Melting pot littéraire
« Geronimo et moi » est un bon titre d’appel mais ne résume en rien l’ambition de l’auteur, Lilian Bathelot qui, dans un même mouvement et à travers l’écriture du journal de Francine Vay dessine une fresque de la fin du 19e siècle. Une petite paysanne, éduquée par les Sœurs, se fait violer par son patron, apprend à accepter son sort jusqu’à rencontrer une libraire qui milite pour la reconnaissance des droits des femmes. Lectures, conférences et elle devient journaliste pour le « Cri du peuple » dirigé par Vallès avant et pendant la Commune. Elle voudrait publier son enquête sur le trafic de femmes dans la Capitale mettant en cause des notables, protégés par Thiers à la tête des Versaillais et des Prussiens pour réprimer dans le sang les révolutionnaires trop près du ciel. Francine croise Louise Michel dont elle fait un portrait laudatif.
Que pouvait-il advenir à la suite de la semaine sanglante qui porte bien son nom ? La fuite est une fuite vers les États-Unis comme beaucoup de membres de l’AIT, l’Association Internationale des Travailleurs, la Première Internationale, avant et après cette période à l’origine du syndicalisme américain d’abord clandestin. Dans la formation de ce mouvement ouvrier, les frontières n’existent pas entre la lutte syndicale et politique. Ce sera à la Deuxième Internationale de le faire…
A partir de cet exil, les deux récits s’entremêlent. Un exercice de mémoire de Francine et sa réalité de « pionnière » dans un chariot comme on le voit dans tous les westerns jusqu’à sa rencontre avec Geronimo qui lui fait prendre une nouvelle nationalité, celle des Apaches puis des Navajos pour vivre en accord avec ses principes.
Une saga à l’écriture entraînante malgré quelques baisses de tension. Le lecteur participe aux luttes – qui nous concernent encore – de ce temps pas très connu, dont on a vaguement entendu parler. La Commune, comme l’analyse Karl Marx dans « La guerre civile en France », cité par Francine, jette les éclats d’un dépassement du capitalisme. C’était trop tôt mais les racines du ciel sont plantées sans avoir décidé de la date. Lire en parallèle les mémoires de Louise Michel (publié par Folio) ainsi que Elise Marientras « La résistance indienne aux Etats-Unis » (Folio) pour se rendre compte que Lilian Bathelot fait aussi fonction d’historien. Il ne craint d’ailleurs pas, dans des notes, de faire preuve d’une préciosité érudite qui fait sourire.
Au total, une grande réussite.
Nicolas Béniès
« Geronimo et moi » », Lilian Bathelot, 10/18
La révolution est à venir
Louise Michel est une des héroïnes de « Le grand soir », du moins son esprit, son aura. Une absente très présente. Le 22 janvier 1905, moment où commence cette histoire, une foule énorme se presse à son enterrement. La révolte gronde, des manifestations ont lieu dans tous les coins de France. La préparation du 1er mai se veut gigantesque. La répression a sorti ses griffes et ses mâchoires pour broyer les cerveaux et bloquer le vent de la révolution qui souffle aussi dans la Russie tsariste. Cette tempête est pour plus tard, les prémisses sont pourtant prometteurs.
Gwenaël Bulteau, jeune historien si l’on en croit son éditeur, nous balade dans ce Paris vu par les yeux d’une jeune femme, Lucie, rattachée à une grande famille de la bourgeoisie, les Desrosières. Elle cherche sa cousine, Jeanne, qui a disparu, engloutie dans la lutte de classe ouverte. Elle a choisi son camp, celui de Louise Michel via une femme médecin – une rareté à cette époque – qui se bat pour les droits de femmes.
L’auteur laisse apercevoir la manière dont ces familles se débarrasse de ces traîtresses à leur classe. Les asiles d’aliénés en sont pleins. Mais là n’est pas son propos principal. Il insiste sur la situation des femmes dans cette société qui refuse de les reconnaître.
L’histoire, les histoires qu’il sait raconter s’inscrivent dans leur contexte. Il donne l’impression de faire un saut dans le temps. « La républiques des faibles », son roman précédent, était déjà une réussite, celui-ci ne l’est pas moins. Une manière ludique de faire de l’histoire.
Nicolas Béniès
« Le grand soir », Gwenaël Bulteau, 10/18
Médecin et détective dans le Lyon de 1786
« L’envers de la Charité » est d’abord la description de l’hôpital/hospice de Lyon qui abritait des milliers de malades, d’orphelines, de médecins, d’apothicaires sous la conduite des édiles de la Ville et de l’Église, les Sœurs étant aussi les infirmières. Une structure verticale où la contestation et même le rire – du diable sans doute – sont proscrits. Pascal Grant, médecin lui-même ; a voulu faire connaître Antoine Toussaint, l’inventeur de la médecine légale. Il en fait aussi un détective pour découvrir pourquoi deux recteurs, chargés de la pharmacie, sont morts assassinés.
L’auteur, c’est parfois fastidieux, ne nous cache rien des avancées médicinales de l’époque, pas toujours pour faire avancer l’enquête. Il représente bien une noblesse déclinante gangrenée par la volonté de s’enrichir à toute force et au prix du sang. La cheffe de bande – une bonne idée – se sait protégée par sa naissance et poursuit ses buts sans se soucier de rien d’autre. Cette aristocrate est aussi financée par d’autres nobles de l’étranger, ces liaisons se manifesteront lors de la révolution.
Pas de fin à ce roman. Vraisemblablement, les protagonistes se retrouveront lors d’une autre aventure. Effet de notre époque, les femmes tiennent le rôle principal. Sans trop d’anachronismes.
Nicolas Béniès
« L’envers de la Charité », Pascal Grand, 10/18