Un genre hybride

Une nouvelle déclinaison du polar, l’alliance avec la « Fantasy ».

Les auteurs de polar sont confrontés à d’aimables questions. Comment à la fois créer de la nouveauté – osons modernité – dans un contexte où la réalité fait assaut de barbaries qui rend les codes du polar nécessaire à la littérature en général pour continuer à vivre et conserver cette littérature populaire et savante comme le jazz lui-même ?
David Khara propose une solution. Faire cohabiter deux types de littérature populaire. La « Fantasy » – fantaisie non pas au sens commun mais au sens freudien que l’anglais a conservé – et le polar. Le risque : annuler toutes les références, désorganiser la fiction pour en faire une sorte de squelette désarticulée qui ne permettrait de reconnaître les filiations. Ainsi perdre sur les deux tableaux. Les amateur(e)s de polar ne s’y reconnaissant pas comme les amateur(e)s de Fantasy. Et tomber dans la mièvrerie, dans la facilité que donne le monde des vampires et des morts-vivants.
La « Fantasy » est un genre qui connaît une grande expansion et un public important tout en dessinant un monde de l’ailleurs. Tolkien fait figure d’inspirateur lui qui a construit une société virtuelle, avec son territoire, ses groupes sociaux et ses codes. Beaucoup d’auteur(e)s s’y sont frotté(e)s, peu ont su surnager.
Khara les vestiges de l'aubeDavid Khara a voulu s’en sortir par l’amour – ici l’amitié, mais c’est son autre nom. L’amour entre un vampire étrange doté de pouvoirs de mages – ce qui interroge – et un policier de New York – forcément New York, quelle autre métropole pourrait abriter des vampires et autres éternels descendants du diable ? – pour mener des enquêtes dans la Ville-Monde. La Ville elle-même est forcément un personnage de roman. La Ville est ce territoire à la fois réel et virtuel, changeant, mouvant capable de créer toutes les illusions et rendre crédible toutes les virtualités.
Barry Donovan est le policier fortement perturbé – comme tous les habitants de cette Ville – par les attentats du 11 septembre 2001. Il a perdu sa femme et sa petite fille et n’est plus tout à fait le même. Il surfe sur le net et rencontre un autre surfeur, Werner Von Lowinsky, vampire de son état mais qui ne sait pas les raisons de son état. Barry ignore qu’il va rencontrer un vampire sorti de sa tanière.
Cette rencontre nous est contée en long – trop ! -, en large et en travers – pas assez en travers – pour ne rien nous laisser ignorer des deux personnages dans le premier opus de leurs aventures, « Les vestiges de l’aube ». L’auteur évite d’un rien de sombrer dans la platitude. Il se sauve de justesse par une fin dramatique qui ouvre la porte au deuxième volume qui vient juste de sortir, « Une nuit éternelle ».
Khara Une nuit éternelleCe n’est plus Barry qui est le personnage principal mais Werner. L’enquête porte sur son passé d’éternel. Un moyen pour Khadra d’essayer de renouer les fils de la mémoire pour indiquer la persistance de la barbarie à travers les âges. Ici, l’amour ne sauve pas toujours même s’il explique bien des comportements étranges, hors du commun. Il fait la preuve qu’il a lu les grimoires et donne vie aux légendes les plus folles reprenant ainsi un des instruments de la fantasy.
Sans adhérer totalement à l’intrigue, le lecteur suit ces morts-vivants venant d’un monde fini qui continuent de se battre, d’aimer, de tuer pour leur intérêt personnel, égoïste. On se dit que c’est une allégorie pertinente de notre monde qui, depuis l’entrée dans la crise systémique en août 2007, fait semblant de croire qu’il est encore vivant alors qu’il crée des zombies…
En résumé, un premier opus un peu bancal qui fait la part trop belle au monologue d’un vampire. On sent que l’auteur y a pris plaisir. S’interroger sur ce que ressent un vampire était une gageure qu’il fallait gagner. Intelligemment, Khara dans le deuxième tome rend nécessaire la lecture du premier. Des éléments essentiels y sont donnés qui permettent de comprendre les actions étranges des personnages d’« Une nuit éternelle »… Et les contradictions de Werner qui apparaît moins monolithique. Là est le tour de force.
Une bonne idée donc même si elle n’est pas totalement convaincante. La fusion polar/ fantasy est encore à réaliser. La perspective d’avenir de ce genre hybride est, peut-être, pour demain…
Tel que le plaisir est tout de même au rendez-vous. Khara a un vrai talent pour mettre les personnages en situation, pour rendre crédible leurs comportements. C’est appréciable. Même s’il tombe quelque fois dans la facilité. Il fallait bien faire une tentative et renouveler le frisson (Thriller).
Nicolas Béniès.
« Les vestiges de l’aube », David Khara, 10/18 ; « Une nuit éternelle », David Khara, fleuve noir.
PS David Khara est aussi l’auteur du « Projet Bleiberg » dont nous avons rendu compte en son temps (Chez 10/18) (décembre 2001)