JAZZ, perdre pour retrouver, à propos du Dave Brubeck quartet

Hommage vivant

BreitenfeldTitrer un album « Breitenfeld » tient de la gageure. D’autant que, si vous n’ouvrez pas le « digipack » – un mot curieux, n’est-il pas ? – vous ne savez pas quelle sauce musicale vous allez goûter. La page 4 de couverture, soit l’envers du CD, donne une indication précieuse. Quelques titres titillent l’oreille : « The Duke » – et vous pensez à la rencontre Miles Davis/Gil Evans, vous n’avez pas tort -, « Emily » évoquent un vague souvenir. Plus important, « Toutes compositions Dave Brubeck », incite à s’interroger.
Pierre Fénichel, contrebassiste et arrangeur pour l’heure, a voulu rendre vivant un couple étonnant et un peu renversant, Dave Brubeck, compositeur de toutes les métriques étranges et son saxophoniste alto d’ami, Paul Desmond, celui par qui le scandale du succès est arrivé. C’est Paul et non Dave l’auteur de ce « Take Five » de renommée mondiale, un thème inhabituel dans cette fin des années 50, tellement qu’une partie des « vieux » musiciens refusera de faire l’effort de pénétrer dans ce nouvel univers. Pour dire que l’entrée dans la modernité sépare les générations. La facilité apparente de ce thème a suscité bien des ambiguïtés. Le reproche de « commercial » a été rapidement accolé à toute cette musique. Breitenfeld – le nom d’état civil de Paul Desmond – ne méritait pas autant d’honneurs ni d’indignités. Le Paul savait franchir tous les monts sans apparaître fatigué, accoudé qu’il était au piano de Dave, un verre de whisky virtuel à la main. Il savait faire surgir de son saxophone un son à nul autre semblable même si l’influence profonde de Johnny Hodges réapparaissait de ci de là.
« Breitenfeld » est, bizarrerie supplémentaire, le disque d’un trio et un trio étrange. Contrebasse/batterie/guitare. Pierre Fénichel s’est adjoint le batteur Cédric Bec pour lui faire jouer des métriques inspirées de celle de Brubeck sans que ce soit totalement celles de Brubeck et encore moins celles de Paul – l’arrangeur s’est refusé « Take Five » – et un guitariste, Alain Soler, de ceux qui voudraient élargir les horizons en dynamitant toutes les traditions. Le résultat : un vent frais, celui de la mémoire du jazz, mémoire en activité pour tisser les liens entre passé et futur. Une manière de servir et de se servir des compositions de Brubeck – ce n’est pas la première fois pour ces musiciens – pour exprimer leur propre conception tout en faisant la démonstration qu’on aurait tort de sous estimer ou même d’ignorer cette partie du jazz. Continuer la lecture