Jazz. Un trio in-classique

Un trio en apesanteur

« Orbit » le titre de l’album, indique immédiatement l’ambiance. Voir la terre de loin, sans se laisser encombrer par les usages, musicaux comme les autres. Créer des espaces de liberté pour soulever des corps encombrés de pesanteur, faire rêver, ouvrir des portes. Le trio émerge comme un vaisseau spatial en route pour une destination inconnue. Les années lumières défilent pour construire un monde en devenir.
Le sous titre, « in-visibility », joue aussi sur les mots pour souligner les mémoires du jazz, invisibles tellement elles sont présentes. Toutes les mémoires pour façonner celles des futurs inscrites dans le champ infini des possibles.
Stephan Oliva, piano et compositions, Sébastien Boisseau, contrebasse et Tom Rainey, batterie se connaissent bien et jouent ensemble depuis 2016. Leur dialogue est constant pour permettre à chacun de n’être pas à sa place. Le piano peut se faire percussion tandis que la batterie se fait instrument mélodique et la contrebasse soliste et gardienne du rythme s’évade aussi vers des espaces sans frontière.
Une musique qui ne se refuse rien, mélange étrange de traditions, celle du « free jazz » notamment – sans le crier sur les toits – et de modernité pour ouvrir les yeux et les oreilles, pour imaginer un autre monde qui bruisse de bruits venus d’ailleurs.
Nicolas Béniès
« Orbit, in-visibility », Oliva/Boisseau/Rainey, Yolk Music

Une froide chaleur

Le festival PAN une réussite.
Le trio O.R.B.I.T.

Ce soir, 8 décembre 2017, « La fermeture éclair » a connu un moment de grâce. C’est rare. Le trio O.R.B.I.T. était sur scène. Tom Rainey est un batteur qui sait remplir nos rêves de rythmes brisés alliés à une pulsation qui assure la continuité du propos. Le voir est un spectacle réjouissant. Les batteurs ne sont pas morts, tués par les percussions. Au plaisir des yeux qu’il ne faut pas bouder s’ajoute celui de l’oreille. Il sait se faire soliste tout en laissant croire qu’il accompagne.
Sébastien Boisseau, comme ses illustres prédécesseurs – ce soir, il m’a fait penser à Eddie Gomez et à quelques autres contrebassistes plus ou moins connus qui ont su se faire les hérauts d’un jazz qui s’est appelé libre – sait faire chanter la contrebasse ou la transformer en instrument rythmique capable de rivaliser avec la batterie tout en la faisant pleurer ou rire et même crier.
Stephan Oliva, le denier à se mettre en orbite, allie colère et émotions rentrées en une élégance du toucher qui donne à cet instrument la capacité de se transformer. C’est le troisième instrument percussif de ce trio pour permettre à chacun de s’envoler vers d’autres cieux. L’art de Stéphane tient dans l’éventail des possibilités qu’il laisse entrevoir pour en choisir une à un moment donné. Tous les styles sont convoqués à cette table où il ned manque aucun ingrédient. Intégrer Bill Evans, Cecil Taylor, Don Pullen, toutes celles, tous ceux qui ne viennent pas à l’esprit est un petit miracle.
Comment croire que ces trois là ne se voient pratiquement pas. Le batteur est à New York, le bassiste à Nantes et le pianiste à Montpellier… Ils donnent l’impression de se connaître de toute éternité, comme si le jazz venait juste d’abolir les distances.
Dans cet endroit voué à être détruit en 2018, le froid s’appliquait à se montrer envahissant. On pourrait même parler de harcèlement. Pourtant la chaleur de la musique envahissait les esprits ce pendant que les corps restaient quasi sans vie. Cet engourdissement a-t-il favorisé la réception d’une musicale original faite de composition de Stéphan ou de Sébastien dans des arrangements nouveaux dus à la plume de Stéphan.
CE concert, même dans le froid, avait le goût des grands étés, des grandes chaleurs sympathiques qui obligent le corps comme à l’esprit à devenir un peu liquides pour trouver de nouvelles portes d’entrée face à un monde qui semble ne connaître que la guerre pour régler ses problèmes.
Cette musique ne donne pas de leçons, elle ouvre le cœur et l’esprit. Une fois entendue, elle ne laisse provisoirement plus de place à d’autres.
Que le dernier groupe trouve aussi mes excuses. Je ne voulais pas rompre le charme. Ce charme là est devenu tellement rare que j’ai voulu le garder le plus longtemps possible.
Pour l’instant ce trio ne trouve pas de producteur…

Nicolas Béniès.

Jazz. Revoir New York ?

Tout autour de Gershwin

New York, le savez-vous ?, est une ville changeante et pas seulement sous la pluie. Elle se transforme à une vitesse sidérante. La ville qui ne dort jamais – pour citer la chanson du film éponyme de Scorcese – est aussi celle qui connaît destructions et reconstructions. Absentez-vous quelques temps, revenez sur les lieux que vous avez connus et vous êtes gagné par une « étrange familiarité » qui fait que vous ne reconnaissez rien tout en ayant l’impression de tout reconnaître.
Gershwin, George tout, autant que son frère Ira – diminutif de Israël – sont liés à New York celle des années 1920/30, cette ville qui danse au son du jazz. George marquera de sa musique cette ville. Elle lui avait permis, New York, avec ses quartiers habités par des populations aux cultures diverses et aux musiques dansantes de se former, de prendre ici ou là de quoi se constituer son propre bagage et d’offrir, en retour une sorte de synthèse permettant de sortir de l’acculturation pour construire une autre référence, pour permettre l’accession à une citoyenneté nouvelle. Continuer la lecture

Tout autour du piano (2)

stephan Oliva vaguement godardJazz et nouvelle vague.
Le solo de piano est un art à lui seul. Surtout lorsqu’il s’agit de jazz. C’est une mise à nu. Il faut être sincère avec soi-même tout en maîtrisant ces 88 touches rétives, leur faire dire l’explicite et l’implicite, faire rêver par des bribes de musique pour laisser l’auditeur(e) déterminer un chemin, le sien. L’imagination de l’un doit susciter l’imagination de l’autre. A condition de considérer l’existence d’une mémoire commune, une sorte de patrimoine culturel à partager et à faire fructifier. Continuer la lecture