Le coin du polar. (4)

Petit voyage dans le temps et dans l’espace.

Si l’on en croit « Les Échos » du 24 août 2015, une « Lutte au couteau sur le marché des polars » aurait lieu à cause, disent-ils, de la « bonne santé » de cette partie de la littérature. On en publie toujours plus… La tâche d’en rendre compte ne sera pas facilité…

Paris sous Louis XVI
Jean-François Parot, par l’intermédiaire de son alter ego dans ce temps là, Nicolas Le Floch, continue son histoire de Paris. Il en arrive à 1784. Hiver rude, dégel plus rude encore. Les colères s’attisent. Le peuple a faim. Les puissants – comme en tout temps – vivent comme des colons, « tomorrow is another day », vivons et exploitons sans souci demain est un autre jour. « La pyramide de glace », une sorte de tombeau sur la place publique d’une femme ressemblant à la Reine Marie Antoinette, jeune femme un peu étourdie qui voudrait vivre sa vie. Nous sommes juste avant l’affaire dite du « collier de la Reine ». Tous les personnages sont là à commencer par la fameuse madame de la Motte, mais aussi l’entourage du roi Louis XVI complotant continuellement pour défendre des intérêts privés alors que le volcan présente tous les prémices d’ une éruption violente. Une Reine que l’auteur présente comme naïve et un Roi qui voudrait secourir les pauvres mais est incapable d’imposer ses décisions.Le flou règne plus que le Roi comme dans toutes les périodes d’énormes bouleversements. Jean-François Parot en indique les signes avant-coureurs en même temps qu’il nous fait visiter le Paris – et un peu le Versailles – de ce temps. Continuer la lecture

Le coin du polar pour septembre 2014

Vivre dans une île.

Peter May est un auteur aux intérêts multiples. La Chine dans laquelle il nous a entraînés avec un couple, elle médecin légiste et anglo-saxonne, lui inspecteur de la police chinoise, est marquée par la corruption et les désastres sanitaires et écologiques. Le crime est un des moyens pour arriver à des fins politiques ou pour cacher les scandales sociaux. La plupart des scandales qui ont secoué la Chine de ces dernières années – le lait contaminé, la pollution et tout le reste – y ont trouvé leur place. Dans le même mouvement, ce couple mixte lui a permis d’ironiser sur les rejets des deux communautés de l’une et de l’autre. Une ironie teintée d’amertume sur les exclusions, les racismes, les clichés sur lesquelles vivent les populations. Un appel à la fraternité.
Depuis quelques temps – il a dépassé la soixantaine -, il est revenu à ses origines, les îles de la Grande-Bretagne, les racines écossaises. La « Trilogie de Lewis » (Rouergue Noir) nous avait ramené dans ces contrées dures à l’humanité pour revivre le calvaire des enfants orphelins confiés à des institutions religieuses et placés dans des familles dites d’accueil dans lesquelles ils faisaient office de quasi-esclaves. Cendrillon en guenilles sans la fée qui sauve. Un hommage poignant. Ces scandales du passé sont conjugués au présent. Ils secouent périodiquement la Grande-Bretagne et l’Irlande. La mise à jour de ces pratiques vise en même temps les catholiques et les protestants. Égalité dans l’horreur.
11Dans « L’île du serment », la saga des îles se poursuit. Pour qui a vécu quelques temps dans cet environnement, sait que cet enfermement ne permet pas une ouverture au monde. Les petits problèmes du quotidien prennent une dimension disproportionnée.
« Entry Island » devrait se trouver à l’extrême est du Canada, dans l’archipel de La Madeleine. Il ne s’y produit jamais rien. Surtout pas de meurtre. Jusqu’au jour où James Cowell, un riche industriel spécialisé dans les homards, est poignardé. Sa femme, Kirsty, avec qui il ne vivait plus, est soupçonnée. Elle fait la coupable idéal. Trop dirait un enquêteur méfiant comme l’est Sime – pour Simon – McKenzie, d’origine écossaise.
Lorsqu’il voit Kirsty pour la première fois, il a l’impression de la connaître. Occasion pour l’auteur de nous faire revivre les famines, « la crise dite de la pomme de terre » au 19e siècle, qui ont touché l’Écossé – comme l’Irlande – et l’exode nécessaire qui s’en est ensuivi. La domination des grands propriétaires terriens rachetant les terres, les privatisant, a conduit à la mort des paysans endettés qui voulaient, malgré tout, continuer à vivre sur leurs terres. La construction des grandes unités agricoles pour rentabiliser leur capital était à ce prix. Un prix fort payé par l’Écosse.
Un aller retour dans le temps, dans l’espace via les souvenirs d’une grand-mère lisant des carnets d’un arrière-arrière grand-père pour maintenir les liens de la mémoire, de la parole donnée et de l’amour, un amour au-delà des classes sociales. Lecture des carnets et tableaux de ce McKenzie permettront de comprendre les fils invisibles qui relient l’enquêteur et la coupable présumée.
Sur fond d’une histoire, une histoire de famille, d’héritage venant de la nuit des temps, qui ne peut exister que dans les îles rêvées par Peter May.
Malgré quelques grosses ficelles, le plaisir est au rendez-vous. Plaisir de l’écriture, plaisir de découvrir ces histoires enfouies dans les commémorations officielles, plaisir de partager l’aventure amoureuse qui, au-delà des siècles, peut unir deux individus. Le serment donné, même 150 ans après, doit être tenu. Il y va de notre avenir.
Nicolas Béniès.
« L’île du serment », Peter May traduit par Jean-René Dastugue, Rouergue Noir. Parution le 3 septembre.