Jazz et nouvelle vague.
Le solo de piano est un art à lui seul. Surtout lorsqu’il s’agit de jazz. C’est une mise à nu. Il faut être sincère avec soi-même tout en maîtrisant ces 88 touches rétives, leur faire dire l’explicite et l’implicite, faire rêver par des bribes de musique pour laisser l’auditeur(e) déterminer un chemin, le sien. L’imagination de l’un doit susciter l’imagination de l’autre. A condition de considérer l’existence d’une mémoire commune, une sorte de patrimoine culturel à partager et à faire fructifier.
Stephan Oliva est passé maître dans cet art. Il sait se servir de ces musiques de films sans qui les images ne prendraient pas tout leur sens. Un film Hitchcock sans Bernard Herrmann – à qui le pianiste a rendu un hommage bien dans sa manière dans « Ghosts of Bernard Herrmann » en 2007 – ne serait pas un film Hitchcock, tellement son suspense est intimement lié à la composition musicale. Que seraient les « Films noirs », titre du deuxième album de Stephan pour « Illusions Music » de Philippe Ghielmetti, sans musique ? Ils ne seraient que l’ombre d’une image.
Stephan et son producteur, Ghielmetti donc, ont voulu une trilogie en donnant une suite aux deux premiers. Comment rendre le son de la Nouvelle Vague, de ces années 60 qui furent des années de révolution pour le jazz comme pour le cinéma. Comment faire goûter aujourd’hui cette révolution esthétique profonde qui a changé notre regard sur le monde, notre écoute ? Toutes les générations ne l’ont pas vécue directement mais toutes ont vu la nouveauté et vécu ces transformations. Elles ont marqué nos sociétés. La nouvelle vague, le free jazz – à commencer par Coltrane et Ornette Coleman sans parler de Miles Davis – font partie de notre mémoire consciemment ou inconsciemment. Nous vivons dans le monde forgé par ces révolutions. Tellement que nous avons du mal à en sortir…
Finalement, au bout d’un cheminement que nous supposerons erratique, c’est Godard qui s’est imposé. Un curieux musicien que ce cinéaste. Il a su – surtout « A bout de souffle » – coller toutes les musiques pour organiser ses fausses-vraies intrigues. Martial Solal avait participé à ce premier film et, sans le faire paraître, Oliva lui rend aussi hommage faisant la démonstration qu’il peut-être un virtuose de cet instrument à la fois orchestre et percussion.
« Vaguement Godard » est un titre qui s’est imposé. Vaguement parce qu’il s’agit ici de musiques qui voudraient susciter des images. Pas de flonflons, pas de démonstrations – que j’aime lorsque c’est Oscar Peterson – mais une manière rentrée d’appréhender les compositions de ce démonstratif qu’est Michel Legrand.
Stephan nous fait pénétrer au cœur de la mélodie pour en saisir la beauté.
Il y met quelque fois un peu trop de retenue. On aimerait plus de folie furieuse, plus de colère aussi. « Pierrot le fou », pour moi, est un film de colère contre cette société telle qu’elle ne va pas…
Tel que ce CD vous restera dans l’esprit. Vous n’écouterez plus les musiques de ces films de la même façon et votre manière de regarder les images en sera transformée. Que demander de plus ?
Nicolas Béniès.
« Vaguement Godard, piano solo », Stephan Oliva, Illusions Music, www.illusionsmusic.fr