Polar, l’Est raconte…

A l’Est que du nouveau.

Du côté de Varsoviee
Zygmun Miloszewski est salué, à juste raison à la lecture de « Te souviendras-tu de demain ? », comme un romancier qui compte. Il met en scène un couple de vieux amants mariés, Ludwik et Grazyna, vivant de nos jours à Varsovie. Par un mirage miraculeux, ils se trouvent reportés dans le temps, dans un Varsovie de 1963 sans rien perdre de leur mémoire de femme et d’homme de 80 ans. Le décalage est grand. Leurs souvenirs du temps de leur jeunesse ne leur servent pas totalement. La Pologne, Varsovie n’est pas tout à fait la même. Le pouvoir n’appartient pas au Parti Communiste qui se trouve dans l’opposition et offre, du coup, une alternative au pouvoir en place lié à la France. Les deux amants se perdront-ils totalement ? Rien n’est sur, l’incertitude reste le lot de tous les personnages qui tentent de surnager dans un univers décalé. L’uchronie, procédé à la mode – avec des « si », ce serait une autre Histoire – permet à l’auteur de dresser un portrait actuel de cet ville étrange qu’est Varsovie.
Une fois ouvert, l’intrigue colle au cerveau et le livre ne se referme qu’à la dernière ligne qui laisse encore l’esprit vagabonder pour essayer de saisir les données nécessaires à une explication rationnelle. Un travail obligé. Plongée dans Varsovie revue et corrigée est une expérience qui ne vous laissera pas tranquille. A lire de toute urgence.
N.B.
« Te souviendras-tu de demain ? », Zygmun Miloszewski, traduit par Kamil Barbarski, Fleuve éditions.

Et de celui de la Slovaquie.
Dans ce relatif jeune pays, issu de l’éclatement de la Tchécoslovaquie, le roman noir n’avait , paraît-il, pas de représentant, pas d’auteur. Arpad Soltesz, journaliste de son état, vient combler ce vide. Et de magistrale façon. « Il était une fois dans l’Est » est une saga complexe dont le centre est constitué par les agissements de la police secrète nommée « SIS ». Le révélateur de l’enchevêtrement des corruptions est, forcément, un journaliste qui mène l’enquête avec le concours de policiers qui se veulent intègres. Le point de départ, un enlèvement et un viol d’une adolescente qui trouve les ressorts nécessaires pour s’échapper. S’ensuit un, imbroglio de pressions, de détournements, d’accusations, d’arrestations, de juges truands, d’avocat véreux pour dessiner une fin de 20e siècle plus grise que noire et ouvrir la porte à un 21e siècle qui ne vaut guère mieux.
Soltesz, avec humour et un peu de distance, refuse la coupure des bons et des méchants. Les personnages apparaissent dans leurs contradictions, dans leurs rôles divers mariant le crime et la philanthropie. Il donne une image « grise » de la Slovaquie faite de trafics d’hommes et de femmes pour truander l’Union Européenne et ses subventions, via la communauté Tsigane, sans se préoccuper du sort des individus. Et si la police secrète était la seule à avoir le souci de l’ordre public, une morale même sans contrôle démocratique ? Question redoudable s’il en fut.
Souvent un peu lourd, indigeste dans la volonté de tout décrire, le roman se dévore pourtant tout en interrogeant sur le monde tel qu’il ne va pas.
La Slovaquie s’inscrit désormais comme un des pays importants du roman noir.
Nicolas Béniès
« Il était une fois dans l’Est », Arpad Soltesz, traduit par Barbora Faure, Agullo éditions.

Du côté des polars

Du Noir polonais.

Quel rapport entre la Colombie et la Pologne ? Entre une arnaque vieille comme le capitalisme : faire croire à un procédé nouveau qui va rapporter des millions et une série d’assassinats ? Le trafic de drogue bien sur – le titre l’indique explicitement « La Colombienne » – mais pas seulement. L’inspecteur Mortka est chargé de l’enquête. Il tâtonne, trouve des faits, relie certains points sans trouver qui déroule le fil. Le fin mot arrivera par un retournement surprenant mais logique, dialectique serait le terme juste. Découverte d’un auteur, Wojciech Chmielarz, ironique et humain, drolatique et sérieux jouant sur tous les stéréotypes culturels à commencer par le sexisme et les divisions sociales. En plus il tient le lecteur, accro à l’intrigue, accro au puzzle pour trouver qui est ce mystérieux «Polaco », un pseudo qui sent déjà la poudre, accro à l’entourloupe… Une plongée dans la Pologne d’aujourd’hui, ses start up, son capitalisme, sa corruption.
Un auteur qu’il faut suivre pour sa façon de se servir de l’actualité tout en prenant la distance nécessaire pour faire réfléchir… sur la mondialisation.
« La Colombienne », Wojciech Chmielarz, traduit par Erik Veaux, Agullo Noir

Du Noir en jaune

Premier polar sur le mouvement des gilets jaunes, « Les écœurés » mêle la description documentaire de cette mobilisation inédite dans une petite ville de Bretagne avec toutes ses ambiguïtés par le biais d’une galerie de portraits et une enquête policière. Le détective privé prend la forme d’un jeune lieutenant que le commissaire transforme en agent double pour espionner les gilets jaunes. Comme il se doit, il tombe amoureux et développe une empathie avec la mobilisation qui refuse tout chef, toutes structures tout en faisant trop confiance aux réseaux sociaux. Par petites touches, Gérard Delteil permet de comprendre les prises de conscience comme les trajectoires politiques diverses lié à cette révolte étrange. En conséquence l’enquête policière n’est pas assez développée même si les réactions des représentant-e-s de l’État sont assez bien cernées.
Nicolas Béniès.
« Les écœurés », Gérard Delteil, Seuil/Roman noir

La réalité plus noire que la fiction

Un scandale de la volonté de profit contre la santé des populations. Purdue Pharma, la famille Sackler, a commercialisé des opiacés – des antidouleurs – par le biais des médecins plus ou moins convaincus sur une grande échelle aux Etats-Unis provoquant une crise sanitaire majeur. Des reportages sur ce groupe ont été diffusés. Ce livre, « Addiction sur ordonnance », sous titré « La crise des antidouleurs » démontre la responsabilité de Sackler qui a planifié cette addiction. Un polar vrai sur un trafic de drogue légal qui rapporte plus que le trafic illégal. Patrick Radden Keefe est l’auteur du premier article dans le New Yorker en novembre 2018, complété par la situation française et une réflexion de Hervé Le Crosnier. Ce thriller appelle à des prises de conscience de la réalité de la loi du profit maximum et à des mobilisations.
Nicolas Béniès
« Addiction sur ordonnance », Patrick Radden Keefe, traduit par Claire Richard, C&F éditions