Le coin du polar

Un polar historique
Claude Izner poursuit sa nouvelle saga sur la France du jazz et de la chanson dans cette année 1921. Jeremy Nelson, jeune pianiste de jazz, Américain et Français, continue à chercher fortune et sa famille. Entre Londres et Paris, il enquête. « La femme au serpent » est le deuxième de la série – le premier, « Le pas du renard » est réédité en poche – pour une plongée dans les mondes du spectacle via une série de meurtres dont le point commun est d’être signé d’un portrait de Simonetta Vespucci, modèle de Botticelli, et d’une vipère. Une plongée dans les mondes du spectacle et une relecture des grands compositeurs américains comme français. Clément Doucet et Jean Wiener, un duo de pianos entre musiques contemporaines et jazz (ragtime souvent pour l’époque)… Le monde des années folles, des Roaring Twenties comme si on y était…

Barbaries libérales.
Pour faire de l’argent, tout est permis ? Le sordide, le barbare en tête ? Elsa Marpeau, dans « Les corps brisés », nous enduit de cette mort qui fait semblant d’être vivante. Et elle sait nous y enfoncer. Sarah, coureuse de rallye est victime d’un accident. Elle est sur un fauteuil roulant et a perdu l’espoir de vivre. Notre société n’aime pas les losers et ne fait rien pour permettre aux handicapé-e-s de trouver une nouvelle place. Elle préfère les ignorer… Sarah intègre un centre perdu en haute montagne pour retrouver ses capacités mentales, pour lutter. La peinture de sa compagne de chambre la sauvera de la barbarie. La résistance, le combat contre l’horreur, la solidarité participent de l’espérance.

Aoste, Italie.
Vivre à Aoste ne rend pas de bonne humeur. Le vice-préfet – nouveau nom de commissaire de police en Italie – Rocco Schiavone en est un bon exemple. Mauvaise humeur qui s’alimente d’un meurtre : une femme retrouvée pendue dans son appartement. L’enquête fait découvrir le quotidien de ses habitant-e-s mêlée de réflexions sur l’Italie contemporaine et les secrets nécessaires à toute bonne intrigue. Antonio Manzini dans « Froid comme la mort » sait mêler le noir de la nuit, la poésie et le temps qui sait être relatif sous sa plume. Le tout pimenté d’humour et d’ironie, de fantômes qui empêchent de dormir et de beaucoup d’autres choses qui forment la trame de ce qu’il est convenu d’appeler notre vie quotidienne. Faussement décontracté, le style et le vice-préfet pour déguiser le désespoir.

La Suède, pays fantasmagorique.
Une histoire surnaturelle qui mêle mythologie chinoise et autres croyances de l’au-delà pour dénoncer, comme Elsa Marpeau, l’utilisation mercantile de la souffrance. La révolte perce via ce personnage de mère et de soldate, le lieutenant Jasmine Pascal-Anderson. La guerre n’est pas seulement celle des champs de bataille – ici le Kosovo – mais aussi celle du « Playground » – titre de ce thriller » -, des sites qui alimentent le cauchemar de l’ultra violence pour « faire » de l’argent encore et encore. L’espoir a-t-il perdu toute actualité ? Le libéralisme est un profondément liberticide nous dit Lars Kepler…

Nicolas Béniès.
« La femme au serpent », Claude Izner, 10/18 ; « Les corps brisés », Elsa Marpeau, Série Noire/Gallimard – son précédent, « Et ils oublieront la colère » est réédité en Folio/policier- ; « Froid comme la mort », Antonio Manzini, traduit par Anaïs Bouteille-Bokobza, Folio/Policier ; « Playground », Lars Kepler, traduit par Lena Grumbach, Actes Sud.

Les mots pour le croire

La religion libérale

« La novlangue néolibérale » reparaît augmentée pour tenir compte du renouvellement (faible), du discours dominant depuis l’entrée dans la crise systémique du capitalisme en août 2007. Une nouvelle interrogation surgit. La crise a totalement discrédité les théories néo-classiques sur lesquelles s’appuie le néolibéralisme. Après le temps du choc, elles restent présentes, latentes souvent, références moins affirmées des politiques économiques. Les justifications changent un peu mais les croyances comme autant de fétiches restent. Alain Bihr construit des explications sur cette résistance. Stimulantes.
N.B.
« La novlangue néolibérale. La rhétorique du fétichisme capitaliste », Alain Bihr, coédition Page 2/Syllepse.

Shakespeare en Russie

Une tueuse en série.

« La Lady Macbeth du district de Mtsensk » est sans doute plus connu comme opéra de Dmitri Chostakovitch (1934) que comme l’œuvre d’un grand auteur russe des années 1860, concurrent direct de Léon Tolstoï, Nicolaï Leskov. Son héroïne tient à la fois de Shakespeare, Jean-Jacques Rousseau mais aussi à la tradition orale russe. Cette nouvelle publiée en 1865 se situe dans le contexte du mouvement pour l’émancipation des femmes. Une tueuse en série, grande amoureuse du sexe est, pour la première fois mise en scène. La présentation de Catherine Géry permet de replacer Leskov dans son environnement.
Nicolas Béniès.
« La Lady Macbeth du district de Mtsensk », N. Leskov, édition bilingue de Catherine Géry, Classiques Garnier.

Jazz, Michel Fernandez

Mélanges de rages

Michel Fernandez, saxophoniste ténor et soprano, s’est lancé, avec un nouveau quartet, Joël Sicard au piano, François Gallix à la contrebasse, Nicolas Serret à la batterie, dans un nouveau projet, une nouvelle aventure. Ses références essentielles se trouvent dans les années de feu de la décennie 1960-70, celles du free-jazz, de l’afrobeat, de toutes ces musiques qui se voulaient contestataires de tous les ordres établis. Il en fait une sorte de synthèse qui permet de faire fructifier cet héritage par trop oublié de nos temps post modernes. Un album, « Brazza Cry » qui vous fera tanguer, danser et même bouleverser pour retrouver la transe tout en provoquant la réflexion sur le colonialisme… Cet album, le dernier publié du vivant du producteur Gérard Terronès est un bel hommage à son travail.
N.B.
« Brazza Cry », Michel Fernandez quartet, Disques Futura et Marge.

JAZZ, Monk encore…

Un centenaire discret.

En même temps que le premier disque de jazz sorti en mars 1917, celui de l’Original Dixieland Jazz Band, naît Thelonious Monk, compositeur original, longtemps ignoré du public. Ses premiers disques, publiés en 1947 par Blue Note, ne rencontreront aucun écho. Au début des années 50, sa carte de musicien lui est retiré. Il faudra Orrin Keepnews et Riverside, un autre label indépendant, pour le faire entendre de nouveau.
Comment le rendre vivant ? Jacques Ponzio a choisi l’« ABÉCÉDAIRE », « AB C-BOOK » pour respecter le bilinguisme français/anglais voulu par l’auteur qui permet de lire, dans le texte, les citations qu’il a réunies. Le « degré zéro » du classement joue aux rencontres bizarres d’un alphabet soumis à la volonté critique du connaisseur de cette œuvre étrange et tellement moderne. Un inventaire de la « méthode Monk » que propose Ponzio. Il est aussi l’auteur d’un essai biographique, « Blue Monk », (Actes Sud), qu’il avait co-signé avec François Postif. Monk fait partie des compositeurs les plus sollicités par les musicien-ne-s d’aujourd’hui. Les conseils qu’il donne post-mortem voient leur importance décuplée. Un petit livre pour prendre la dimension d’une musique au départ hermétique mais qui sait parler le langage de la modernité à venir et joue sur toutes nos mémoires.
Nicolas Béniès.
« Thelonious MONK, ABÉCÉDAIRE, AB C-BOOK », Jacques Ponzio », Éditions Lenka Lente.

Le temps du conteur.

Tahar Ben Jelloun, écrivain japonais ?

Gallimard, dans cette collection Quarto, a décidé de laisser à Tahar Ben Jelloun non seulement le choix des textes – intitulé « Romans » – mais aussi « les points de repères » biographiques et bibliographiques qui font l’originalité de cette collection. Presque une autobiographie. Tahar raconte sa famille, son Maroc, Fès surtout, point de départ et d’arrivée, ville de toutes les histoires, de tous les imaginaires, Tanger où son père avait ouvert une boutique, Paris, ville de toutes les rencontres – notamment celle de Jean Genet, une sorte de géniteur –, des études, du succès.
L’an 2000 fut une mauvaise année pour lui. A mots couverts, il est question de la police secrète marocaine et de ses sbires capables de toutes les basses manœuvres pour dénigrer, calomnier et même menacer physiquement la personne visée. Il dit avoir réussi à résister mais il reste un sale goût dans la bouche. La monarchie marocaine ne pardonne pas, n’oublie pas. Une sorte de retour vers ces premières années, 1966-1968, 19 mois pendant lesquels il fut soumis à la répression journalière dans un camp disciplinaire de l’armée marocaine. Pour supporter, l’évasion par la poésie, par les mots, par la force de l’imagination. S’inventer des histoires pour s’inventer soi-même sans le savoir réellement. Ainsi naît une vocation d’écrivain. Continuer la lecture

Reprise es-tu là ?

Les institutions internationales croient au retour de la croissance

Successivement, le FMI, l’OCDE, la Banque Mondiale ont livré leurs prévisions pour l’année 2017. Le constat est semblable, ils s’abreuvent des mêmes modèles : la croissance mondiale est au plus haut depuis 6 ans. Elle atteindrait 3,5% en 2017 contre 3% l’an dernier. Elle serait tirée prioritairement par la zone euro, « à l’aube d’une décennie dorée » comme le croit le « Financial Times » sans doute dopé par la victoire de Macron et son attitude jupitérienne. Qu’en est-il ?

Le taux de croissance prévue pour la zone euro dépasserait celui des Etats-Unis, 1,7% contre 1,6% dans un environnement marqué par le retour de l’inflation, entre 1,7 et 1,5% et une diminution du chômage à 9,4%. Il reste que le pouvoir d’achat des salarié-e-s diminue, que l’investissement s’oriente vers des progrès de productivité en intégrant des technologies numériques plutôt que des investissements de capacité, l’augmentation du nombre de moyens de production. Continuer la lecture

1917-2017, Guerre et Révolution

Anniversaires : des centenaires !

Les cinq membres de l’ODJB
En dessous James P. Johnson

1917 est une grande année ! Une année d’architecture de ce 20e siècle balbutiant et baignant dans le sang de ces jeunes gens sacrifiés à une cause sordide, le partage du monde. Ils croyaient se battre pour la liberté, l’égalité et la fraternité. En 1917, leur « rage ne cessait de redoubler de férocité » pour citer Kateb Yacine qui parlait d’autres jeunes gens, plus tard mais la barbarie est la même. Ils allaient déserter, fraterniser et seront fusillés… Continuer la lecture

JAZZ, Du Monk et du bon

Histoires de film et de musique.

S’en souvient-on ? Dans la fin des années 1950, les réalisateurs français de films appelés « noirs » faisaient souvent appel à des groupes de jazz pour la musique de leur film. La collaboration la plus connue – et réussie – fut celle de Louis Malle et de Miles Davis pour « Ascenseur pour l’échafaud », un film sorti en 1958. Les Jazz Messengers d’Art Blakey, Kenny Dorham furent aussi sollicités. Souvent, Barney Wilen – saxophoniste americano-niçois – était souvent de cette partie.
Roger Vadim, auréolé du succès de « Et Dieu créa la femme » où éclatait la sexualité de Brigitte Bardot éclaboussant toute la morale étriquée des biens-pensants, se lançait dans « Les liaisons dangereuses ». Par l’intermédiaire de Marcel Romano – il faut (re)lire les notes de pochette du CD qui reprend la musique proposée par Miles Davis pour comprendre qui est Marcel Romano – Vadim demanda à Thelonious Monk la musique de son film. Monk accepta. Il devait revenir à Paris pour visionner le montage pour répandre ses compositions à nulle autre semblable. Les photos du livret montrent les deux acteurs du film : Gérard Philippe et Jeanne Moreau et on peut penser que Monk aurait été touché par ces deux corps en action. Continuer la lecture