Le jazz en cette rentrée

Un festival : la Nièvre en liesse.
L’automne est aussi une des saisons des festivals de jazz. Ainsi en va-t-il de « D’Jazz Nevers », pour sa 32e édition. Une semaine affûtée, du 10 au 17 novembre, avec un démarrage journalier à 12h15 pour se terminer au petit matin. Parmi les invités, James Carter, Edouard Ferlet, François Corneloup, Claude Tchamitchian pour un hommage à Jean-François Jenny-Clark… Théâtre, conférences, expos pour montrer un travail culturel qui a lieu toute l’année et pas seulement à Nevers.
Rens. 03 86 57 00 ; www.jazznevers.com

Un livre : le jazz en mots.
Evan Parker, saxophoniste ténor et soprano tenant de l’improvisation libre raconte son parcours – de Paul Desmond à John Stevens en passant par John Coltrane – dans « De Motu ». Le parcours de sa génération. Ce petit livre (54 pages) en deux parties, française/anglaise, est aussi un essai sur la liberté musicale. Que signifie « improviser librement » ? Quel est le processus, le mouvement derrière le terme « Improvising » ? Des interrogations-clés qui concernent toutes les disciplines artistiques. Stimulant.
« De Motu », Evan Parker traduit par Guillaume Tarche, Lenka Lente éditions.

Un CD : Une voie d’avenir
Robin Fincker, saxophone ténor et clarinette, s’est allié avec Julien Touery, pianiste pour former un quartet en compagnie de Maxime Delporte, contrebassiste et Fabien Duscombs à la batterie, « Farm Job » qui est aussi le titre de cet album, avec comme sous titre pour approfondir le mystère, « hokkaïdo rush ». Hokkaïdo étant la seconde île la plus importante du Japon. Pour dire le mélange entre un passé laissé de côté, celui du quartet de Keith Jarrett du milieu des années 1970, le Japon et les musiques du présent. Au total, une musique qu’il faut entendre.
N.B.
« Farm Job, hokkaïdo rush », Petit Label, www.petitlabel.com

Musique des îles
Les îles du Sud, de la Réunion à la Crête en passant par la Sicile, Cuba et la Corse sans oublier les drames de Haïti, possèdent des cultures propres, des musiques spécifiques, originales trop souvent ignorées. Des trésors cachés qu’il faut aller découvrir. C’est la proposition de cette année du Festival Villes des Musiques du Monde. L’île aux enfants réunira 400 écoliers-chanteurs de la Cité des Marmots et le prix des « Musiques d’Ici » sera décerné pour la deuxième fois. Un programme en plein dans l’actualité, celle des migrations en particulier. Pour dire qu’elles sont une chance, celle de rencontrer d’autres cultures, celle aussi d’une fête retrouvée. Et de la danse…
N.B.
Du 12 octobre au 11 novembre, rens. 01 48 36 34 02, www.villesdesmusiquesdumonde.com

A une femme libre : la baronne Nica de Koenigswarter

Pour le jazz

Le jazz a son aristocratie construite sur le sol mouvant des reconnaissances collectives. Un Comte (Basie), un Duc (Ellington), une Impératrice (Bessie Smith), une Reine (Dinah Washington), un Président (Lester Young), une Lady (Billie Holiday et même un génie tutélaire, Louis Armstrong pour former une sorte de firmament étoilé, une succession de constellations, une tempête de sang bleu. Mais pas de Baronne – même s’il y a un Baron autoproclamé, Charles Mingus – du jazz. Non, la Baronne est une vraie, du monde « réel », loin des légendes apparemment, venue d’Europe, née Rothschild qui plus est, devenue par le mariage avec un Jules – c’est son prénom – de Koenigswarter. Rien ne la prédestinait à rencontrer sauf le jazz, sauf son amour de l’aventure, de la liberté et la lutte contre l’antisémitisme et le racisme.
Pour le monde du jazz, elle sera Nica ou Pannonica et pour l’éternité. Un film de Charlotte Zwerin, « Straight No Chaser », permettait de la voir aux côtés de Thelonious Monk. Sa petite fille, Nadine, avait contribué à la sortie d’un recueil étrange, « Les trois vœux des musiciens de jazz » (Buchet-Chastel) composé de photographies prises au Polaroid par Nica, assorties d’interviews de musiciens, les fameux trois vœux, qui permettaient d’éclairer des personnalités et de découvrir des musiciens oubliés. Continuer la lecture

UNE VIE DANS LE SIÈCLE. Compléments au « souffle de la révolte »

Pionnière de la littérature féministe, noire-américaine.

Le nom de Zora Neale Hurston ne dit sans doute rien au lecteur. Pourtant, Toni Morrison fait clairement référence à son autobiographie, Des pas dans la poussière, dans son dernier roman, Paradis,1 qui se déroule dans une petite bourgade du Sud des Etats-Unis gérée et habitée par des Africains-Américains ressemblant à celle où est née Zora. Alice Walker, l’auteure de La Couleur Pourpre, a fait placer une pierre tombale à l’endroit approximatif où elle repose.2 Toutes les romancières américaines paient leur dette à cette pionnière qui a payé le prix élevé de cette liberté, de cette volonté de construire sa propre vie, son œuvre.
Sa vie fut un combat pour se faire reconnaître comme auteure à part entière, comme anthropologue, pour vivre de sa plume. Ce qu’elle n’a pas réussi à faire. Elle mourra pauvre en 1960. Elle jouera un rôle de premier plan dans le mouvement des années 20 qui se construit autour de la «négritude », mouvement dont se réclamera Senghor, affirmation de la culture spécifique des Africains-Américains, partant de Harlem. A cette époque le ghetto brille des mille feux du jazz, de la photographie – Van Vechten en sera un des animateurs -, de la danse, de la littérature, avec Langston Hughes comme animateur principal. C’est LE lieu à la mode. Elle refusera, avec quelques raisons ce concept de négritude, pour faire pénétrer dans la littérature ce langage particulier, cette langue qu’est «l’Anglais noir » comme le «double-entendre » – comme disent les Américains – propre aux opprimés voulant communiquer devant le maître blanc. Zora l’utilise dans cette autobiographie publiée en 1942 alors qu’elle se dispute et avec ses mécènes et avec ses éditeurs. Être une femme dans ce monde d’hommes, y compris dans la communauté africaine-américaine, est une gageure qu’elle relève.
Au-delà de cette vie qui se reflète dans son écriture, c’est une véritable écrivain. Avec un style qui lui appartient, avec cette manière, héritée du blues, douce-amère de parler de soi, d’inverser les situations en pratiquant un humour et une ironie permettant à la fois de faire sourire et de faire réfléchir. Rien ici ne ressort d’une véritable autobiographie, et tout est autobiographique.
Il est temps sans doute de découvrir Zora Neale Hurston et ce faisant de faire un saut dans l’inconnu dans une culture spécifique née de la déportation des Africains sur cette terre américaine. Pour appréhender plus facilement ce continent, le livre de Robert Springer, bien que d’un style par trop universitaire, Les fonctions sociales du blues,3 sera un guide bienvenu.
NICOLAS BENIES.
DES PAS DANS LA POUSSIÈRE, de Zora Neale Hurston, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Françoise Brodsky, Éditions de l’Aube, La Tour d’Aigues (84), 1999, 320 pages,