Le polar dans ses états
La Série noire fait peau neuve. Une fois encore. Pour fêter son 70e anniversaire. Fondée en 1945 par Marcel Duhamel, de retour des États-Unis avec une profusion de ces livres bon marché, des « Pulp fictions » – du nom du mauvais papier sur lequel ils sont imprimés – qu’il va faire traduire en un format immuable et au langage qui fait la part belle à l’argot parisien. Une sorte de trahison pour rendre hommage à la collection. Jacques Prévert sollicité pour le titre trouvera, avec sa simplicité coutumière, « Série noire ». La collection évoluera au fil du temps. 70 ans après, elle fera la part belle à la nouvelle génération d’écrivains français à commencer par Elsa Marpeau qui détourne le souvenir des 70 ans en mettant en scène un meurtre en 2015 lié à cette année 1945. « Et ils oublieront » est un titre tout en sous-entendus…
Restons chez les écrivains français de romans avec Jean Chaumeil qui commet là son « premier crime ». Il est dans la mode actuelle faite d’un personnage qui se raconte, là un tueur à gages qui n’a pas de nom. Il se trouve embringué dans une histoire qu’il ne comprend pas – nous non plus quelque fois – entre milices d’espions proches du fascisme en Italie, la CIA et autres fractions plus ou moins légales dans le contexte des attentats du 11 septembre 2001. La destruction des tours – le titre « Ground zéro y fait explicitement référence – lui permet des retours en arrière pour saisir l’enfance d’un tueur à gages et son acceptation de toutes les compromissions. Pas toujours convaincant. Il doit exister des limites en chaque individu. L’appât du gain ne suffit pas… Un peu trop téléphoné mais cet essai laisse présager un futur auteur…
Passons le Channel et remontons le temps pour suivre les aventures de Giordano Bruno exilé en Grande-Bretagne et poursuivi par l’Inquisition pour cause de théorie hérétique. Il prétendait que la terre tournait autour du soleil ! Il sera brûlé vif en 1600 et aura une grande descendance. La mémoire collective l’avait oublié. On ne sait pas grand chose de ce philosophe et savant, même sa date de naissance… Pour ce quatrième opus, S.J. Parris nous projette en août 1585, à Plymouth pour le départ de la grande expédition que prépare Francis Drake contre les navires espagnols alors que la guerre n’est pas déclarée. Elizabeth – Première du nom – se sert des corsaires pour pratiquer une sorte de guerre froide. La flotte est bloquée, un meurtre a été commis. S.J. Parris dresse un portrait du corsaire, de ses origines et de ses relations avec la Cour. « Trahison » pourrait ici s’écrire au pluriel tant les hérétiques se succèdent autour d’un Évangile non reconnu par le Vatican, celui de Judas l’Iscariote. Des remises en cause multiple qui marque ce 16e siècle, siècle de basculement. Une série qui à la fois permet de réviser son histoire et de lire un « Thriller ».
Nicolas Béniès.
« Et ils oublieront », Elsa Marpeau, Série noire/Gallimard ; « Ground zéro », Jean-Paul Chaumeil, Rouergue Noir ; « Trahison », S.J. Parris, traduit par Hélène Prouteau, 10/18.