Rencontres de cultures

Un projet fraternel, entre passé et futur.

Petra« Petra » est un drôle d’album. Pour plusieurs raisons. La première et non la moindre porte sur le lieu : le site archéologique de Petra, en Jordanie. La deuxième, le trompettiste italien de jazz, Luca Aquino, a voulu jouer sur les résonances de cet environnement. Comme la recherche d’échos du passé pour faire surgir les fantômes, nombreux sur le site, pour opérer une jonction de mondes, pour que le patrimoine redevienne vivant. La troisième, une coproduction UNESCO (à Amman)/Organisation Abu-Ghazaleh (producteur aussi de l’album)/Association de l’Orchestre National Jordanien et les autorités régionales de Petra.
Luca Aquino signe une suite en 9 mouvements dans laquelle figure bizarrement le « Smile » de Charlie Chaplin qui sert de musique de fond du film « Limelight », « Les lumières de la ville ». Pour sourire à la vie, malgré tout et contre tout… Une suite où se mêle et s’entremêle toutes les cultures de cette région, toutes ces danses, toutes les joies et les douleurs d’un monde en train de basculer vers un ailleurs inconnu.
En même surgissent les mânes de Miles Davis à qui le trompettiste fait souvent référence, une référence en osmose avec les compositions, avec les rencontres d’instruments issus d’environnements divers, un collage qui fonctionne. L’accordéon apporte sa touche et l’orchestre sonne soit comme un orchestre symphonique, soit comme un orchestre qui pourrait accompagner Oum Kalthoum. Le blues fait bon ménage avec la musique des Bédouins pour indiquer qu’il est possible de partager et de jouer sur tous les tons.
Un hymne à la fraternité, au dialogue entre les cultures pour s’enrichir mutuellement. Dans le Moyen-Orient d’aujourd’hui, c’est une nécessité sinon toutes les constructions intellectuelles s’écrouleront. Et le site archéologique pourra s’enrichir de nouvelles ruines…
Nicolas Béniès.
« Petra », Luca Aquino & Jordanian National Orchestra, Talal Abu-Ghazaleh International Records, Bonsaï

JAZZ, Jean Loup Longnon

Un enragé du Big Band… et du scat

longnonJean Loup Longnon est trompettiste et puise dans les trésors enfouis de tous ses prédécesseurs à commencer par « Dizzy » Gillespie dont il la faconde. Plaisir aussi chez lui de jouer et de jouer avec d’autres. Surtout, il adore à la folie les sons d’un grand orchestre qu’il dirige d’une main de maître. Pour son dernier opus « Just Time », produit par l’« Association Longnon Big Band », il s’est résolu à constituer un quintet sans renoncer pour autant aux sections de grand orchestre pour certaines de ses compositions ou standards. Il n’a pas craint de récréer le sirtaki des Enfants du Pirée en bossa. Un retour à l’enfance est le signe des compostions et arrangement de cet homme qui a toutes les apparences du bon vivant. Le scat est son autre territoire qu’il arpente avec délice, faisant découvrir aux auditeurs son jardin d’éden.
Quintet donc pour ce « à l’heure » ou juste dans le temps ou le tempo pour des musiques dites « mainstream » autrement dit dans le courant principal du jazz. Il évite les rivages du free jazz cheminant dans les systèmes d’accords allant jusqu’au-delà du be-bop. Des terres déjà visitées qu’il arpente avec gourmandise. Pascal Gaubert, saxophone ténor, Ludovic Allainmat, piano, Fabien Marcoz, contrebasse et Frédéric Delestré, batteur participent pleinement au son de cet album faisant d’un quintet, un grand orchestre. Ils sont aidés par une pléiade d’invités.
Cette musique est faite pour être aimée. Et on l’aime. Malgré tout, quelque chose d’inachevé empêche d’y adhérer pleinement. Sans doute la faute à pas assez d’argent.
Tel que, visiter ces jardins. L’air qu’on y respire n’est pas pollué et la joie de vivre, d’exister y règne en maîtresse…
Nicolas Béniès.
« Just Time », Jean Loup Longnon quintet, Association Longnon Big Band, www.longnon.com

Le jazz Outre Rhin

Une rencontre Allemagne/Suède, deux partout.

Un quartet se décompose de plusieurs manières. Un trio + 1, 2+2 ? Le tout soit être égal à 1, si l’entité se construit. Il faut pouvoir donner la parole à l’ensemble et seules les compositions comme l’écoute réciproque peuvent le permettre.
Ici, pour ces contes venant du Sud, « Tales from the south », Alex Schlosser, trompettiste et bugliste réalise son premier album. Il se fait accompagner par le trio Olaf Polziehn, piano qui se souvient de tous les pianistes et fait preuve d’une énergie vitale qui renverse toutes les barrières, Martin Sjöstedt, contrebasse et Daniel Fredriksson, batterie qui font preuve d’une très belle complémentarité et offre le soubassement dont trompettiste et pianiste ont besoin. Pour certaines de ses compostions – la totalité des 11 plages à l’exception d’un traditionnel et d’une composition d’Ellington, « portrait de Louis Armstrong », sont de sa plume – c’est un trio mettant en valeur la sonorité du trompettiste, pour d’autres un subtil mélange de mise en évidence de chacune des individualités et pour d’autres encore la naissance d’un quartet.
Le leader a voulu multiplié les expériences. Ce mélange de deux musiciens allemands, lui né en 1976 et le pianiste Olaf Polziehn, et de deux musiciens suédois pour un mélange encore plus étrange entre toutes les musiques du jazz, jazz dit traditionnel y compris (un rag fait la démonstration d’une adaptation moderne de cette forme musicale qui remonté à la fin du 19e siècle) comme la musique contemporaine, du free jazz inclus. Un son de trompette qui fait penser à la fois à Louis Armstrong et Don Cherry – sonorités pas si éloignées qu’il le semble à première vue.
Il faut entendre ces musiciens même si, pour ce premier opus, il a voulu trop en dire. Chaque plage quasiment est une atmosphère particulière. Comme si le choix n’était pas possible. Il ne veut rien renier, à juste raison. Il a commencé par le Jazz traditionnel et il en garde quelque chose. Il évoque même « Cootie » Williams, un des grands trompettistes de l’orchestre de Duke Ellington. Une sorte d’histoire en raccourci de la trompette. Le pianiste sait évoquer les grands pianistes comme Wynton Kelly… De drôles de contes qui savent nous parler…
Ils font aussi la preuve de la vitalité du jazz outre Rhin, en poussant jusqu’à la Suède. Une manière de faire l’Europe en s’interrogeant sur le lieu de ce Sud dont parle le titre de cet album ? Et s’il s’agissait justement de réunir les pays du Nord et du Sud de l’Europe ? Comme de réunir tous les jazz ?
Nicolas Béniès.
« « Tales from the South », Axel Schlosser, Double Moon Records, distribué par DistrArt.