Jazz. Mémoire vivante

Billy Valentine retrouvé

Bob Thiele Jr, le fils de son père, a décidé, poussé par on ne sait quel démon, de faire revivre le dernier label de son père, Flying Dutchman, soit le Hollandais volant, manière de situer les frontières de la légende. Pour incarner ce retour, il fallait un musicien sortant de l’ordinaire. Billy Valentine fut ainsi l’élu. Né le 16 décembre 1925, pianiste, connu aussi sous le nom de Billy Vee, il sera présent dans plusieurs sessions et enregistrements.
« Billy Valentine and the Universal Truth », le présente comme vocaliste avec des compères comme Larry Goldings aux claviers – piano, Fender Rhodes -, Jeff Parker à la guitare, Linda May Han Oh à la basse, Immanuel Wilkins au saxophone ténor notamment pour démontrer que le blues est bien présent, que la voix humaine est un instrument particulier qui sait transporter l’auditeur vers d’autres univers.
Billy Valentine sait reconnaître sa dette à Leon Thomas et à Pharoah Sanders dont il reprend le grand succès, « The Creator has a Master Plan ». La voix exprime un condensé d’expériences dans un écrin de jeunesse et d’une naïveté jamais perdue. Voix du blues pour une plongée dans des contrées où la lumière a du mal à percer, mais aussi joie intense, rires pour lutter contre tous les racismes et les injustices.
Il parcourt les compositions de Curtis Mayfield, Gil Scott Heron, Prince… pour autant de voyages dans nos paysages intérieurs, dans cette musique étrange, mélange de gospel et de vie sous toutes ses formes.
Il faut découvrir Billy Valentine et sa vérité universelle pour sortir du ghetto du monde, de son fonctionnement trop souvent violent et incompréhensible.
Nicolas Béniès
« Billy Valentine and the universal truth », Flying Dutchman/Acid Jazz

JazzHymne à l’enfant


Bonjour à la vie

Jozef Dumoulin, on le sait, pratique tous les claviers, du piano aux synthés en passant par le Fender Rhodes et, ici, il a ajouté la guitare et la voix. « This Body, this Life » s’accorde avec le dessin d’enfant de la pochette. Un hymne à la vie, à la naïveté, aux découvertes de paysages, des environnements qui apparaissent soudain remis à neuf parce que, à force, on ne les voyait plus. L’enfant redonne des couleurs dans sa capacité à recréer le monde.
Jozef Dumoulin a voulu rendre compte de cet univers en train de prendre du relief. Sa musique se veut « comme au premier jour » pour saluer le petit être qui, seulement par sa présence, donne un sens nouveau à toute vie. Le corps s’exprime, envahit l’espace et tout change. Le fils est le père de l’homme, c’est la démonstration que fait cet album, une fois encore.
Nicolas Béniès
« This Body, This Life », Jozef Dumoulin, Carton Records

Jazz, des rééditions ECM aux histoires d’un trio

Rééditions ECM
Dans notre temps marqué par la sobriété, les rééditions ECM prennent totalement leur place. Des digipacks reprennent l’essentiel sous un format réduit.
Présentation qui n’empêche pas les chefs d’œuvre. A commencer par l’album signé par Dave Holland, contrebassiste et compositeur, et son quartet qui comprend Anthony Braxton, Sam Rivers et Barry Altschul, superbe batteur un peu oublié, « Conference of The Birds », un album de free-jazz que la critique de l’époque – 1972 – dira « civilisé », « écoutable. Pourtant la structure des compositions avait de quoi déstabilisé mais les flûtes, de Braxton et de Rivers, évoquant les oiseaux – comme les œuvres de Messiaen ou les improvisations de Dolphy – pouvaient rassurer. A écouter 50 ans plus tard, la musique n’a rien perdu ni de sa force ni de son mystère. Il ne faut pas éviter de participer à la conférence des oiseaux, ceux du jardin de Dave Holland. Si, après cette écoute, vous ne pouvez plus être réfractaire au free jazz !
Anouar Brahem, joueur de oud et compositeur avait, pour cet album « Khomsa » publié en 1995, repris les musiques de films et de pièces de théâtre en Tunisie. Un panorama en forme d’escales allant de « Comme un départ » (signé Galliano) vers « Comme une absence » en passant par d’autres films, d’autres rêves. Richard Galliano, accordéon, François Couturier, piano et synthé, Jean-Marc Larché, saxophone soprano, Béchir Selmi, violon, Palle Danielson, basse et Jon Christensen, batterie, un assemblage européen et un peu tunisien. Accrochez vos ceintures…
Mark Feldman, violoniste, amateur de sons étranges et de sonorités dérangeantes en rapport avec le monde tel qu’il est proposait en 2006 « What Exit » et 17 ans plus tard, l’interrogation est toujours d’actualité. Il est en compagnie de John Taylor, pianiste qui nous a quitté depuis – il faut l’entendre pour le conserver dans nos mémoires – Anders Jormin, contrebasse qui vient de sortir un nouvel album toujours chez ECM, et Tom Rainey, qui fait partie du trio de Stéphane Oliva actuellement pour une musique hors cadre. Il poursuit ses recherches dans un album récent, « Sirocco » enregistré avec le duo Dave Rempis, saxophones et Tim Daisy, batterie, percussion sous le label Aerophonic.
Nicolas Béniès

Un trio
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« New Stories » promettent-ils. « Ils », Hervé Sellin, piano, Jean-Paul Céléa, contrebasse et Daniel Humair, batterie. Ce n’est pas leur faire injure que de dire qu’ils en ont vécu des histoires et intégrer des changements, dans leur jeu, dans leur référence. Ont-ils encore de nouvelles histoires à nous raconter ? Ils en ont. Et des bizarres. Ils se sont amusée et nous aussi à parcourir une partie de l’histoire du jazz y compris dans ses débordements comme ceux de Cecil Taylor ou même Don Pullen. Céléa est toujours habité par le souvenir de Albert Ayler, de Coltrane, Sellin au départ plus sage sait aussi partir vers des endroits moins fréquentés aujourd’hui qu’hier et Humair a conservé la virtuosité qui lui de répondre et de concevoir des univers différents.
Des histoires qu’il faut entendre.
Nicolas Béniès
« New Stories », Trio, Hervé Sellin, Jean Paul Céléa, Daniel Humair, Frémeaux et associés distribué par Socadisc.

Jazz, musique en liberté, Didier Petit, Guillaume Roy

Musique libre en apesanteur
Quand un violoncelle discute avec un violon alto de liberté et de création.

Une rencontre d’abord qui se conjugue en retrouvaille, comme de vieux amis. Un violoncelle, un instrument qui a plusieurs tailles, celui-là est grand et un violon alto, avant le jazz il était alto tout court, un violon qui ne se met pas forcément en avant dans un quatuor mais se trouve obligé de prendre sa place en un duo. Didier Petit et Guillaume Roy ont connu bien des aventures et ont décidé de les partager pour nous entraîner d’abord « A l’est du soleil », manière de s’interroger sur des paysages que même les cosmonautes ont du mal à fréquenter. Des chemins de liberté, de création fusion de cultures pour construire une musique en apesanteur. Elle donne à entendre la pesanteur de nos préjugés dont il faut se séparer pour partir vers les seules destinations qui vaillent, les inconnues. Les titres sont là pour se diriger vers l’ailleurs. La lumière qui vient peut provenir du trou noir et le jeu de mots « Petit roy » pourrait induire du sang bleu se répandant sur le violoncelle et l’alto pour laisser place à la vie. Bêtement, sourdement. Les éclats servent à éclairer des mondes parallèles qui se construisent grâce à nos imaginations croisées.
« Programmes communs », titre qui engage d’autres protagonistes pour continuer le voyage aux confins de l’inter-sidéralisation – un néologisme qui vient à l’esprit. La voix de Kristof Hiriart illustre « les langues comme une », jeux de mots, jeux de chants, de musique pour aller vers une langue des espaces, Catherine Delaunay illustre à la manière de sa clarinette la construction de ces espaces curieux, Michel Rabbia apporte les tambours, percussion et batterie pour conserver le peu qui reste de la terre, Daunik Lazro se joue des saxophones – du baryton en particulier – et de ses histoires, de ses métamorphoses pour aller toujours au-delà, Yaping Wang apporte ses instruments – le yangqiniste – comme le coté est du monde, la Chine ( de Taïwan !) en l’occurrence et Christiane Bopp – elle le fréquence de temps en temps lorsqu’il perd pied -, tromboniste qui sait se servir de toutes les mémoires sans perdre son souffle.
Musiques plurielles, musiques du temps, musiques aussi de racines réelles et imaginaires pour des envolées nécessaires. Il faut aller voir, entendre ce qui se cache à l’est du soleil….
Nicolas Béniès
« A l’est du soleil », « Programmes communs », Didier Petit & Guillaume Roy, coffret de deux CD, une coproduction Cie Dire et Ouïr, Césaré et Basta sarl, In Situ distribué par Orkhêstra.

Jazz. Un trio in-classique

Un trio en apesanteur

« Orbit » le titre de l’album, indique immédiatement l’ambiance. Voir la terre de loin, sans se laisser encombrer par les usages, musicaux comme les autres. Créer des espaces de liberté pour soulever des corps encombrés de pesanteur, faire rêver, ouvrir des portes. Le trio émerge comme un vaisseau spatial en route pour une destination inconnue. Les années lumières défilent pour construire un monde en devenir.
Le sous titre, « in-visibility », joue aussi sur les mots pour souligner les mémoires du jazz, invisibles tellement elles sont présentes. Toutes les mémoires pour façonner celles des futurs inscrites dans le champ infini des possibles.
Stephan Oliva, piano et compositions, Sébastien Boisseau, contrebasse et Tom Rainey, batterie se connaissent bien et jouent ensemble depuis 2016. Leur dialogue est constant pour permettre à chacun de n’être pas à sa place. Le piano peut se faire percussion tandis que la batterie se fait instrument mélodique et la contrebasse soliste et gardienne du rythme s’évade aussi vers des espaces sans frontière.
Une musique qui ne se refuse rien, mélange étrange de traditions, celle du « free jazz » notamment – sans le crier sur les toits – et de modernité pour ouvrir les yeux et les oreilles, pour imaginer un autre monde qui bruisse de bruits venus d’ailleurs.
Nicolas Béniès
« Orbit, in-visibility », Oliva/Boisseau/Rainey, Yolk Music

André Minvielle, une voix nécessaire

Le jazz en voix et en rire

André Minvielle, vocaliste hors toutes catégories, sait, comme un vrai surréaliste, jouer avec les mots en les étirant, en les transformant par un scat étrange dont la signification apparaît nettement. Il fait dire aux mots ce qu’ils voulaient cacher, leur côté rêveur mais aussi érotiques gorgés de plaisir, de rires et de danses. « Ti’Bal Tribal » est un titre qui signifie bien l’essentiel de sa musique. Avec Juliette, sa fille, voix et clavier, Fernand « Nino » Ferrer, assisté de quelques invités de marque – dont Lubat bien sur -, il nous délivre de toutes nos pesanteurs.
Nicolas Béniès
« Ti’Bal Tribal », André Minvielle, La C.A.D./L’Autre Distribution

Jazz. Unir le trio pour en faire une voix qui tourne les pages

Un trio où 3=1

Réunir un saxophoniste ténor, Frédéric Borey, un organiste, Damien Argentieri, et un batteur, Alain Tissot, pour construire une musique d’ensemble sans leader – même à tour de rôle – est à la fois une leçon de démocratie et de synthèse. L’orgue est, d’habitude, depuis au moins Jimmy Smith, un instrument orchestre, envahissant, empiétant sur tous les autres, là il se coule dans les voix des deux autres pour répondre aux sollicitations et aux questions posées. Le saxophone, instrument roi, accepte ces nouvelles contraintes en laissant planer les esprits de Lester Young, Stan Getz, Wayne Shorter, Larry Young… Continuer la lecture

Jazz, Uni, plus fort le trio

Un trio où 3=1

Réunir un saxophoniste ténor, Frédéric Borey, un organiste, Damien Argentieri, et un batteur, Alain Tissot, pour construire une musique d’ensemble sans leader – même à tour de rôle – est à la fois une leçon de démocratie et de synthèse. L’orgue est, d’habitude, depuis au moins Jimmy Smith, un instrument orchestre, envahissant, empiétant sur tous les autres, là il se coule dans les voix des deux autres pour répondre aux sollicitations et aux questions posées. Le saxophone, instrument roi, accepte ces nouvelles contraintes en laissant planer les esprits de Lester Young, Stan Getz, Wayne Shorter, Larry Young…
Les compositions se placent sur le terrain de la balade pour nous faire marcher en s’arrêtant souvent pour contempler un paysage. Elles, se font murmure pour, soudain, se faire plus agressive, plus revendicative. Le cri, la révolte, sous jacente peut jaillir de l’un ou de l’autre, canalisés par l’ensemble pour rester dans l’architecture générale. Il arrive qu’on perde le fil, le son de chacun des instruments pour sombrer dans un ailleurs forgé par ce trio. Continuer la lecture

Jazz de la ferveur de la saxophoniste Claire Michael à la transe de Phil JL Robert

Ferveur

Claire Michael ne cache pas, pour son deuxième album, « Mystical Way », son obédience coltranienne tout en sachant ne pas copier. Elle cherche sa propre voie, mystique si l’on en croit le titre. Elle reprend « A love supreme », Composition célèbre de John Coltrane, thème tellement simple, une prière, que la tentation est grande de la jouer sans changement. Son arrangement laisse intact le « gospel », la référence religieuse, tout en proposant une nouvelle lecture. Jean-Michel Vallet, piano, claviers, Fender Rhodes, Zaza Desiderio, batterie, percussions, Patrick Chartol, basses, Hermon Mehari, trompette un nouveau venu -, forment un groupe soudé qui donne du poids à chacune des compositions. Continuer la lecture

Mémoire de 1999 (suite)

Le Duke, centième ! Action !

Edward Kennedy Ellington dit le Duke pour ses habits bien coupés aurait eu 100 ans le 29 avril. Il a été fêté aux États-Unis. C’est une reconnaissance. DownBeat, la première revue de jazz américaine lui a consacré sa couverture. C’est logique. Il avait construit un univers prenant place dans cette mosaïque appelée jazz. Le mystère Ellington demeure 25 ans après sa mort, en 1974 donc. Il avait réussi à marier des sons pour rendre des couleurs inédites et qui le sont restées. Wynton Marsalis, à la tête de l’orchestre du Lincoln Jazz Center – les albums sont disponibles chez Columbia, distribué par Sony Music – a beau multiplier les hommages et à jouer les partitions comme le Duke – et Billy Strayhorn son alter ego, qu’il ne faut jamais oublier – les avait écrites, il y manque ce quelque chose, ce je-ne-sais-quoi – pour citer Jankélévitch – qui fait l’essentiel. Boris Vian en était un des visiteurs de ce monde merveilleux. Dans « l’Écume des Jours », Chloé – le personnage – provient directement de l’univers ellingtonien et des grandes compositions des années 40. Ces jours de juin se fêtera le 40éme anniversaire de sa mort. Fayard en profit pour rééditer/éditer ses œuvres complètes. Trois volumes parus à ce jour, dont Les chroniques de jazz… Continuer la lecture