Getz), donner toute sa place à Monk – « We See » – et improviser une fin sur des rythmes d’aujourd’hui.
Au total, et comme souvent au cours de ces 10 ans – un anniversaire important les 10 ans pour n’importe quel festival – un « Minifest » qui a permis, à un public pas aussi vieux qu’ailleurs, de fusionner avec des musicien(ne)s qui ne veulent tomber dans des routines qui tuent le plaisir de jouer.
Rendez-vous pour la 11e édition !
Nicolas Béniès.

Le Minifest a eu lieu du 29 septembre au 3 octobre 2015 pour sa 10e édition.

Un visiteur au regard neuf du Minifest, Jean-François Viaud

Jean-François Viaud est lyonnais et chroniqueur à « Jazz Rhône Alpes, un site qui s’est donné pour objectif de faire connaître – et de rendre compte – de toutes les initiatives autour du jazz dans la Région. Nous nous sommes rencontrés à Crest en un temps où le festival « Crest Jazz Vocal » faisait une gazette.
Il était de passage à Caen pour l’ouverture du Minifest et il nous livre ses impressions et ses photos…
Réactions à envoyer à jeanfrancois.viaud@orange.fr
PS la première photo a une position curieuse. Je l’ai laissée tel que pour jouer avec la réalité et rendre hommage à Fred Astaire dans « Mariage royal »…

Dixième, Première ! Clap de départ.

IMG_0622C’est en chantant : « Happy Birthday MiniFest… », que Jean-Benoît Culot, le batteur et responsable de l’atelier BeBop Caen Jazz Action et Nicolas Leneveu, saxophoniste et programmateur du festival, ont présenté cette dixième édition du festival Caennais. Le batteur a fait une allusion à la coupe du monde de rugby qui a déjà bien démarrée, mais c’est en trois sets gagnants que va se jouer cette première soirée du festival MiniFest à El Camino. Pour l’occasion, la cave est au complet avec un public que l’on verra connaisseur et passionné et qui sera conquis et enthousiaste au fil de la soirée.
Le premier set est consacré à l’Atelier Be-Bop Caen Jazz Action, dirigé par Jean-Benoît Culot qui emmène avec passion et pédagogie ses élèves sur les rythmes des standards Bop. Le swing va s’imposer doucement mais sûrement avec l’entrée des musiciens au fur et à mesure des morceaux. Sur un Night and Day revisité sur un tempo Bossa Nova, c’est un trio rythmique avec Luc Verdiere à la Contrebasse, Marc Fourret et/ou Pierre Dorbay à la guitare et Jean-Benoît Culot à la batterie qui démarre. Les lignes du contrebassiste sont discrètes mais omniprésentes dans l’assise rythmique et le jeu du guitariste est fluide, précis et délicat passant tour à tour de la mélodie à la rythmique. Le leader assure un jeu délicat sur les peaux de ses fûts et aérien sur les cymbales, il s’accompagne en marmonnant le thème IMG_0615et en motivant ses élèves tout au long du set avec des encouragements bienveillants. Le deuxième titre est également détourné de son tempo avec une version cubaine pour un Love for sale sur un rythme de clavé. Ce morceau fera entrer en scène les autres musiciens de l’atelier avec Patrick Bibaut au piano pour un complément de rythmique solide et Ella au chant qui maîtrise les standards d’une voix posée mais que l’on aimerait voir prendre plus de puissance pour qu’elle développe tout son potentiel. Viendront s’ajouter la section de cuivre avec Serge Pogam au saxophone ténor, Christophe Leveque à la trompette et au bugle et Eddy Roges au saxophone baryton, ces deux derniers attaques par un solo chacun sur le titre. Ils prendront ensuite des solos individuels et suivront les chorus en trio selon les morceaux. Les standards se succèdent avec It Don’t Mean a Thing (If It Ain’t Got That Swing) sur lequel on note un bel échange de solo entre le trompettiste et le batteur. On passe à You don’t know what love is ou l’ensemble nous emmène dans le registre de la ballade avec une belle intro de la contrebasse et de la batterie. Un solo au bugle et un solo du baryton donnent un ton blues à ce titre. Les trois cuivres terminent en beauté sur le chorus en trio. La rythmique de la guitare, de la contrebasse, du piano et de la batterie est soudée derrière les solistes. Pour le titre suivant, Appel Jump, Nicolas Leneveu rejoint le groupe au ténor avec un solo fluide et très maîtrisé qui emmène ses partenaires dans un swing Bop énergique. Après un solo de piano soutenu par les rimshot du batteur les soli de la guitare et des cuivres s’enchaînent. Le premier set s’achève avec pour rappel, une composition personnelle du leader Blues for Pierre, en hommage à l’écologiste Pierre Rabhi. Tous les musiciens prennent un solo sur ce blues et la chanteuse termine par un scat pour ce final.

Le deuxième set accueille le duo de Clémence Gaudin à la contrebasse et Betty Jardin au chant. Les deux musiciennes se sont déjà produites au MiniFest l’an dernier et sont à nouveau programmé pour cette édition et pour le plaisir de tous ; mais avec des surprises annoncent-elles. On reste dans un univers Bop mais la configuration de la formation change avec un style affirmé et une ambiance intimiste. L’attaquent de la contrebasse est franche sur That there, qui donne tout de suite le ton d’un rythme rapide et solide. La voix a une tessiture affirmée mais reste délicate et se risque rapidement à quelques scats discrets. Une version swinguante et délicate de Night and Day annonce une belle osmose du duo pour la suite de la prestation. La voix délicate mais déjà puissante met en valeur les phrases des chansons avec le soutien des lignes musicales de la contrebasse. L’exercice du duo voix avec un instrument acoustique n’est pas facile. On pense évidemment à Musica Nuda, avec Petra Magoni au chant et Ferruccio Spinetti à la contrebasse dans un registre jazz plus influencé de Pop ; mais aussi au duo Une voix, dix doigts de Claude Nougaro et Maurice Vander au piano. Tout l’art consiste dans cet exercice, à se compléter et se mettre en valeur mutuellement sans se faire de l’ombre, ici les deux jeunes femmes y parviennent ! La reprise Ain’t No Sunshine de Bill Withers, va leur donner l’occasionIMG_0612 de s’exprimer dans le registre du blues avec cette mise en valeur réciproque de la voix et de la contrebasse. Sur la composition originale qui suit, la contrebassiste démontrera la dextérité et la délicatesse de son jeu à l’archet, tandis que sa partenaire montrera sa maîtrise du scat et des effets vocaux sans s’imposer. Sur I’m A Fool To Want You, la voix est sincère et interprète le thème avec conviction. La précision et la délicatesse des lignes de basse souligne et met en valeur la voix. Le morceau suivant est une composition originale, il s’agit d’un blues composé avec le batteur Jean-Benoît Culot qui rejoint le duo sur scène pour l’interpréter. Le trio est rapidement en osmose, avec la chanteuse qui scat et le batteur qui vient mélanger ses onomatopées pour s’accompagner. Un échange délicat a lieu entre la contrebasse et la batterie aux balais sur les fûts et les cymbales. Le batteur fera un usage tout aussi précis aux mailloches sur Love or leave me pour accompagner la parfaite prononciation et intonation de la voix sur ce thème. Pour la composition originale suivante c’est en quartet avec un saxophone que le groupe va s’exprimer dans un style plus free, tout en gardant une écoute mutuelles pour produire un échange de qualité. Ils poursuivront dans cet esprit sur le morceau suivant, cette fois en quintet, avec un pianiste. On sentira la chanteuse portée par ses partenaires sur Everybody Wants to be a cat, l’osmose a également pris à cinq ! C’est sur Say It Ain’t So, Joe, que le groupe termine par un rappel avec ce onzième titre, pour un retour au calme sur le tempo d’une ballade et en douceur pour ce final.

La soirée se termine par un troisième et dernier set sur une jam ouverte à tous les musiciens. Les amateurs présents se joignent aux élèves de l’atelier BeBop. Les standards et les soli s’enchaînent avec passion au rythme des musiciens qui se remplacent avec plaisir sur la scène. Tous les ingrédients du bœuf sont réunis ce soir : une direction de l’échange par des anciens confirmés, un répertoire connu de tous, un niveau équilibré des participants et la joie ainsi que la passion de chacun. On verra défiler sur scène plusieurs batteurs, pianistes et contrebassistes. Une chanteuse viendra terminer élégamment un titre après les solos d’un saxophoniste et d’un trompettiste. Ce dernier terminera la jam avec un titre dans lequel un échange avec une flûtiste traversière donnera un beau dialogue musical. Cette soirée démontre bien le dynamisme de la scène jazz de Caen, qu’elle soit amateur ou professionnelle. Souhaitons au MiniFest que pour ses dix ans, toute la semaine se déroule sur la même tonalité de la passion et de la bonne humeur.

Jazz Festival MiniFest 10 ans
Chronique Duo Gaudin/Jardin
El Camino à Caen
29 septembre 2015